On le croyait, il y a deux semaines, condamné au départ, tellement la pression exercée par l’UGTT était insoutenable et son obstination grande pour provoquer une crise gouvernementale au moment où tous les projecteurs auraient dû être orientés vers les premières élections municipales depuis 2011, mais Youssef Chahed a fini par rebondir, en ne se contentant plus d’accuser les coups, mais en se montrant plus que jamais dans une posture offensive. Son audition, vendredi dernier à l’ARP, lui a offert l’occasion de dire tout haut, ce qu’il a souvent tu, ou dit à demi-mot. Poussé dans ses derniers retranchements, il a livré son dernier combat, réussi à préparer méthodiquement sa contre-offensive et à se montrer serein et confiant.
Il n’a pas mâché ses mots et la mise au point qu’il a apportée, quoique trop tardive, a été plus que nécessaire pour lui, pour sa crédibilité. Avec le pourrissement de la situation sur les fronts politique, économique et social, l’exacerbation des tensions et le brouillage des cartes, sachant qu’il n’a plus rien à perdre, il a joué sa dernière carte de survie.
Il n’a pas reculé à orienter ses flèches vers tous ceux qui ont cherché son départ ou douté de l’aptitude de l’équipe gouvernementale à initier les réformes essentielles ou à présenter un programme qui permet au pays de trouver une piste de sortie de crise. Il a été tantôt accusateur, tantôt sévère envers les parties qui font tout pour pourrir la situation, empêcher que les élections municipales se tiennent à la date fixée, tout en faisant régner une tension asphyxiante.
Qu’il s’agisse de la réforme du système éducatif, des caisses de sécurité sociale, des entreprises publiques… Youssef Chahed a omis de pointer du doigt l’UGTT, mais son message a été clair, en affirmant qu’autant tout le monde est d’accord sur le diagnostic, autant les intérêts corporatistes s’interposent pour empêcher d’aller de l’avant.
La réaction de Noureddine Taboubi, Secrétaire général de la Centrale ouvrière, a trahi les vraies intentions de l’UGTT, visiblement froissée par le discours de Youssef Chahed, de sa confiance retrouvée et de la défense de la qualité des réalisations que son gouvernement a pu accomplir dans un contexte instable et difficile.
Cette audition à l’ARP a été l’alibi trouvé par l’UGTT pour poursuivre sa « croisade » contre la personne du Chef du gouvernement, en développant un discours vindicatif, d’une rare violence, successivement à Sousse et à Bizerte, où Taboubi n’a juré que par le départ de Chahed et de son équipe. Son crime est d’avoir osé franchir le Rubicon, en mettant sur la table l’impératif de se dessaisir des canards boiteux opérant dans les secteurs concurrentiels, d’engager sans tarder la réforme des caisses de sécurité qui sont au bord du gouffre.
Une seule phrase trahit le projet de la Centrale ouvrière. Elle a été prononcée samedi dernier à Sousse par Noureddine Taboubi qui a adressé un message sans ménagement à Youssef chahed : « Tu as choisi la guerre, tu l’auras ». Un dérapage ahurissant et un excès de langage innommable.
Il n’y a pas que l’UGTT qui surprend l’opinion publique par ses errements, les élus de la nation ont fait pire, reflétant, coup sur coup, leur haut degré d’inconscience et d’insouciance quand l’heure est grave ou quand le sens de la responsabilité les oblige à assumer pleinement leur mission.
Les images véhiculées par les médias, que ce soit lors de l’audition du Chef du gouvernement ou lors de la plénière qui devait prendre une décision sur la prolongation de la mission de l’IVD, ont suscité colère, consternation, dégoût et un brin d’amertume. S’il est devenu le haut lieu des surenchères politiciennes, des règlements de compte entre différents blocs parlementaires et pour les inepties, l’hémicycle du Bardo a inauguré depuis la semaine écoulée un nouveau cycle qui ne fait que tirer cette jeune démocratie vers l’arrière, tout en poussant à des interrogations lancinantes. Du pugilat et du politiquement incorrect, les députés de l’ARP basculent dans le ridicule, la vulgarité et même l’obscénité.
Ammar Amroussia s’est distingué vendredi par son écart de langage et surtout par la vulgarité de ses propos. Le lendemain, Mabrouk Herizi, député d’El Irada, a fait mieux, en déclarant avec une légèreté déconcertante, qu’il était « venu en kamikaze et qu’il allait faire exploser toute l’Assemblée». Tout ce qui se passe dans le pays pousse à dire que la Tunisie est mal partie par la faute de sa classe politique et de ses organisations nationales. n