La vérité qui fait peur à Netanyahu

Université du Michigan (USA), Ann Arbor, 5 mai 2024. Cérémonie de remise des diplômes de fin d’études. Gaza s’invite au beau milieu de la fête où assistent des milliers d’étudiants. Des dizaines de protestataires en uniforme de l’université défilent entre les rangs coiffés de keffieh (coiffe traditionnelle moyen-orientale) et brandissant le drapeau palestinien. Un scénario inimaginable avant le déclenchement de l’Intifadha des universités américaines contre le génocide perpétré à Gaza, largement suivies par des universités britanniques, canadiennes, françaises, allemandes, japonaises et d’autres. Un scénario inédit semblable à celui vu dans l’une des quarante universités américaines en colère pour Gaza, où la statue de Georges Washington, premier président des Etats-Unis, a été couverte du drapeau palestinien et keffieh sur la tête.
C’est une révolution historique des étudiants américains, musulmans, juifs et autres, contre le génocide israélien à Gaza et un appel, fort et bruyant, pour un cessez-le-feu immédiat. Et ce n’est pas tout. Les étudiants (futures élites) des plus illustres universités américaines, les premières classées à l’échelle mondiale, manifestent et protestent depuis plus de deux semaines, à quelques jours de la fin de l’année universitaire, sans plier devant les menaces de suspension des diplômes proférées par les différentes administrations universitaires et d’interpellation par les forces de l’ordre revendiquées par des responsables politiques du pays. Ces jeunes révoltés par le soutien inconditionnel et illimité de leurs dirigeants politiques à Israël dans sa guerre « inhumaine » contre les Palestiniens de Gaza, après près de huit mois de bombardements intensifs, près de 35 mille morts, majoritairement des enfants et des femmes, près de 78 mille blessés, et une famine inédite qui s’est déjà installée dans le Nord de l’enclave palestinienne, ne lésinent pas sur les revendications. Ils demandent à leurs établissements universitaires respectifs de rompre toute relation académique avec les universités israéliennes et de mettre fin aux programmes de recherche technologique destinés à l’armée israélienne. Pas moins que ça. Le résultat est sans appel : la répression sécuritaire, les bombes lacrymogènes, les tirs de balles en caoutchouc, la levée forcée des camps installés dans les enceintes des facultés. La démocratie américaine a levé son voile. Celui qui cachait ses réelles convictions, sourdes et aveugles, qui ne voit pas la justice et n’entend pas la vérité quand elles se trouvent du côté de l’adversaire d’Israël. Parce que l’Amérique est Israël. Cependant, la réciproque n’est pas vraie, du moins pour les ministres d’extrême droite du gouvernement de Netanyahu qui, malgré toute l’assistance militaire, financière, politique et diplomatique américaine, n’ont pas de gêne à déclarer qu’ils rejettent l’ingérence de l’administration Biden dans la gestion de leur guerre contre Gaza.
Les mouvements de protestation pro-palestiniens des étudiants américains, qui ont sorti le premier ministre israélien de ses gonds, ont fait le tour du monde et l’actualité sur toutes les chaînes de télévision, notamment américaines, sans compter les réseaux sociaux envahis, 24 heures sur 24 heures, par des vidéos filmant les manifestations pro-palestiniennes dans les capitales occidentales. Benyamin Netanyahu aura du mal à arrêter cette vague qui a ouvert les yeux du monde sur les atrocités commises par son armée contre les civils palestiniens, qui a fait émerger Gaza de l’oubli vers la lumière des consciences et des projecteurs des caméras et qui a mis à nu le degré de sauvagerie de l’armée israélienne et le mépris des dirigeants politiques israéliens envers le droit international, les conventions et la communauté internationales. Netanyahu a tenté de faire étouffer la vérité en autorisant l’assassinat des journalistes palestiniens (plus de 140 en 7 mois) pour les faire taire et enterrer, avec eux, la vérité, en procédant, dès le début de la guerre, à la destruction des bâtiments des médias locaux et étrangers, en interdisant l’accès à Gaza pour les journalistes étrangers et, plus récemment, en décidant la fermeture du bureau de la chaîne qatarie Al Jazeera en Israël. Un geste fortement révélateur de la peur qui habite le premier ministre israélien et un aveu d’échec israélien à Gaza, où aucun otage israélien n’a pu être libéré, à ce jour, sans l’aval de Hamas. La peur qu’il parvienne à l’opinion publique israélienne des informations différentes de celles que lui et son gouvernement extrémiste diffusent dans le cadre de leur propagande de guerre contre Hamas. La peur de montrer au monde la vérité toute crue, toute nue, sans habillage, sans filtres, dans toute sa cruauté, sa laideur et sa violence, que les journalistes d’Al Jazeera transmettent en direct de Gaza, de Cisjordanie et d’Al Qods, chaque jour, sans répit, depuis près de huit mois. Netanyahu a fini par décider la fermeture du bureau d’Al Jazeera en Israël pour « protéger » les Israéliens de son influence médiatique. Mais que pourra-t-il faire contre la chaîne américaine CNN pour empêcher les Israéliens de voir la vague d’hostilité et de dénonciation qui se répand dans le monde contre Israël et son armée et que CNN diffuse en boucle ? « Ce n’est pas de l’antisémitisme », ont rétorqué à Netanyahu les étudiants de l’Université de Columbia (New-York) d’où est partie la première étincelle du soulèvement estudiantin américain, mais le droit des peuples de demander des comptes aux gouvernants et leur devoir de tirer la sonnette d’alarme quand les valeurs de l’humanité sont piétinées par des dirigeants, apôtres de la violence, qui n’ont pas de gêne à traiter injustement des peuples entiers afin d’imposer leurs desiderata, la loi du plus fort.
Le 3 mai, le monde célébrait la Journée de la liberté de la presse. L’Organisation onusienne pour l’éducation, la science et la culture, UNESCO, attribuait son prix pour l’année 2024 aux journalistes palestiniens de Gaza. Une distinction que le premier ministre israélien a accueillie, sans doute, avec beaucoup d’amertume dès lors qu’il a décidé deux jours plus tard la fermeture du bureau d’Al Jazeera à Tel Aviv. Une triste décision pour la prétendue unique démocratie dans la région du Proche et Moyen-Orient, qui rappelle celles prises deux ans plus tôt par les Américains et les Européens contre les médias russes au début du déclenchement de la guerre russo-ukrainienne. Mais pour quel résultat ? L’Ukraine est toujours en guerre et Poutine encore président de la fédération de Russie. Quant à Gaza, la vague d’empathie mondiale pour les Palestiniens est partie pour ne plus s’arrêter jusqu’au cessez-le-feu définitif. L’étiquette génocidaire colle désormais à Netanyahu et à Israël, et rien ne pourra plus l’ôter même si la Cour pénale internationale finit par céder aux menaces et aux chantages de certains sénateurs américains, démocrates et républicains, en s’abstenant d’émettre des mandats d’arrêt internationaux contre Netanyahu et d’autres dirigeants israéliens.
Des crimes de guerre ont bel et bien été commis contre les Palestiniens à Gaza, le monde entier a vu et entendu, notamment des soldats israéliens se filmant eux-mêmes en train de commettre des crimes de guerre, dans une totale impunité. L’étincelle de l’Intifadha mondiale est partie des campus américains et personne, ni Netanyahu ni quiconque d’autre, ne sait jusqu’où elle arrivera, surtout si l’armée israélienne lance son attaque contre Rafah où plus d’un million et demi de civils palestiniens sont retranchés après avoir été déplacés du Nord, de l’Est et de l’Ouest vers cette zone frontalière avec l’Egypte, au Sud de Gaza.

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