Notre pays a connu en automne de l’année 1969 les pires inondations de son histoire, causant la mort de cinq cent quarante personnes et la destruction de soixante-dix mille habitations (une guerre !!!). Bourguiba, qui ne rate jamais sa pédagogie de « père de la nation », a gagné la bataille de la communication en s’adressant au peuple par ces mots: « J’ai pris sur moi depuis l’indépendance de prendre le parti des pauvres». Une déclaration qui résonne encore dans les esprits et les cœurs de tous ceux qui ont vécu cette catastrophe naturelle. Dans les moments critiques de l’histoire, les peuples ont besoin d’un discours apaisant qui les invite à l’optimisme et à l’espoir. Puisse le pouvoir actuel en finir, en ces temps où le pays bat tous les records en matière de pessimisme, avec la somnolence et la résignation en s’inspirant de l’héritage de Bourguiba, surtout que le pays est devenu, depuis une décennie, une machine infernale à fabriquer de l’inégalité, des privilèges, des niches de toutes sortes. Ce qui est évidemment terrible pour un pouvoir toujours renvoyé au mauvais rôle, celui de l’incompréhension, voire de l’ignorance des souffrances de son peuple. Rongé par le ressentiment et la frustration et qui n’a d’oreille que pour la secte apocalyptique, ce peuple a besoin , aujourd’hui, d’un discours politique qui assure les garanties essentielles de la dignité à tous les citoyens, sachant qu’il s’agit de l’une des constantes inaliénables des droits de l’Homme, tels que les conçoit l’esprit démocratique.
Nous attendons avec impatience que nos décideurs politiques prennent en charge d’assurer un train de mesures pratiques, applicables, et qui auront pour effet de consolider le sentiment chez tous les Tunisiens que leurs responsables seront toujours de leur côté, qu’ils partageront leurs préoccupations dans les moindres détails de leur vie quotidienne et s’emploieront corps et âme à suivre la cadence du pouls populaire.
C’est là, faut-il y insister, l’un des buts sacrés, au niveau duquel un vrai leader n’acceptera aucun compromis, quelles qu’en soient les raisons.
Une telle démarche politique efficace fait prendre conscience que tous les Tunisiens cultivent un sentiment de responsabilité et de dépendance réciproque et sont moralement obligés les uns par rapport aux autres. Ils se retrouvent tous dans le même bateau “all in this together », disent les Américains ! C’est que la cohésion d’une société repose, essentiellement, sur sa solidarité, et il y a dans notre culture toute une tradition qui fait de la solidarité une source de liberté créatrice, de résistance au mal.
La force d’un pouvoir démocratique repose en premier lieu sur la mobilisation des citoyens autour d’un projet rassemblant. La thérapie de choc conduite, après les inondations de 1969, qui a redessiné les institutions, la politique économique et sociale ainsi que la diplomatie, fut adossée à l’idée de la » Tunisie solidaire » portée par Bourguiba.
Maintenant que l’impact du marasme international se fait sentir cruellement dans tous les pays du monde, nous devons puiser dans cet héritage. C’est que notre pays est considéré à raison, depuis l’indépendance, comme le modèle vivant de la solidité de ses liens sociaux, de l’enracinement de ses valeurs consensuelles et de la solidarité. Cependant, nous voici désormais, disait le grand ethnologue Claude Lévi-Strauss, comme « ces vers de la farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture ne commence à leur manquer ». C’est-à-dire que l’imprévisible est inévitable et que le plus grand des risques est de bouger lentement et tardivement.