La Tunisie peut-elle appliquer la clause de sauvegarde ?

Notre économie connaît une crise profonde depuis quelques années. L’aggravation des grands équilibres macroéconomiques, le déficit des finances publiques et celui de la balance courante, sont les manifestations immédiates de cette panne économique et de notre incapacité à opérer et à accélérer une transition économique vers un nouveau modèle de croissance capable de répondre aux attentes créées par la Révolution. Le débat économique porte aujourd’hui en partie sur les moyens de sortir de cette crise, de réduire la pression exercée sur les déséquilibres macroéconomiques et de relancer une croissance restée fragile et capricieuse.
La question du déficit de la balance courante, plus particulièrement celui de la balance commerciale, est au cœur des préoccupations et soulève beaucoup de tensions et quelques fantasmes. Il faut dire que les résultats publiés régulièrement par la Banque centrale attisent les inquiétudes et les peurs. Récemment, la Banque centrale a souligné une nouvelle dégradation de notre balance commerciale dont le déficit est établi pour les sept premiers mois de l’année à 8,6 milliards de dinars, soit en nette augmentation par rapport à l’année passée de 26%. Cette aggravation du déficit commercial est en train d’assécher nos réserves en devises qui sont retombées nettement en dessous du seuil de sécurité de 110 jours d’importations et dont seul le recours à l’endettement permet de les tenir à flots. Parallèlement à cet épuisement de nos réserves, la détérioration de notre position externe est à l’origine de cette descente aux enfers du dinar par rapport à l’euro et au dollar.
Comment faire pour réduire la pression exercée sur la balance commerciale ? Et, comment l’aider à retrouver un peu de sa bonne tenue d’antan ? Plusieurs propositions ont été suggérées notamment les réponses structurelles qui concernent une reprise des exportations et une amélioration de notre productivité et de la compétitivité de nos exportations et de nos entreprises sur les marchés étrangers. Mais, il s’agit de réponses à moyen et long termes. Or nous avons besoin de réduire la pression sur notre balance commerciale de manière immédiate.
Dans ce contexte, certains experts ont évoqué le recours à la clause de sauvegarde de l’OMC qui peut constituer une mesure d’urgence afin de faire face à cette augmentation rapide des importations particulièrement en provenance de certains partenaires commerciaux. Une proposition qui a suscité de l’intérêt et que beaucoup l’ont vue comme une planche de salut pour notre pays._
Or, qu’en est-il exactement et surtout pouvons-nous jeter notre dévolu sur cette fameuse clause de sauvegarde pour soulager notre balance commerciale ?
Les mesures de sauvegarde ont été mises en place par l’OMC dans un contexte de libéralisation commerciale. Mais, la nature de ces mesures et leurs conditions d’application rendent leur usage difficile comme le suggèrent beaucoup à l’encontre des importations en provenance de certains pays et particulièrement de la Chine et de la Turquie. En effet, contrairement à ce que l’on peut penser, l’objectif de ces mesures n’est pas de soutenir la balance de paiement mais de venir en aide à une branche ou à un secteur de la production nationale affecté de manière significative par une hausse imprévue, conséquente et subite des importations. Il s’agit de mesures d’urgence dont l’objectif est de soutenir un produit particulier ou une branche précise de l’économie nationale.
Par ailleurs, les mesures de sauvegarde, telles que prévues par les articles du GATT de 1994, s’appliquent à toutes les importations de tous les pays et ne peuvent par conséquent cibler un pays en particulier, ce que réclament ouvertement tous ceux qui appellent chez nous à l’usage de ces mesures. On ne peut pas par conséquent s’attaquer aux importations en provenance d’un ou de deux pays aussi importante soit la pression qu’ils exercent sur notre balance commerciale.
Il faut également noter que la mise en place de mesure de sauvegarde exige de la part de nos autorités d’initier une investigation rigoureuse afin de démontrer les effets et l’impact d’une hausse des importations d’un produit sur notre production nationale. Il faut noter à ce jour que la Tunisie a initié cinq investigations depuis la création du GATT, les dernières datant de juillet 2016 et concernent les produits de quincaillerie, des verres et des produits des verres.
Enfin, il faut mentionner que les accords du GATT exigent du pays qui met en place des mesures de sauvegarde d’offrir des compensations aux pays dont les échanges sont affectés par ces mesures. Certes, la démarche de la compensation reste complexe et beaucoup de pays ont réussi à l’éviter, mais elle constitue une contrainte supplémentaire à l’application des mesures de sauvegarde.
Ainsi, contrairement à l’opinion communément admise, y compris chez les experts, les clauses de sauvegarde ne sont pas le messie tant attendu dans la mesure où elles ne permettent pas de cibler un pays mais sont conçues pour défendre un produit ou une branche et non pas pour régler les problèmes de la balance de paiement.
L’inadaptation de cette solution à nos difficultés commerciales doit nous amener à réfléchir sur d’autres solutions pour atténuer les difficultés de la balance commerciale. A ce niveau, nous voulons réaffirmer de nouveau que l’équilibre de la balance courante, comme celui des finances publiques, ne doit pas être envisagé dans une approche comptable mais doit s’inscrire dans une démarche globale dont l’objectif est un retour à la croissance par les investissements et les exportations. Mais, si cette réponse est de moyen et long termes, les réponses immédiates doivent s’inscrire dans une lutte déterminée contre le commerce parallèle, le retour des investissements dans le secteur des hydrocarbures qui constituent près du quart de notre déficit commercial, et des négociations actives pour une plus grande compensation avec nos plus importants partenaires commerciaux (Chine -2,3 milliards de dinars, Italie -1,1 milliard de dinars, et la Turquie -1,01 milliard de dinars).

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