Inéluctable affrontement ?

Désormais c’est l’impasse au niveau des négociations visant à sortir le pays de la crise. Le quartet qui parraine le dialogue a déclaré l’échec de son initiative, l’imputant à Ennahdha, alors que le parti campe sur ses positions. Va-t-on vers la confrontation ?

 

Dans une conférence de presse, tenue le lundi 23 septembre,  Ennahdha a de nouveau réitéré sa réponse à l’initiative du quartet. : «Nous acceptons la feuille de route proposée comme base du dialogue. Nous sommes prêts à déclarer la démission du gouvernement, mais les mesures réelles pour le dissoudre ne pourraient être prises qu’après l’adoption de la Constitution et la fixation de dates précises pour les élections», a affirmé Rafik Abdessalam, membre du bureau exécutif. Cette position confirme les accusations exprimées par Houcine Abassi, Secrétaire général de l’UGTT, qui a considéré, dans la conférence de presse de samedi 21 septembre que «le communiqué publié par Ennahdha (dans lequel elle a exprimé son acceptation de la feuille de route) est ambigu et qu’il permet des manœuvres, des interprétations et des lectures diverses». De ce fait, il a rejeté la responsabilité de l’échec du dialogue sur la Troïka en général et sur Ennahdha en particulier. Chose que le parti islamiste a refusé d’assumer. «Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’autre alternative politique que le consensus», a déclaré Abdelhamid Jelassi, coordinateur général du parti, «mais nous ne pouvons pas  aller vers l’inconnu. Il faut au moins adopter la Constitution.»

Cherchant à renvoyer la balle dans le camp du Front du Salut, le parti islamiste a indiqué que c’est l’opposition qui a bloqué le travail de l’ANC et qui a intensifié la dégradation de la situation économique dans le pays à travers  les revendications sociales et le blocage de la chaîne de production. Jelassi a aussi rappelé les concessions faites dans le passé par Ennahdha, en insistant sur le fait que son parti est «encore prêt à en faire pour le bien du pays.»

 

Encore une manœuvre

Finalement Ennahdha n’a pas changé sa position initiale, qu’il avait déjà exprimée au commencement des négociations à travers les déclarations d’Ali Laârayedh, le 26 août dernier : pas de démission du gouvernement actuel avant la finalisation de la Constitution et la création d’un cabinet de compétences chargé uniquement d’organiser les élections et dont le mandat ne dépassera pas deux mois. En revanche, Ennahdha et ses alliés ont exigé la reprise d’activité de l’ANC, avec toutes ses prérogatives et la création de l’instance indépendance pour les élections (ISIE.)

Le quartet a beau modifier son initiative en une nouvelle feuille de route en tentant de fixer un calendrier précis des différentes étapes à réaliser pour aboutir aux élections, Ennahdha maintient ses exigences. En effet, dans cette feuille de route présentée le 17 septembre dernier, il est question de réunir les deux parties prenantes de la crise avec le président de la République, Moncef Marzouki et le Chef du gouvernement, Ali Laârayedh, afin d’annoncer officiellement le début du «Dialogue national», en attendant que dans trois semaines à partir de cette date soit créé un nouveau cabinet de compétences. Le dialogue devrait se dérouler, désormais, entre les deux camps directement, sans intermédiaires. Quant à l’ANC, elle aurait la mission de finaliser la Constitution, d’adopter la nouvelle loi électorale, de créer l’instance pour les élections et de fixer les dates du scrutin. Tout cela dans un délai ne dépassant pas un mois.

Entretenant le suspens, le parti islamiste avait attendu jusqu’à la dernière minute pour donner son avis. Il a annoncé, à la surprise générale, son acceptation de la feuille de route dans un communiqué publié 20 septembre. Reste qu’il s’est prononcé sur tout, sauf sur la dissolution du cabinet de Laârayedh. En réponse aux accusations de manœuvres que lui a adressées le quartet, il a publié un deuxième communiqué dès le lendemain, pour exprimer «sa surprise des déclarations sanguinaires de certains responsables politiques et de certains membres de la Centrale syndicale», qui ont essayé «de faire porter la responsabilité de l’échec du dialogue national à Ennahdha, bien que la parti et la Troïka aient présenté une position claire.»

 

Ghannouchi, isolé ?

Visiblement, ce sont encore les durs d’Ennahdha qui sont à la manœuvre, en refusant de céder sur ce qui pourrait mettre en cause leur pouvoir. L’absence de Rached Ghannouchi lors de la conférence de presse du 23 septembre, alors que c’était lui-même qui l’avait souhaitée, comme le précise le communiqué de presse, confirme les analyses sur sa position désormais minoritaire dans son parti. Abdelfatteh Mourou, vice-président d’Ennahdha, n’a-t-il pas déclaré au journal algérien, Echourouq, le 21 septembre que «la fin de Ghannouchi en tant que dirigeant d’Ennahdha serait imminente, vu que celui-ci est cerné de part et d’autre par le Conseil de la  Choura et par le bureau politique» et qu’il «sera persécuté et écarté s’il fait un pas de plus vers les laïcs, car Ennahdha est entre les mains de jeunes radicaux qui se débarrasseraient de lui à la prochaine étape ?»

Même si le parti au pouvoir refuse de reconnaître qu’il n’est plus soudé comme auparavant, il existe actuellement une scission en son sein. Car  comment expliquer la remise en cause de la parole du chef ? Habib Ellouz et Abdellatif El Mekki n’avaient-ils pas annoncé, que les déclarations de Ghannouchi n’engagaient que lui-même, le lendemain de son passage sur Nessma TV, le 24 août dernier ? Béji Caid Essebsi, chef de Nidaa Tounes,  en a d’ailleurs fait un argument pour moquer son adversaire. «Si un membre de mon parti me dit que mes déclarations ne représentent que moi-même, je démissionnerai et regagnerai mon domicile», avait-il lancé lors du Conseil national de son parti, le 22 septembre. 

De l’aveu de l’opposition elle-même, Ghannouchi s’est toujours montré conciliant depuis le début de la crise. Essebssi ne rate pas une occasion pour louer la sincérité de ce dernier et sa volonté de trouver une solution.  Il est revenu, encore une fois, dimanche dernier, sur la rencontre à Paris réalisée à la demande du chef d’Ennahdha, qui a accepté la suggestion de BCE d’aller voir l’UGTT pour trouver une solution consensuelle à la crise. Depuis, des rencontres informelles ont eu lieu, entre les deux hommes dans leurs domiciles respectifs pour maintenir le rapport de confiance établi. L’initiative du président algérien Abdelaziz Bouteflika pour les convaincre de s’asseoir autour d’une même table en vue de sauver la Tunisie, a renforcé encore leur rapprochement. Ils sont tombés d’accord sur les grandes lignes de l’initiative du quartet concernant le gouvernement et l’ANC et ont même fini par se rejoindre sur la nécessité de changer le président de la République. Et ce rapprochement n’est pas du goût du clan des radicaux d’Ennahdha, qui y voient le début d’une remise en cause du pouvoir du parti islamiste.  La jeunesse du parti est en colère et considère qu’il (Ennahdha) a déjà fait beaucoup de concessions», a affirmé Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif, durant le point de  presse du lundi. «Ennahdha est qualifié, désormais, par ses partisans, comme le «parti des concessions», affirme, Rafik Abdessalam.

 

L’opposition en colère

Du côté de l’opposition, la colère gronde. Le Front du Salut se sent trahi. Accepter l’initiative du quartet ne s’est pas fait  sans douleur ni  concessions. Il avait mis la barre de ses exigences très haute au début de la crise : dissolution du gouvernement et de l’ANC. Ensuite, le Front a accepté la première initiative de l’UGTT, laquelle maintenait l’Assemblée, mais en limitant ses prérogatives. Six semaines sont passées, mobilisation populaire au Bardo et dans les régions, multiplication des rounds des négociations entamées sous l’égide du quartet et des ultimatums à répétition donnés à la Troïka, sans jamais être respectés. Mais cette dernière a campé sur ses positions. Le quartet s’est trouvé obligé de revoir son initiative pour l’adapter aux exigences des deux partis. Une nouvelle feuille de route a alors été présentée aux deux camps qui ont émis, au début, des réserves sur son contenu. Le Front du Salut a refusé le commencement du dialogue sans la démission du cabinet d’Ali Laarayedh, d’où sa déclaration, le vendredi, 20 septembre, qui réclamait cette démission «immédiatement».

Mais l’opposition a fini par céder. «Nous n’étions pas d’accord sur la nouvelle feuille de route, mais nous ne voulions pas donner un prétexte à la Troïka pour la refuser. C’est pour cela que nous avons appelé à une heure tardive l’UGTT, afin de lui exprimer notre intention d’abandonner cette exigence», explique Taïeb Baccouche, Secrétaire général de Nidaa Tounes. 

Le Front estime que désormais la balle est dans le camp d’Ennahdha et de ses alliés, qu’il tient pour coupables de l’échec. Il a même réussi à avoir le quartet dans son camp, qui lui a donné raison.

 

Vers la confrontation ?

L’affrontement serait-il inévitable ? À l’issue de son comité administratif tenu le week-end, l’UGTT a décidé un ensemble de mesures rendues publiques dans un communiqué daté du 23 septembre.

Il s’agit d’organiser des rassemblements publics dans toutes les régions et des sit-ins de protestation couronnés par une grande marche pacifique dont la date sera décidée plus tard. Ces mesures seront prises en coordination avec les organisations parrainant le dialogue. Le Front du Salut national a exprimé son intention d’appuyer ces rassemblements.

«Nous allons intensifier la mobilisation pour obliger le gouvernement à partir», a déclaré Taïeb Baccouche au Conseil national de Nidaa Tounes.

Quant à Ennahdha, tout en réitérant son intention de se mettre autour d’une table de dialogue, il n’exclut pas le passage à «d’autres options, si aucun accord n’est trouvé et si l’UGTT décidait de (lui) dicter ses conditions», a indiqué Rafik Abdessalam, lors de son intervention dans une émission télévisée sur Al Moutawasset, dimanche 22 septembre.

La Centrale syndicale a exprimé son intention d’attendre quelques heures, voire quelques jours, que le parti islamiste change de position  par rapport à la feuille de route proposée, sinon, elle mettra en application son plan.

La confrontation semble donc inévitable.

Hanène Zbiss

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