Je ressens ces derniers temps quelque chose que je n’aurais jamais pensé ressentir un jour. Quand je sors dans la rue, je ressens toujours un malaise général, un sentiment d’impuissance et de manque d’énergie, une sorte de désintérêt général.
Je constate que les gens dans la rue se sentent fatigués, triste et dégagent un sentiment d’inutilité et de perte de motivation et même d’espoir.
C’est en fait tous les symptômes de l’anxiété ou plutôt d’un état dépressif qui, lui, affecte l’humeur et le comportement devient caractérisé par une agitation quasi permanente.

Moncef Kammoun*
Le pays est en dépression collective
Les Tunisiens vivent en ce moment une dépression collective et ce n’est pas moi qui le dis. Selon « Business Insider », un sérieux site londonien d’information financière, la Tunisie est le second pays africain le plus déprimé. L’Organisation Mondiale de la Santé dans son rapport élaboré pour l’année 2012 sur le taux de suicides dans le monde a précisé que la Tunisie est classée au 7ème rang à l’échelle arabe.
Le rapport de l’observatoire social tunisien relevant du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux « FTDES » a révélé qu’on a enregistré au premier semestre de l’année 2018, 6.052 mouvements sociaux et 281 suicides et tentatives de suicide.
Durant l’année 2015 on a enregistré un cas de suicide par jour, soit 365 au total et la tranche d’âge varie entre 20 et 39 ans. Le suicide par pendaison vient au premier rang des moyens adoptés (58.63%), suivi de l’immolation (15.89%).
Durant le mois de janvier 2018, on a enregistré 1.490 mouvements de protestations et des manifestations spontanées contre 971 pour la même période de l’année 2017. Ces mouvements ont été organisés contre les situations économique, sociale, sécuritaire, politique et administrative du pays.
Les Tunisiens se sont réjouis de ce vent de liberté après la révolution, mais le pays a pris des années de retard à tous les niveaux et particulièrement en économie et finances.
La Tunisie s’est engagée après le 14 janvier 2011 dans un cercle vicieux : plus les citoyens ont peur de l’avenir, plus ils s’accrochent aux promesses des partis, sans que les gouvernements suivent et osent prendre des décisions difficiles, ils ont préféré plutôt le statu quo en détournant toujours l’attention des citoyens ce qui ne fait que reporter la prise de décision. Il est vraiment incroyable ce manque d’audace, ces blocages, cette peur du changement que je ressens en permanence.
La situation actuelle du pays est devenue le symbole des pires blocages qu’une société puisse rencontrer. En effet, les Tunisiens se sont trouvé dans une situation où ils ne pouvaient ni fuir, ni combattre. Chez nous les problèmes ne font que s’aggraver et la névrose collective, par conséquent s’accentue.
Personne au pouvoir, depuis la révolution, n’a osé dire la vérité pour retrouver la confiance.
Les Tunisiens ont de bonnes raisons d’être inquiets
La classe politique a choisi depuis 2012 la culture du détournement de l’attention alors qu’une communication saine entre les dirigeants et le peuple a toujours été une garantie de l’équilibre collectif et c’est, particulièrement, valable pour les moments de crise, où tout le corps social doit se solidariser pour affronter l’épreuve ensemble.
Tout le monde se rappelle du discours de Winston Churchill, l’homme d’État britannique
lors de son discours de succession de Neville Chamberlain au poste de Premier Ministre du Royaume-Uni qui, lui, gérait les affaires de l’Etat avec un gouvernement d’union nationale en maintenant le statu quo dans le Pays. Churchill prononce son premier discours à la Chambre des Communes qui reste dans tous les esprits des britanniques. Il a résumé son programme politique, connaissant la situation de son pays, de la façon suivante « Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang et des larmes». Or, loin de démoraliser la population, cette déclaration a bien galvanisé les Anglais et leur a donné la force de résister.
En Tunisie ce sentiment de dépression collective est lié au divorce entre les dirigeants et le peuple qui s’est de plus en plus aggravé.
Pour le citoyen dans la rue le pays se dirige de toute façon vers un scénario catastrophe avec un risque d’effondrement généralisé et c’est alors la peur du lendemain.
D’une semaine à l’autre, la panne que vit le pays a tendance à se généraliser : les Tunisiens, le visage crispé par l’angoisse et la rage de l’impuissance face à l’incroyable passivité de leurs dirigeants politiques et de peur d’un scénario cauchemar qu’on n’a rien fait pour l’éviter depuis la révolution de 2011.
Pour atténuer le phénomène de la protestation le FTDES recommande à l’Etat d’œuvrer à réaliser la justice sociale et l’égalité des chances dans toutes les régions.
Mais, aujourd’hui, de quel Etat on parle ? Est-ce de cet Etat qui devient un frein à la sortie du cauchemar…
Il faudrait à mon avis l’éliminer totalement (tout comme la classe politique) et nommer à la place une instance chargée des fonctions souveraines indispensables.
*M.K Architecte