Depuis quelques jours, le retour de la statue de Bourguiba enflamme la toile et certains titres de journaux quant à eux assimilent Béji Caïd Essebsi à un soleil ayant brillé à Paris en commettant sa visite rendue à la capitale de l’Hexagone. Le point commun entre les deux ? Il y en a plusieurs… mais la finalité n’en est qu’une seule et unique !
La personnification du pouvoir, de la nation et du pays et les résumer en une seule personne ainsi que la volonté de vivre dans le passé, par le biais d’une personnalité ou la perpétuité d’un certain mode de fonctionnement sont les principaux points communs entre les deux.
Dans le cas de la statue à ramener, alors que diverses crises déchirent la Tunisie et que les menaces la guettent, ce retour, aussi justifié soit-il, n’est peut-être pas la priorité, du moins la couverture médiatique ayant été accordée à une décision qui n’a même pas encore été appliquée. Outre le timing mal choisi, cela peut renvoyer un signal négatif aux Tunisiens appréhendant le retour du passé et de son régime. Certains pourront instrumentaliser cela et l’utiliser justement afin de réveiller les susceptibilités.
Certes Bourguiba a beaucoup donné à la Tunisie qu’il a aimée jusqu’à son dernier souffle. Certes il a été le dirigeant arabe visionnaire et pragmatique à une époque où ses semblables se laissaient emporter par la passion dans leur décision. Il est aussi incontestablement le symbole, dans le monde arabe du progressisme et du courage politique dans la mesure où il a instauré des lois en faveur de la femme et de la famille qui, à l’époque étaient non seulement choquantes mais inenvisageables.
Il était le père de la nation, un père aimant, mais tyrannique et cela, on ne doit pas l’omettre car nous avons un devoir de mémoire ainsi qu’envers l’Histoire, mais aussi envers toutes les personnes ayant participé à l’édification de la Tunisie moderne et qui ont été par la suite omises et écartées. N’est-ce pas une perpétuité de cette tyrannie que nous rendons hommage à Bourguiba et continuons à écarter les autres ? Est-ce sain, dans une période où on construit de nouveaux repères, de l’Etat souverain, de la démocratie, de la liberté et de la citoyenneté, de transformer un symbole en un mythe ?
Est-ce sain alors que nous essayons de donner une nouvelle image et de nouveaux fonctionnements aux institutions telles que la présidence, le ministère de l’Intérieur, le parlement et toute institution symbolisant le pouvoir de continuer à faire planer le spectre du président père sauveur, dont toutes les avancées lui sont dues ?
Que la statue soit ramenée est certainement une justice rendue, mais en faire une victoire nationale est peut-être surdimensionné.
Revenons maintenant à certains titres de journaux qui perpétuent dans le présent toutes ces notions ci-dessus citées du président résumant la patrie et la nation. On a eu droit depuis quelque temps à des titres glorifiant le président actuel qui devient carrément un soleil aujourd’hui…
Ceux qui ont vécu les changements de pouvoir se souviennent que la veille du 7 novembre 1987, la télévision projetait l’image d’un peuple scandant « On sacrifiera âme et sang pour toi Bourguiba » et qui le lendemain de l’avènement de Ben Ali scandait « Longue vie Ben Ali ». Ces personnes là n’étaient pas des hypocrites. Ils attendaient le changement et ont cru en la nouvelle époque de Ben Ali entamée quand la Tunisie était au bord du gouffre. Ensuite, ce même peuple, les médias qui suivaient Bourguiba jusqu’à dans sa baignade et les acteurs politiques ayant accepté d’être une opposition fictive en ont fait un dictateur et un tyran.
Celui qui lit l’Histoire de la Tunisie saura que le Bey a été déposé par Bourguiba de la même manière, le certificat médical en moins, que ce dernier ait été déposé par Ben Ali. Ce dernier a par la suite pris la fuite, poussé à partir, par le peuple mais aussi en partie, par ceux l’ayant aidé à prendre d’assaut le palais présidentiel la nuit du 06 novembre 1987, à savoir les agents de la sécurité nationale s’étant impliqués le 14 janvier dans le processus de la révolution.
S’il y a une leçon à en tirer est qu’il faut cesser de glorifier des personnes pour ensuite s’en détourner quand la tyrannie de ces dernières se retourne contre elles et cause leur chute et que des décennies plus tard on les regrette et on cherche à leur rendre justice et hommage. Pour certains, cela n’a pris que quelques mois pour regretter, déjà, Ben Ali.
Alors au lieu de vivre dans le passé, rendons justice à l’Histoire de la Tunisie et écrivons la avec objectivité sans que chaque nouveau dirigent n’efface des livres scolaires celui qui l’a précédé. Rendons justice à l’Histoire, mais vivons notre présent et concentrons nous à construire notre avenir…