La Tunisie face au terrorisme : Quelles failles dans notre système de sécurité ?

Dans la nuit de mardi à mercredi, à 23h42 et pendant 45 minutes, un groupe terroriste armé a véritablement pris une partie du quartier Ezzouhour en mains. Héroïques jusqu’au dernier souffle, les quatre agents affectés à la sécurité de la maison du ministre de l’Intérieur y ont laissé leurs vies. Faute de moyens de défense appropriés et surtout en l’absence de renforts et de secours médicaux, les forces de sécurité paient, ainsi, un lourd tribut.

Ridha Chebbi, Ali Ghodhbani, Naïfer Ayadi et Ridha Ajili sont tombés courageusement les armes à la main. Les deux derniers étaient âgés entre 20 et 21 ans, c’est dire que ce sont de nouvelles recrues jetées dans la gueule du loup. L’amateurisme du commandement est à son comble ! Le nombre d’assaillants terroristes oscille entre 15 et 20 membres et ils ont signé cet attentat au nom dudit «État islamique», mais on sait fort bien que ces noms génériques ne veulent rien dire ; il s’agit bien de wahhabites affidés à Al-Qaïda au Maghreb islamique ou encore à Ansar Acharia, ce qui revient péniblement au même..

Un plan d’attaque bien étudié

Il est quasiment certain que les assaillants savaient que le ministre n’était pas à son domicile. Seuls son épouse et ses enfants y demeuraient continuellement, ils ont évité de les attaquer et s’en sont pris uniquement aux agents de l’ordre. Comble du tragique, le domicile du ministre de l’Intérieur pris pour cible se situe à quelques mètres du district de la Garde nationale ! En dépit des coups de feu tirés pendant plus de 40 minutes, selon témoins, aucun renfort n’est venu à la rescousse des quatre agents. Aussi, les terroristes avaient bien préparé une réplique qui aurait pu être beaucoup plus sanglante à bien des égards, car les terroristes ont tenu les coins de la rue avec une lance-roquettes qui pouvait détruire n’importe quel véhicule des forces de sécurité se dirigeant vers le domicile du ministre de l’Intérieur. Le déficit sécuritaire dans cette partie du quartier était total ! Dans cette attaque, la symbolique et l’objectif pour les terroristes comptaient énormément, à savoir toucher le moral de nos forces de sécurité et pour dire clairement «on peut frapper quand on veut et où on veut». Les assaillants étaient encagoulés et circulaient à bord d’un pick-up, volé à des civils en bas de la montagne de Selloum (1314 mètres) à moins de 10 km de la ville de Kasserine et sans être inquiétés.

Qui sont ces terroristes ?

Selon notre collègue historien Alaya Allani, l’opération terroriste a été signée par une nouvelle formation qui s’est donné comme nom «l’État islamique», semblable à DAECH (État islamique en Irak et au Chem), mais il s’agirait peut-être d’une filiale au Maghreb ce qui serait nouveau. La revendication de l’opération par ce groupuscule n’a été diffusé qu’une seule fois et n’a pas été reprise par la suite. Il est fort probable,d’après les investigations des experts, que cette organisation n’existe pas, mais que cet usage soit voulu pour induire les investigations en erreur ; un trompe-l’œil pour tout dire. Les véritables criminels qui ont perpétré cet attentat terroriste ne sont autres qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique avec sa filiale la Katiba (brigade Okba Ibn Nafa). Ce qui renforce cette hypothèse, c’est que, depuis une dizaine de jours, Ansar Acharia en Libye et en Tunisie ont annoncé leur unification. On sait qu’Abou Iyadh, le terroriste tunisien le plus recherché, avait prêté serment au chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, l’algérien Droukdel, qui dirige les opérations au Maghreb sous l’égide de la brigade dite «Okba Ibn Nafa». En matière de propagande psychologique, ces noms de brigades et de formations terroristes ont un seul objectif, celui de perpétrer la terreur et la peur pour faire croire à l’«ennemi» l’existence d’une importante armée occulte. La fragilisation psychologique de l’adversaire commence tout d’abord par lui faire croire à une force démesurée à laquelle il a à faire face. Le fait d’égorger, de cribler de balles les policiers et de montrer leur détermination en perpétrant des opérations kamikazes, sont les tactiques habituelles de ces groupes terroristes.

On est quasiment certain, du côté des forces de sécurité, que les terroristes qui ont attaqué la maison du ministre de l’Intérieur sont les mêmes qui avaient égorgé nos huit soldats dans le Chaambi lors du mois de juillet 2013. Sofiène Sliti, porte-parole officiel du Tribunal de première instance de Tunis, assure, pour sa part, que des terroristes algériens faisaient partie du groupe armé qui a attaqué dans la nuit de mardi à mercredi le domicile du ministre de l’Intérieur à Kasserine. D’après les investigations préliminaires, le groupe d’assaillants, constitué de 15 à 20 éléments cagoulés et armés, est le même qui avait égorgé huit soldats tunisiens en juillet dernier et miné le djebel lors d’opérations terroristes à Kasserine. Un témoin oculaire, faisant partie des trois hommes auxquels les terroristes avaient volé la voiture pour l’utiliser dans l’opération de Kasserine, a affirmé que les vingt-quatre individus armés communiquaient par SMS.

Descentes  et arrestations à Kasserine

Deux frères suspectés d’être impliqués dans l’attaque ont été arrêtés dans la soirée de mercredi. Une autre descente des forces de sécurité a été effectuée au domicile d’un troisième individu suspecté. Les brigades antiterroristes ont effectué des descentes dans plusieurs quartiers de la ville de Kasserine, plus particulièrement dans le quartier d’Ezzouhour, à la recherche de suspects, bilan de l’opération,cinq individus ont été arrêtés pour interrogatoire. Il y a une conviction profonde que toute l’attaque contre le domicile du ministre de l’Intérieur a fortement mobilisé des éléments des «cellules dormantes» logées à l’intérieur de ces quartiers.

Positions et déclarations officielles après l’acte terroriste

Le porte-parole officiel du ministère de l’Intérieur, Mohamed Ali Aroui, a annoncé,, lors d’une conférence de presse organisée à Kasserine à la suite de l’opération terroriste, ,l’ouverture d’une enquête concernant les circonstances de l’intervention des agents de sécurité, qui ont tardé à intervenir d’après les témoins oculaires.

Le chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, a déclaré depuis plus d’un mois que «la menace n’est plus celle qu’elle était il y a quelques mois». «Avant, on était dans une lutte où l’on subissait. On avait des groupes qui infiltraient certaines zones urbaines (…), maintenant on est en train de progresser, d’aller les chercher dans leurs fiefs».

Or, la réplique de ces groupes terroristes est venue pour dissiper cette conviction et également démontrer que la région de Kasserine est un haut lieu choisi pour mener les actes les plus sanguinaires contre nos forces de sécurité et notre armée nationale.

Mercredi 28 mai, Mehdi Jomâa a réagi à l’attaque terroriste de Kasserine, déclarant que «cette attaque est une réponse des terroristes à l’opération préventive effectuée deux jours auparavant à Médenine».

L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) a, pour sa part, condamné fermement l’attaque criminelle qui a visé des agents des forces de l’ordre.

L’UGTT a vivement réagi à cette attaque et a exprimé son étonnement que le projet, tant attendu, de réunir un «congrès national pour la lutte contre le terrorisme» ne soit pas engagé.

Des failles flagrantes et des «limogeages» en cours

Face à cette attaque dans le fief même de la lutte antiterroriste, le syndicat de la Garde nationale réclame «le changement de la composition de la hiérarchie sécuritaire». À Kasserine,le chef du district a été «dégagé» par les agents des unités d’intervention à cause de son inertie qui a coûté la vie à quatre policiers qui n’avaient aucune expérience pour faire face à ce genre de situation et d’attaque. Les précautions prises ne répondent aucunement aux impératifs qu’exige une stratégie sécuritaire de haut niveau. Les syndicats affirment pour leurs parts, qu’ils avaient mentionné ces failles, depuis février dernier, , mais qu’aucune mesure n’a été prise. Une marche de protestation a été organisée par le syndicat de sûreté intérieure et qui a été suivie, jeudi 29 mai et vendredi 30 mai à Kasserine. Elle réclame les équipements nécessaires aux agents pour mener à bien leurs missions. Le Syndicat général de la Garde nationale a demandé une enquête sur les failles sécuritaires révélées par cette attaque..

La question centrale est de savoir comment des groupes armées jusqu’aux dents peuvent-ils attaquer en pleine ville, pendant si longtemps sans être inquiétés.

Où est la coordination entre les différents corps sécuritaires dont on nous rebat les oreilles régulièrement ? Pourquoi l’armée, qui est équipée de moyens appropriés et ditée d’hommes surentraînés n’a pas pu intervenir ? Ce qui étonne dans cet événement terroriste, c’est la thèse officielle avancée, selon laquelle les terroristes seraient descendus du djebel Selloum, situé à 10 km de Kasserine, pour effectuer cet attentat et puis revenir dans la même montagne. Ce qui est vraiment une thèse invraisemblable. Mais que font les forces chargés de ratisser la région de Chaambi et les régions limitrophes ?

Les vingt-quatre terroristes étaient sans doute cachés parmi la population et que jusqu’à aujourd’hui les renseignements peinent à déterminer leurs cachettes.

Les hypothèses avancées sont peu probables

L’attaque terroriste a encore fois démontré des failles colossales. Comment se fait-il que dans une zone de première importance dans la lutte antiterroriste et où le gros de nos forces de sécurité est mobilisé, puisse se produire une telle attaque sans susciter de réaction immédiate ? Aussi, faut-il signaler que des milliers de nos soldats ne sont qu’à quelques centaines de mètres du lieu du crime et qu’aucune coordination n’a été établie pour parer à de telles attaques… Ces questions taraudent tout Tunisien qui ne veut aucunement voir ses enfants mourir inutilement en raison de l’absence des mesures draconiennes qu’exige la situation. Il faut mentionner que la zone est mise sous haute surveillance depuis une année ; s’agit-il d’un relâchement, d’un manque de vigilance ? ?Certains évoquent même l’existence de complicités.

À quand le traitement des failles et la fin de l’amateurisme ?

Le gouvernement vient d’annocer des «mesures préventives» gardées secrètes.  Les décisions stratégiques d’envergure sont-elles prises ?  Depuis un mois, on entend parler de «pôle de lutte contre le terrorisme». On ne cessera jamais de le répéter. En l’absence de d’une telle structure, il est impossible de doter le pays d’une vision stratégique globale sur la question sécuritaire. Créer une Agence de sécurité nationale est le meilleur rempart contre toutes les menaces qui peuvent atteindre notre pays.La question n’est pas exclusivement sécuritaire.

Les pays développés, à l’exemple des USA et de la France, ont fondé ces institutions et ont pu trouver des solutions à de nombreux problèmes analogues aux nôtres. Par ailleurs, qu’attend le gouvernement pour instaurer un véritable débat national sur la question terroriste, la contrebande et toutes les questions en rapport avec notre sécurité nationale ?

Fayçal Chérif

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