La Tunisie au bord de l’explosion sociale : L’amnistie ou la révolte

La Tunisie est dans l’impasse et Kaïs Saïed, seul, au pied du mur. Les Tunisiens sont confrontés aux pénuries, à la flambée des prix et à la pauvreté. Dans trois mois, les élections législatives sonneront le glas du processus du 25 juillet si Saïed n’allège pas sa carapace et sa droiture. Il doit annoncer trois amnisties et se faire entourer de compétences nationales dans tous les domaines. Il y a urgence. L’explosion sociale semble imminente.

Après consultation du président de l’Isie, le président doit promulguer la nouvelle loi électorale avant le 17 du mois courant, trois mois avant les élections législatives. Les partis d’opposition ont déjà annoncé le boycott du scrutin. Ils doutent bien que le contenu de la nouvelle loi électorale ne leur fera aucune concession, d’autant qu’il est minutieusement préparé sous les auspices du président Kaïs Saïed. Le mouvement Ennahdha et deux de ses alliés –Al Karama et Qalb Tounes—, sont confrontés à la justice dans le cadre d’enquêtes judiciaires visant, ou ayant visé, leurs chefs ou dirigeants respectifs. Les autres opposants refusent de cautionner le processus politique engagé par Kaïs Saïed qui a considérablement réduit le rôle des partis dans la vie politique et dans le prochain Parlement selon les dispositions de la nouvelle Constitution adoptée par référendum le 25 juillet dernier.
A quoi vont ressembler ces prochaines élections ? Considérant la flambée des prix de tous les produits, dont ceux de première nécessité et leurs pénuries désormais chroniques, et les changements qui affectent le quotidien d’une grande majorité des Tunisiens incapables d’assurer les besoins de leurs familles, ce qui fait craindre une explosion sociale imminente, le prochain scrutin ne devrait pas connaître un meilleur sort que celui de la consultation nationale et celui du référendum. Les Tunisiens ont d’autres soucis plus pressants et ont la tête ailleurs. Même l’incident diplomatique avec le Maroc, suite à l’accueil par le président de la République du chef du Polisario, n’a pu retenir leur attention. Le 17 décembre 2022, il y aurait des votants si les élections avaient bien lieu comme prévu, mais la participation sera faible et affaiblira davantage le processus du 25 juillet et l’autorité de Kaïs Saïed, même s’il détient tous les pouvoirs. Le bras de fer qui l’oppose aux magistrats suspendus par décret et soutenus par la corporation en est le parfait exemple. Le Conseil supérieur provisoire de la magistrature a décidé d’intégrer les magistrats révoqués par le président de la République, mais « réhabilités » par le Tribunal administratif, dans le mouvement annuel du corps des magistrats. La rentrée judiciaire prévue le 15 septembre risque d’ailleurs d’être compromise si le chef de l’Etat décide de ne pas ratifier le mouvement. 
Un autre élément risque aussi d’affaiblir Kaïs Saïed, le profil des nouveaux députés qui auront la charge de légiférer et de représenter le peuple tunisien dès le 17 décembre prochain. Des partisans de Kaïs Saïed, des sympathisants et des « Juillettistes ». Quelles compétences et quelles expériences auront-ils ? Les craintes sont réelles et ne sont pas exagérées au vu de certaines nominations à des postes-clés de l’Etat : des chômeurs sans expérience ni dans l’Administration ni dans la gestion ni dans la planification ni dans la prospection. Au vu également des profils d’autres personnes qui ont participé à la campagne référendaire ou à ce qui était désigné comme les coordinations de Kaïs Saïed, des groupes qui se sont portés volontaires pour expliquer son projet politique, à sa place. Les Tunisiens rebutent désormais les néophytes de la politique et les opportunistes qui s’emparent du pouvoir. Ils en ont fait l’expérience en 2011 avec les islamistes et leurs alliés de la Troïka, en 2014 avec le couple Ennahdha-Nidaa Tounes et en 2019 avec Kaïs Saïed.  

Amnisties judiciaire, financière et familiale
La Tunisie est en panne et est dans l’impasse. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, le compte à rebours a commencé, on y annonce presque une révolte sociale imminente. Les Tunisiens déçus sont de plus en plus nombreux. Ils sont quasiment certains que Kaïs Saïed ne concrétisera pas leurs rêves, même pas ses promesses. Il n’a pas pu assainir le pays de la corruption et faire juger les terroristes, les traîtres, les détourneurs de fonds publics et les corrompus, malgré ses incessantes tentatives d’épingler les spéculateurs et les corrompus. La dernière en date et des plus inédites remonte à vendredi 9 septembre quand le président de la République exhorta les banques à « enquêter sur leurs clients ». Une aberration. Avec ses pleins pouvoirs, Kaïs Saïed est seul face aux magistrats, aux journalistes, aux syndicats, aux contrebandiers, aux spéculateurs, aux corrompus et ne peut gagner aucun bras de fer. Il va droit vers le mur et sa fin est imminente. 
Kaïs Saïed est un homme intègre, droit et naïf. Ce n’est pas un manipulateur ni un tacticien. Il a confiance en la justice, mais pas aux magistrats, du moins en certains d’entre eux qu’il a écartés des tribunaux et des instances judiciaires. Sinon, il n’a confiance en personne, sauf en quelques-uns de ses proches. Il a donc fait le vide autour de lui et s’est privé de l’aide précieuse de nombre de compétences nationales dans tous les domaines qui auraient d’ailleurs pu l’aider à gagner ses bras de fer. 
A l’imperturbable Kaïs Saïed, il ne reste plus qu’une solution pour sortir de l’impasse, pour faire baisser la colère sociale et peut-être éviter la révolte populaire : décider de lui-même d’amnistier tout le monde sauf ceux impliqués dans des affaires de terrorisme et de haute trahison et de faire appliquer les lois avec la rigueur requise sous la nouvelle république. C’est la solution pour débloquer le pays et remettre en marche ses machines. Il s’agira pour Kaïs Saïed de décider une amnistie judiciaire et une amnistie financière tout en veillant à écarter des postes-clés tous les responsables qui ont failli à la morale et à l’éthique de leurs professions. Beaucoup de Tunisiens qui attendent avec impatience la reddition des comptes seront mécontents, mais Kaïs Saïed gagnera la sympathie d’autres Tunisiens, nombreux aussi. Troisième initiative, incontournable : une amnistie familiale. Les Tunisiens rebutent également l’ingérence des familles des chefs d’Etat dans les affaires politiques. Bourguiba et Ben Ali en ont payé les frais. Kaïs Saïed n’échappera pas à la règle s’il n’agit pas à temps, à savoir éloigner ses proches et faire appel aux compétences nationales dans tous les domaines. Saïed n’a plus de temps à perdre s’il veut réussir les élections législatives du 17 décembre prochain et instaurer la nouvelle république sur des bases solides. Réussir des élections, c’est mobiliser les électeurs, c’est faire participer le maximum possible de citoyens à la concrétisation d’un projet politique, économique, social et culturel. Réussir des élections, c’est renforcer la confiance du peuple en leur chef et donner l’espoir aux jeunes. Kaïs Saïed et les Tunisiens n’en sont pas là. Les jeunes sont en train de mourir par dizaines, noyés dans les eaux de la Méditerranée et les autres pensent à partir en famille. Le pays se vide de ses compétences, de ses cerveaux, de ses jeunes et de ses adultes. Que restera-t-il de la République ? De quoi, avec qui Kaïs Saïed veut-il bâtir sa nouvelle république ? 
Le sauvetage de la Tunisie n’est bien sûr pas de la seule responsabilité du président de la République même s’il détient tous les pouvoirs. On ne cessera jamais de répéter que seul, il ne pourra rien faire ni pour lui ni pour les Tunisiens. 
Seul, c’est sa défaite et celle de la Tunisie qui s’annoncent. 

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