Le gouvernorat de Nabeul a abrité récemment le premier débat régional sur l’énergie et la transition énergétique de la Tunisie d’ici 2030, organisé dans le cadre du dialogue national sur la stratégie énergétique lancé le 27 juin 2013 à Tunis.
Pour instaurer un dialogue national censé être fondé sur une approche participative, il faut comprendre les enjeux et les défis de l’énergie en Tunisie. Pour ce faire, le ministère de l’Industrie a conçu un socle de connaissances dédié à tous les citoyens qui désirent s’informer et participer au dialogue. C’est un document dressant un état des lieux de l’énergie en Tunisie et les conséquences économiques, sociales et environnementales. Le document détaille la consommation actuelle du Tunisien et son rapport à l’offre existante et donc les raisons pour lesquelles la Tunisie doit s’engager dans une nouvelle perspective dans l’énergie. Une «caravane» composée de Nidhal Ouerfelli, Secrétaire d’État chargé de l’Énergie et des mines, accompagnée d’une équipe d’experts et de hauts cadres ont conçu ce document. Pour sa part, le gouverneur de Nabeul a invité la société civile, les responsables politiques et les représentants d’entreprises opérant dans le secteur de l’énergie. La finalité de ce débat national est d’instaurer une stratégie énergétique à l’horizon 2030.
D’ici là, nous devrions réaliser l’autosuffisance énergétique et garantir l’approvisionnement du pays en ressources pendant longtemps. Nidhal Ouerfelli a indiqué que les régions sont invitées à faire part de leurs visions et de leurs ambitions à même d’établir une stratégie énergétique globale et cohérente et faire face aux défis rencontrés, compte tenu de la modestie des ressources énergétiques du pays. Mahmoud Jaballah, gouverneur de Nabeul, a, quant à lui, insisté sur le volet environnemental de l’énergie et a appelé à la sensibilisation des consommateurs sur la rationalisation de l’énergie, un moyen de prolonger les ressources énergétiques quelles qu’elles soient. Le Secrétaire d’État a ajouté qu’il faut travailler sur trois composantes essentielles : l’efficacité énergétique, la rationalisation de l’énergie et trouver une énergie alternative.
Quelle énergie nous faut-il ? Pétrole, gaz naturel, énergie renouvelable, gaz de schiste ou charbon ou peut-être faudrait-il insister sur l’économie d’énergie ? Avons-nous vraiment le choix? M. Rachid Ben Dali, Directeur général de l’énergie, qui chapotait l’équipe, a commencé par brosser un historique de l’énergie en Tunisie, production et consommation. En substance, la Tunisie devrait satisfaire une demande croissante en énergie, notamment l’électricité dont le taux de croissance annuel est estimé à 7%. En 2012, la Tunisie a enregistré un déficit structurel au niveau de balance énergétique, de 1,6 million de TEP, soit de 20%. Celui-ci devrait monter à 1,9 million de TEP à la fin de 2013 selon des indicateurs récents du ministère de l’Industrie. L’indépendance énergétique du pays a régressé en 2012 pour se situer à 80% contre 87% en 2011. Il y a un déclin naturel des gisements du pays. Donc nous importons 60% de notre consommation en énergie. Cette énergie coûte 20% au budget de l’État, soit 5.200 MD.
Rationaliser l’énergie
Selon M. Najib Osmane, directeur des études et des planifications à l’ANME, la grande marge de manœuvre se trouve dans l’efficacité de l’énergie et dans l’économie de l’énergie. L’intensité énergétique est l’indicateur qui peut mesurer la performance d’un pays. Plus l’intensité est faible plus l’économie énergétique d’un tel pays est efficace et performante. Sur 20 ans en Tunisie, l’intensité énergétique a baissé de 25%. La Tunisie a le choix entre deux scénarii. Elle devra choisir entre la politique actuelle avec 19 Mtep de demande en énergie en 2030 ou la politique volontariste qui baissera la demande à 12,5 Mtep, soit 34% de moins. Pour cela, un plan d’action a été mis en place qui concernera les secteurs les plus énergivores, à savoir le transport, l’industrie et le bâtiment. Ce programme va permettre à la Tunisie d’arriver à 16 milliards de dinars d’importations évitées et à 8 milliards de dinars de subventions évitées et de générer une réduction d’émission de GES de 44Mtep. Pour y arriver il faut notamment restructurer le FNME, restructurer les ressources, la régularisation de l’efficacité énergétique et l’intégration de la dimension sociale. Investir dans l’homme énergie est une priorité pour inculquer les connaissances dans l’énergie. L’ANME a d’ailleurs formé 300 hommes énergies.
Les énergies primaires
La production nationale en énergies primaires, soit pétrole, gaz naturel ou charbon, ne représente que 20% de la consommation. Dans le paysage énergétique, on prévoit une baisse de la production d’énergie contre une hausse de la demande de 6%. Quant à la subvention de l’État pour les produits pétroliers, elle est passée de 550 MD en 2010 à 2700 MD représentant ainsi 10,6% du Budget de l’État et 4% du PIB. En matière de balance commerciale, le déficit énergétique est passé de 1,15 milliard de dinars en 2011 à 2 milliards de dinars en 2012. Comment faire face à ce déficit énergétique qui continue de se creuser et à l’épuisement inévitable des réserves des énergies primaires ? Réfléchir à d’autres ressources d’énergies est aussi inévitable.
Les énergies non conventionnelles
M. Rachid Ben Dali, Directeur général de l’énergie, a indiqué que selon une agence américaine la Tunisie disposerait d’une réserve de 0,51 milliard de mètres cube de gaz de schiste. Une alternative qu’il faut prendre au sérieux dans la transition énergétique du pays sachant que la Tunisie n’est pas un pays producteur d’énergie et que cela pourrait lui garantir son indépendance énergétique. Le gaz de schiste représente 30% de la production totale de gaz des États-Unis en 2012. Plus encore, les États-Unis sont excédentaires en énergies non conventionnelles, à savoir en gaz de schiste et pourraient un jour arriver à une indépendance énergétique. Dans un pays limitrophe du notre, M. Ben Dali a signalé que l’Algérie, pays à l’énergie conventionnelle abondante, a lancé en 2011 un méga projet d’exploration et d’exploitation des ressources non conventionnelles, soit le gaz de schiste, avec le géant pétrolier ENI. De toute façon, face à un monde de plus industrialisé à impact environnemental relatif, charbon, nucléaire, pétrole, OMG, le gaz de schiste pourrait être une industrie comme une autre.
Les énergies renouvelables
M. Abdelkrim Ghazel, Directeur des énergies renouvelables à l’ANME, a signalé que l’objectif est de produire plus de 30% de l’électricité à partir des énergies renouvelables à l’horizon 2030. Les investissements sont plus étrangers que locaux puisque cette industrie demande des investissements énormes. 43% du fonds de l’énergie est consacré aux énergies renouvelables, notamment photovoltaïques. Actuellement, un projet de loi baptisé «Touyour» attend adoption par l’ANC. Il s’agit de produire de l’électricité à travers les privés par le biais des énergies renouvelables, soit le vent, le soleil ou les déchets. Le projet a mis en place des incitations pour investir dans de tels projets.
Le nucléaire
Selon M. Nidhal Ouerfelli, Secrétaire d’État chargé de l’Énergie et des mines, d’ici 2030 le nucléaire ne pourra pas être une solution pour la Tunisie. Car le réseau de la STEG ne peut pas supporter les installations du nucléaire malgré le renforcement des capacités de la STEG d’ici 2030. Les réacteurs demandent également un investissement énorme que la Tunisie ne peut assumer. Sans oublier le problème des déchets nucléaires auxquels nous devrions faire face.
Finalement, les représentants qui participaient à la réunion de Nabeul ont été unanimes pour souligner l’impératif de diversifier les sources d’énergie en Tunisie, à travers la promotion des énergies renouvelables et alternatives dans la région de Nabeul qui abrite des entreprises à moyenne employabilité. M. Mohamed Akrimi, le représentant régional de l’agriculture a appelé, dans ce cadre, à exploiter les déchets organiques pour la production de l’énergie au lieu du gaz de schiste, qui selon lui demeure polluant. Pourquoi n’y a-t-il que des opérateurs étrangers qui explorent le sol tunisien s’est interrogé un représentant de la société civile ? M. Yassine Mestiri, directeur des projets à la société tunisienne des activités pétrolières (ETAP) a expliqué que celle-ci est toujours associée à tout projet d’exploration en Tunisie. L’ETAP ne peut s’investir dans l’exploration, car cela coûte de l’argent. En effet, explorer un puits coûte 13 millions de dinars. De plus, seulement un puits sur dix exploré est positif. Rappelons que suite aux débats organisés sur tout le territoire, les grandes lignes de la stratégie énergétique nationale seront examinées fin octobre 2013, lors d’une réunion ministérielle et soumises, par la suite, à l’Assemblée nationale constituante pour approbation.
Najeh Jaouadi
Lancement du dialogue national sur l’énergie
Le 27 juin dernier, le ministre de l’Industrie, Mehdi Jomaa, a lancé le débat national sur l’énergie en présence de Moncef Marzouki, président de la République et d’Ali Laarayedh, chef du gouvernement. La cérémonie du lancement du débat a enregistré la présence des membres du gouvernement, de l’ANC, des représentants des organisations nationales, en l’occurrence l’UGTT et l’UTICA, des partis politiques et des ambassadeurs de différents pays. Il s’agit d’une initiative du ministère de l’Industrie visant à évaluer le secteur et à définir ses orientations. Le débat doit se tenir dans le cadre d’un dialogue transparent et responsable. Ce débat sera une occasion pour aborder des sujets à polémique, à savoir le nucléaire et le gaz de schiste. Ce dernier est un sujet de controverse depuis l’annonce d’octroi d’un permis d’exploration à la société Shell. Ce débat est une occasion pour informer la population que la Tunisie ne dispose pas de gisements pétroliers, bien au contraire, ses réserves s’épuisent considérablement. Le débat national sur l’énergie a été officiellement lancé à Nabeul et sillonnera tout le territoire. La prochaine rencontre se déroulera à Béja.