La Tunisie dans le contexte euro-méditerranéen en mutation : Islamismes, transitions démocratiques et mutations économiques

Jeudi 24 Avril, à 9 heures du matin, s’ouvrait la dix-septième édition du Forum International de Réalités. Cette année, le thème de l’événement s’intitule «La Tunisie dans le contexte euro-méditerranéen en mutation. Islamismes, transitions démocratiques et mutations économiques». La salle est comble, les six intervenants sont prêts à s’exprimer. Parmi les conférenciers inaugurant le Forum on trouve Madame Élizabeth Braune, représentante résidente de la fondation Friedrich Ebert en Tunisie, Monsieur Alexandre Zafiriou, Conseiller de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie, Monsieur Senén Florensa, Président du comité exécutif de l’IEMed et secrétaire des Affaires étrangères du gouvernement de la Catalogne, Monsieur Hervé Morin, ex-ministre de la Défense française (2007-2010) et cofondateur du parti politique de l’Union des Démocrates indépendants, Monsieur Hafedh Ben Salah, ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, Monsieur Taïeb Zahar, Président du Forum international de Réalités, organisateur de l’événement. La séance inaugurale s’ouvre sur les allocutions de Messieurs Hafedh Ben Salah et Taïeb Zahar.

Le Président du groupe «Maghreb Médias» et du Forum international de Réalités, Taïeb Zahar, commence son discours par un vibrant hommage à la journaliste de Réalités, Azza Turki «enlevée à la fleur de l’âge par une cruelle maladie». Il parle d’une «brillante journaliste» promise à une «brillante carrière». Il poursuit son hommage, déplorant la mort, cette année, de l’homme politique «hors-pair» et homme de lettres, Habib Boulares. M. Boulares avait participé à plusieurs forums internationaux de Réalités en sa qualité de Secrétaire général de l’UMA. M. Zahar clame  nous perdons un ami proche et la Tunisie perd une des ses plus éminentes personnalités.»

Il remercie ensuite toutes les personnes, conférenciers, organisations, associations, partenaires qui ont accepté de participer à la 17e édition de ce forum, «lieu privilégié d’un dialogue constructif entre les élites du sud et du nord de la Méditerranée». Citant par la suite les parrains de ce colloque : La Fondation Friedrich Ebert, la Délégation de l’Union européenne à Tunis et l’Institut européen de la Méditerranée à Barcelone. Il remercie aussi les «entreprises privées qui nous ont soutenus» (…) «avec une mention spéciale pour l’entreprise Suisse SICPA.»

S’en suit alors un plaidoyer, tout d’abord sur l’importance d’un tel forum  par un média qui «mise depuis des années sur une approche constructive fondée sur la promotion des valeurs de dialogue et de tolérance, dans un espace qui nous est cher, l’espace méditerranéen.»

Puis sur les acquis de la Révolution évoquant le jeune Bouazizi qui a fait passer, par son sacrifice, la Tunisie à l’état de pays libre et démocratique «rejoignant le concert des pays développés», l’ex-pays sous la dictature et l’oppression passe «du rêve à la réalité.» Il souligne que sur le plan économique «les doutes sont persistants. Les finances sont au plus mal et les investissements sont en panne. Le chômage ne décélère pas et les régions défavorisées de l’intérieur continuent de l’être

Mais le sacrifice des martyrs pour l’accès à la démocratie, l’assassinat de personnalités politiques pour «une Tunisie où règne la justice sociale n’a pas porté ses fruits, mais l’espoir n’est pas interdit, surtout depuis qu’un gouvernement de compétences a pris en charge le destin du pays

 

Des acquis de la Révolution

M. Zahar souligne les conséquences positives qu’a permis la Révolution de Janvier 2011 : «l’élaboration au forceps d’une Constitution consensuelle (…) la mise en place d’une Instance indépendante pour les élections garante d’élections transparentes, la promulgation (…) de la loi électorale, la liberté d’expression sans réserves dont bénéficient les journalistes et qui nécessiterait d’être autorégulée par des instances comme la HAICA pour l’audiovisuel et un Conseil de Presse pour la presse écrite qu’il faudrait créer au plus tôt.»

Il salue l’implication de la société civile dans les acquis de la Révolution, il souhaite la voir «continuer à jouer son rôle pour rapprocher les points de vue et créer les conditions du vivre ensemble». «La Tunisie est pour tous les Tunisiens et nul ne doit être exclu pour réussir cette transition démocratique. Hormis ceux qui ont choisi la violence.»

 

Le rôle de l’Europe

M. Alexandre Zafiriou, ministre conseiller à la Délégation de l’Union européenne, commence son discours par le suivi de l’Union européenne des «évolutions politiques historiques survenues suite à la Révolution de 2011 en Tunisie, les difficultés, les impasses».  Il exprime l’émotion avec laquelle l’Union a suivi les efforts du pays «qui, à travers un dialogue inclusif, a obtenu un résultat extraordinaire qui fut l’adoption de la nouvelle Constitution tunisienne». Ce qui a prouvé l’importance et la force de la société Civile en Tunisie souligne l’intervenant.

Au nom des 28 membres, les institutions de l’Union européenne se sont exprimées sur le sujet de la démocratisation de la Tunisie, en exemple, «le Président du Conseil européen Herman Van Rompuy, lors de son discours à l’occasion de l’adoption de la Constitution a exprimé son émotion devant les accomplissements de la société tunisienne qui a payé un lourd tribut humain pour les atteindre».  Insistant aussi sur les conclusions du Conseil de l’UE du 10 février 2014 où les pays ont réaffirmé l’appui de l’UE à la transition en cours en Tunisie et félicités l’adoption de la nouvelle Constitution «et les efforts conjoints des autorités, des acteurs politiques et de la société civile, notamment à travers l’action du Quartet.»

Il traite ensuite le sujet du Conseil d’association UE-Tunisie qui s’est tenu le 14 avril dernier au Luxembourg. La réunion a permis de sceller l’accord politique «sur le partenariat privilégié, concrétisé par le nouveau Plan d’action et sa matrice, identifiant les actions prioritaires jusqu’en 2017». Le partenariat comprend un ensemble de «principes, valeurs et objectifs communs à transposer en actions concrètes». Im promeut le dialogue politique et dessine les défis liés aux «conditions socioéconomiques, à la gouvernance démocratique et l’accès aux services sociaux pour l’ensemble des citoyens.»

La Tunisie est le pays qui a le plus réussi sa transition si l’on se base sur le «Partenariat pour la démocratie et la prospérité avec le Sud de la Méditerranée signé en 2011 ». Même si des efforts restent à faire sur l’amélioration des conditions de vie des couches de la société les plus défavorisées.

Monsieur Zafiriou termine son discours en se référant «au lancement le 11 avril 2014 à Tunis du projet «Mobilisation de la société civile» dans le suivi des relations entre l’UE et la Tunisie». L’initiative a été portée par le Réseau euro-méditerranéen pour les Droits de l’Homme et la Délégation de l’UE en Tunisie. Son but : la mobilisation et l’implication de la société civile dans les relations UE-Tunisie.

 

La Fondation Friedrich Ebert

Mme Elizabeth Braune, représentante de la Fondation Friedrich Ebert en Tunisie commence son discours en remerciant les participants et en déclarant l’honneur qu’elle ressent à participer à ce 17e Forum de Réalités. Elle indique que «c’était en partenariat avec la fondation Friedrich Ebert que le premier forum de Réalités a eu lieu en 1997.»

L’association, fondée en 1925, est la plus ancienne fondation politique allemande selon Madame Braune. Elle poursuit en précisant que le nom de la fondation vient du premier président démocratiquement élu en Allemagne et c’est dans cet esprit que Mme Braune cite : «la démocratie a besoin de démocrates», que la fondation organise pour plus de dialogue, de développement et de démocratie, des débats et conférences, des formations, bourses d’études et programmes de recherches en Allemagne et dans le monde.

«Le bureau de la Fondation Friedrich Ebert, présent à Tunis depuis 1988, est devenu après une longue période où la marge de manœuvre de ces actions était très restreinte, l’un des bureaux les plus actifs de la région». Elle indique qu’après la Révolution, la fondation  a pu élargir le champ de ses activités notamment «dans le soutien de la société civile.»

Elle déclare que depuis la Constitution la Tunisie arrive à affirmer son choix stratégique «d’adhésion aux valeurs de la démocratie, de la justice sociale et du respect des droits humains». Mais l’enjeu concerne les élections à venir, selon l’intervenante, qui seront décisives pour la  mise en œuvre concrète pour la matérialisation juridique des principes constitutionnels. Concernant la société civile « je n’ai aucun doute que les activistes de la société civile ne changeront pas d’avis jusqu’à ce que ses attentes soient prises en compte

Mme Braune termine son allocution avec une citation du président Friedrich Ebert. «Sans démocratie, pas de liberté, la protéger et la rétablir partout où on lui a porté atteinte, tel est le devoir de ceux qui aiment la liberté.»

 

Allocution de Senèn Florenza

Le président du Comité exécutif de l’IEMed et secrétaire des Affaires étrangères du gouvernement de la Catalogne débute son allocution en plaçant le moment où se déroule le colloque dans une période très importante pour la Tunisie face à ses défis.  «Nous nous réjouissons de la Constitution, non seulement du texte, mais du fait d’avoir approuvé une constitution consensuelle par une méthode consensuelle». «Chacun a prononcé une partie de son desideratum maximal pour établir ce terrain commun». Il qualifie cette élaboration de Constitution comme un système de valeurs communes et un ensemble de lois formelles fondées sur la démocratie, les Droits de l’Homme, les libertés civiles et la séparation des pouvoirs. «Vous êtes en train de construire un système de partis politiques où le citoyen compte». «Ce sera un grand succès pour rentrer dans une normalisation avec un système établi qui fonctionne déjà avec une instance qui gère l’affaire (les élections), un gouvernement compétent qui gère la transition pour passer le pouvoir au nouveau gouvernement issu d’élections». Il interpelle l’audience, insistant sur un effort de longue date de tous les Tunisiens pour la réussite du système rappelant que la Tunisie a été le premier pays du monde arabe à s’être doté d’une constitution en 1861.

Il insiste ensuite sur les défis de la transition que la Tunisie est en train de surmonter, suscitant beaucoup d’espoir en la Tunisie et dans le monde.  Même «du point de vue des partis islamistes en Tunisie, il faut voir que non seulement ils se réclament de la démocratie, mais ils se sont accordé à accepter une Constitution laïque et ont quitté volontairement le pouvoir, c’est une première dans le monde arabe !»

Il aborde le défi de la sécurité interne qualifiant les extrémistes de «fous» que le gouvernement est en train de sanctionner. Et le défi externe, comprenant les fuites d’armes consécutives à l’explosion du régime libyen et qui circulent dans la région et génèrent la violence. Il présente le défi économique, à court terme, qui est arrivé à financer les services publics pour la paix sociale. «Vous avez aussi besoin de faire des réformes économiques nécessaires à court, moyen et long terme» déclare-t-il. Il dresse un parallèle entre le début de la République espagnole après la chute du franquisme et la nouvelle République tunisienne avec un pacte national en exemple. Il salue, par ailleurs, la compétence du gouvernement actuel de transition tunisien. «La Tunisie est maintenant l’exemple et doit continuer à l’être pour le monde arabe» indique M. Florenza.

 

Allocution de Hafedh Ben Salah

Le ministre de la Justice identifie «trois composantes» dans le thème proposé par le Forum : «voir, étudier et analyser les interactions entre, d’une part, les islamistes, la transition démocratique et les mutations économiques». Selon le ministre, il n’est pas chose aisée de voir comment ces trois composantes s’agencent et surtout quels enseignements on peut en tirer. Il souligne l’aspect comparatif du forum entre la Tunisie et d’autres pays comme l’Égypte. Le sujet englobe «la transition politique, démocratique, mais aussi des problèmes économique et de relations internationales».

Au lendemain du Printemps arabe, l’Europe «a conscience de la nécessité d’opter pour de nouvelles stratégies à l’égard de son voisinage en mutation».  Il insiste sur l’impératif de construire ensemble un partenariat euro-méditerranéen avec une vision qui tienne compte des défis à relever.

«Des réformes structurelles ont été entreprises afin de relancer l’économie de notre pays, notamment avec une refonte du Code des investissements qui consacre la volonté des autorités tunisiennes d’adhérer aux principes internationaux, de rééquilibrer les incitations pour les sociétés on-shore et off-shore, de réviser les restrictions sectorielles et non sectorielles ainsi que les procédures d’approbation». Pour rétablir un climat favorable aux affaires, ces réformes doivent s’effectuer indique le ministre de la Justice. «C’est dans ce contexte que la Tunisie a adhéré en mai 2012 à l’initiative de l’OCDE en faveur de l’investissement en Afrique». Elle a accepté l’accès du territoire national aux investisseurs étrangers, de se soumettre aux procédures de l’OCDE de règlement des contentieux et de promouvoir la conduite responsable des entreprises. Pour le ministre, «la recherche du consensus le plus large demeure la seule voix plausible et réaliste en vue d’asseoir cette transition»

 

Allocution d’Hervé Morin

Sur un ton grave, l’ex-ministre de la Défense française fait part de son émotion concernant l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010. Il fait alors un parallèle avec le 20e siècle «Jan Palach s’immolant place Venceslas en janvier 1969 pour protester contre la répression du Printemps de Prague par l’Armée rouge», insistant sur la symbolique de ces deux actes dans l’évolution de l’Histoire.

Il annonce ensuite une mauvaise nouvelle qui est le constat économique de l’actuelle Tunisie post-révolution. «Le taux de croissance annuel est tombé à 1,3% alors qu’il avoisinait les 6,7% avant la Révolution, l’inflation augmente à un taux annuel de 6,4%, l’activité touristique a diminué de 40%, le poids de la dette sur le PIB et le déficit augmente, le taux de pauvreté est encore très élevé qui touche 15 % de la population tunisienne, la déclaration de l’état de faillite de la Tunisie caractérisée, entre autres, par la carence de paiement des fonctionnaires, le chômage toujours inexorablement élevé (24%) dans certaines parties du territoire tunisien». Ce qui cause «la fuite des capitaux et l’augmentation de l’économie informelle.»

Il souligne ensuite les bonnes nouvelles de «la promulgation de la nouvelle Constitution tunisienne, le 10 février dernier, ce sont aussi les espoirs suscités par le nouveau gouvernement».

Il rappelle l’importance d’une union entre «les deux rives de la Méditerranée », les transitions démocratiques rapprochant les pays du Sud de la Méditerranée à ceux du Nord.

 

Comment renforcer l’union ?

Le ministre du gouvernement Fillon présente sa première proposition pour concrétiser une union entre les pays de la Méditerranée. «Sécurisation de l’espace euro-Méditerranée qui est le préalable nécessaire à la création d’une zone de libre-échange économique.»

Et de répéter que  «sécuriser notre espace commun politiquement, mais assurer la comptabilité de nos cultures et à tout le moins faire qu’elles se rapprochent et surtout pas qu’elles ne s’éloignent.»  Il pose la question de l’Islam et de la modernité, dénombrant deux problèmes. «L’Islam est un dénominateur commun par lequel on entend représenter l’ensemble du monde musulman malgré sa diversité»  et «l’Islam est un concept générique dans lequel l’imaginaire historique occidental fait converger plusieurs inconscients comme société dans laquelle la vie politique et la vie civile sont réglées par les normes coraniques.»

Il valorise alors ceux qui prônent «la modernisation de l’Islam» au contraire des salafistes qui veulent «l’islamisation de la modernité» en prenant en otage la «Res publica».

Il convient alors à l’Occident d’aider le monde arabe qui lui a fait connaître sa révolution en construisant des démocraties, évitant l’islamisme politique souligne le conférencier. Il souhaite l’engagement dans un «objectif global de sécurité pour la Méditerranée sur la base d’une perspective stratégique commune», pas seulement bilatérale, mais un engagement commun.

Il insiste alors sur l’intérêt de l’UE à travailler pour une coopération plus large avec l’Afrique sur les plans économiques et politiques pour «ancrer le développement durable, le co-développement, sécuriser les flux migratoires, contribuer à la formation de la jeunesse pour, in fine, tendre vers cette valeur ajoutée interculturelle et scientifique qui a toujours été au cœur de la civilisation méditerranéenne.»

«La Méditerranée n’est pas notre passé, elle est notre futur» proclame Hervé Morin.

Loris Guillaume

 

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