La Tunisie et le FMI: Les non-dits du dernier accord

Le Conseil d’administration du FMI vient de conclure le vendredi 23 mars dernier la seconde revue de l’accord de facilité étendue et a décidé le décaissement de la troisième tranche de 257,3 millions de dollars à la place des 320 millions de dollars comme indiqué auparavant. Cette décision est importante dans la situation actuelle de l’économie tunisienne pour au moins deux raisons. D’abord, ce décaissement va venir soulager des finances publiques en grandes difficultés financières. La seconde est que l’appui du Fonds sera de taille pour la confiance des investisseurs particulièrement à quelques jours de notre sortie sur les marchés internationaux de capitaux pour un emprunt obligataire de 1 milliard de dollars.
Cependant, au-delà de cette conclusion heureuse après quelques mois d’attente, ce qu’il faut noter et qui était passé inaperçu par la plupart des observateurs, c’est l’annonce faite par le communiqué du Fonds de passer à quatre revues par an au lieu des deux prévues dans l’accord initial. De sources gouvernementales, cette décision est purement technique et elle permet de décaisser la totalité des 2,9 milliards de la facilité. Or, du côté du Fonds, c’est un autre son de cloche qu’on entend et les responsables ne cessent de mettre l’accent sur les retards accumulés par nos gouvernements dans la mise en place des engagements pris. Ce changement d’optique avec des revues plus fréquentes permettra de suivre de manière plus étroite l’exécution des engagements pris par le gouvernement.
Revenons un instant sur les revues du Fonds et leur place dans l’examen de la coopération entre l’institution de Bretton Woods et les pays membres. Ces revues constituent un instrument essentiel pour examiner l’état d’avancement de la coopération et l’exécution des réformes, ou de ce qu’on appelle les repères structurels ou des conditionnalités du décaissement de l’appui financier du Fonds. Or, il faut mentionner que ces revues sont assez lourdes et demandent une forte mobilisation pendant une longue période des plus responsables de l’Etat, du Chef du gouvernement à plusieurs ministres et Gouverneur de la Banque centrale, ainsi que les hauts cadres de l’Administration comme la société civile, dans les travaux préparatoires, dans des négociations souvent pénibles au moment de la visite et ensuite dans le travail de suivi après le départ de la mission du Fonds vers Washington et en attendant l’examen par le Conseil d’administration.
La lourdeur des revues et l’énergie qu’elles demandent sont à l’origine des demandes répétées de la part des pays membres pour réduire leur fréquence. Mais, cette requête n’est pas simplement technique, elle est également politique dans la mesure où la réduction de la fréquence des revues laissera une marge de liberté aux pays dans la mise en œuvre des choix de politique économique et des conditionnalités. Il faut dire que le Fonds n’a pas été insensible à ces requêtes et a accepté la réduction du nombre de revues lorsqu’il se rend compte que les pays membres sont engagés de manière durable sur la voie des réformes et respectent les engagements pris.
Notre pays n’a pas échappé à cette règle. Les différents gouvernements ont eu une double demande depuis la signature de l’accord de stand-by en avril 2013. La première, c’est une plus grande flexibilité dans la mise en œuvre de nos engagements et la seconde, c’est la réduction du nombre de revues. Il faut dire que nous avons réussi à obtenir gain de cause sur ces deux aspects avec l’accord sur la facilité étendue signé en mai 2016. Si nous avons réussi, c’est que le Fonds était persuadé que notre pays était engagé de manière sérieuse depuis 2014 sur la voie des réformes et de la réduction des grands déséquilibres macroéconomiques.
Or, le changement annoncé par le FMI et l’addition de deux revues supplémentaires sont un signal du mécontentement du Fonds sur l’avancée de nos réformes et dans les engagements pris. D’ailleurs, le Fonds ne s’en cache pas en indiquant dans son communiqué final qu’il a accordé une dérogation au gouvernement dans la mesure où nous n’avons pas atteint un certain nombre de critères dont : le niveau des réserves internationales, le déficit fiscal primaire, le déficit courant et bien d’autres.
L’imposition de quatre revues annuelles est un tournant dans nos relations avec le Fonds et imposera un suivi beaucoup plus strict dans le suivi des politiques économiques mais également dans l’exécution des réformes. Particulièrement pour les politiques économiques, le communiqué indique la direction à prendre et qui doit s’inscrire dans une politique monétaire plus restrictive et dans une plus grande flexibilité du taux de change. Des questions se posent sur ces choix. Est-ce la voie à prendre ? La lutte contre l’inflation est certes importante mais la reprise de l’investissement, n’est-elle pas aussi importante ? Les choix de politique économique défendus par le Fonds ne risquent-ils pas de décourager l’investissement ? In fine, les choix de politique monétaire restrictive et de plus grande flexibilité des taux de change, ne sont-ils pas en contradiction avec les choix de politique économique du gouvernement de relancer l’investissement et sa politique budgétaire de relance ? Autant de questions qui demandent des réponses.
La coopération avec le FMI, comme avec toutes les autres institutions internationales, est essentielle pour notre pays, particulièrement dans le contexte de crise économique profonde que nous traversons. Mais, cette coopération exige un débat franc et ouvert sur nos priorités de politique économique et les moyens de mettre notre économie sur la voie d’une relance durable. Ce débat doit échapper à l’obsession de nos responsables de gestion de la crise des finances publiques et assurer nos engagements de fin de mois.n

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