La Tunisie nobélisée: Quand dire c’est faire

Aujourd’hui un grand merci surgit du cœur ému, ébahi et surpris de la Tunisie. Le chapeau tiré adresse le salut des rescapés au Comité norvégien habilité à décerner le prix Nobel de la paix. Une bouée de sauvetage au look providentiel annoncerait l’éventuelle sortie d’un si long tunnel creusé par l’insécurité, la récession et leur partie liée avec la bipolarisation. En marge de cet apport inespéré deux ou trois observations seraient à formuler. Par sa levée, récente, l’état d’urgence ajoute un atout primordial aux conditions de la sélection car elle signifie un meilleur contrôle du pays par l’Etat, sa police et son armée dans ce village planétaire où le prix Nobel peinerait à récompenser, tout de go, chaos. Prise trop tôt, selon des couards, la décision de clôturer l’état d’urgence exhale, à cet égard, un arôme prémonitoire.
Elle pose, à l’avance, un jalon sur la voie de l’élévation. Cependant l’accent mis par le Comité sur l’attribution du prix au quartet et non à ses membres envisagés de manière individualisée, suggère la deuxième idée. Les décideurs de la distinction paraissent fort bien renseignés. Selon Béji Caïd Essebsi, lui-même et Ghannouchi furent les piliers de ce “dialogue” valorisé par le Comité. Il permit d’éluder la guerre civile ravageuse de la campagne et faucheuse de la ville.
Mais gratifier la personne de Ghannouchi à la façon dont le Comité aurait pu citer les noms des élus, aurait soulevé un tollé. Bête noire du “Front populaire” le président d’Ennahdha s’attire, à chaque manifestation protestataire, la franche accusation des indignés par l’activisme des enturbannés. Et fuse le slogan sans cesse répété au vu et au su des policiers présents : « ya ghannouchi ya saffah ya qattel laroueh ». le président d’Ennahdha rassurait Abou Iyadh quant à l’homologie de leur objectif stratégique même si l’exigence de la patience différenciait les tactiques. Dans ces conditions l’immense, et agréable surprise ne saurait inscrire par pertes et profits la moins joyeuse posture des légions takfiristes plus ou moins soutenus par les formations islamistes.

Quelle fin de l’histoire ?
Devenue démocratique sur le papier, la société globale chemine peut-être encore sur les durs sentiers de la réalité. Néanmoins ce prix tend à évacuer l’installation de la dépression pour livrer le territoire à la mobilisation. Ce constat factuel cligne vers une lueur conceptuelle.
Presque tous attendaient l’entrée de l’éclairage par la porte grande-ouverte et le voici venu, soudain, à travers la fenêtre. Dynamique ou léthargique l’économique mène, certes, le monde social mais les systèmes symboliques le transforment aussi.
Or mis à part les sous donnés au quartet récompensé, le prix Nobel verse au dossier un ferment situé, pour l’essentiel, à l’étage du langage. Par ce biais culturel renaît l’espoir de voir enfin revenir le touriste apaisé avec l’investisseur davantage rassuré. Le champ politique ajoute son grain de sel puisque des chefs d’Etat occidentaux, appellent à une remise à flots du bateau. Ainsi le ciel des idées formulées peut influencer l’échec ou le succès de l’entreprise économique elle-même susceptible, à son tour, de modifier la trajectoire suivie par les autres niveaux sociaux. En matière d’explication, à mettre en œuvre dans le domaine des sciences humaines cet apport de la parole au geste vaut son pesant d’or.
Voici comment prend forme l’incidence de cette complexité sur la réalité. L’UTICA et l’UGTT assument, comme chacun sait, une fonctionnalité centrale dans le devenir de l’univers entrepreneurial.
Or le prix béni dégèle ce froid glacial infiltré entre madame Bouchamaoui et Abassi. Voilà pourquoi le dire à Oslo influence et encourage le faire à Tunis. Mais hélas deux rabats joie pourraient, déjà, pointer le bout du nez. Emportés par le vent de la satisfaction si bien esquissée par Azza Filali nous disions, au début de cet écrit : un grand merci rugit aux tréfonds de la Tunisie. Mais s’ils ne redynamisent, aussitôt, l’activité productive, commerciale et touristique, les enthousiasmes sont fait, pour bien vite retomber. OK pour le prix, mais après ? En outre, chez certains, le sentiment d’appartenance à la omma laisse-t-il encore place au sens de l’appartenance au pays de Bourguiba ?
N’en doutons pas ; les rêveurs au califat sont là, de part et d’autre des lisières frontalières en dépit du prix octroyé à la démocratie. Avec ou sans l’état d’urgence prévaut, donc, l’exigence de l’extrême vigilance. Le prix galvanise la Tunisie soutenue, entre autres, par les Américains à l’instant même où les Russes mettent les pieds dans le plat syrien. L’histoire du combat engagé contre les djihadistes réunis n’est pas finie.

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