Alors que tout le monde réclamait aux différents gouvernements depuis la Révolution de préparer une vision ou une stratégie, le gouvernement actuel s’est penché pour préparer une note d’orientation qui devrait servir comme cadre pour le futur plan quinquennal 2016-2020. Il faut saluer cet effort et se réjouir d’avoir un document malgré les différends qui existent. Donc, on peut dire que ce gouvernement s’est outillé d’une feuille de route. Mais de quelle feuille de route s’agit-il ? Est-ce que cette note d’orientation peut donner de l’espoir et réconforter les Tunisiens ? Est-ce que le peuple qui s’est soulevé en janvier 2011 contre un modèle de développement économique ayant montré ses limites pourrait sentir le changement, la rupture et surtout de l’espoir que le futur sera meilleur que le présent? Est-ce que le quotidien du Tunisien va changer d’ici 2020 ? Rien de tout cela. C’est à cette question de fond que nous allons essayer d’apporter quelques éléments d’éclairage. Rappelons d’abord, qu’une note d’orientation devrait partir d’un diagnostic aussi exhaustif que possible. Et c’est là où le bât blesse.
Pour de nombreux experts autoproclamés, le diagnostic est connu. Cette affirmation est dénuée de tout fondement, c’est même une chimère. Le diagnostic n’est pas connu et c’est pour cette raison que les solutions n’émergent pas. Il y a malheureusement une grande confusion entre les causes et les conséquences. Souvent les conséquences apparentes dissimilent un malaise très profond. L’origine du malaise et l’ampleur des dysfonctionnements laisseraient envisager des hypothèses de travail pour l’élaboration de la stratégie qui serait l’aboutissement de la note d’orientation. Il serait simpliste, voir même réducteur de se limiter à un diagnostic descriptif des faits, il y a lieu, plutôt, de présenter un diagnostic analytique plus poussé. A l’évidence, résoudre les conséquences ne veut pas dire que le mal ou le malaise est disparu et éradiqué. Le mal est toujours là et il se métamorphose et prend une autre allure à chaque fois que les conditions sont réunies.
L’essentiel du problème se résume en une croissance qui n’était pas au rendez-vous. Ce rendez-vous manqué a eu de multiples conséquences dont notamment la fragilité des finances publiques, la dégradation du solde courant et la montée vertigineuse de l’inflation. Il faut donc éviter de se perdre en conjecture et d’avancer des explications inadéquates. En effet, la première cause des déséquilibres macroéconomiques, c’est l’insuffisance de croissance économique.
Trois sortes de déficiences peuvent être avancées en tant que mécanismes économiques susceptibles d’expliquer la déception en matière de croissance durant la période récente. Les exportations n’ont pas suivi la demande extérieure, la production intérieure n’a pas été en phase avec la demande finale et l’emploi a calé pour suivre la production. Tout se passe comme si ces trois freins s’opposaient au fonctionnement normal des mécanismes économiques, conduisant à des gaspillages d’énergie et à un mauvais rendement global de notre économie.
Commerce extérieur grippé
Le rouage du commerce extérieur, semble grippé. L’économie tunisienne s’adapte difficilement au contexte mondial. Elle saisit de moins en moins les opportunités offertes à l’échelle mondiale comme le montrent le déphasage entre nos performances en matière d’exportation et celle de la demande mondiale. Le volume de nos exportations avait augmenté en moyenne de 5,8 % par an de 1980 à 2000 pour une croissance mondiale qui avait été de 3,8 % par an au cours de cette même période. Entre 2000 et 2005, la croissance mondiale s’est maintenue globalement au même rythme que durant la période précédente avec, toutefois, un rythme beaucoup plus accéléré dans les zones situées en dehors de l’Union européenne. Sachant que nos exportations ont connu seulement un rythme de 1,4 % par an en moyenne.
Faut-il signaler qu’une simple simulation de nos exportations au même rythme que les importations de nos partenaires commerciaux (sans augmenter ni diminuer notre part de marché), permet de donner un point de croissance additionnel par an, et créer, conformément aux paramètres du modèle tunisien prés de 16 mille nouveaux emplois.
La demande stimule mal notre production intérieure
Si notre secteur productif national fonctionnait avec un bon rendement en saisissant pleinement toutes les opportunités offertes par l’augmentation de la consommation et plus généralement de la demande,, une part plus importante de la demande serait reportée sur les importations et une part moindre sur la production nationale. En 2004 et en 2005, la progression de notre demande intérieure (pour la consommation et l’investissement) a été respectivement de 3,2 % et de 2,2 %, nettement supérieure au taux de croissance de la production nationale (le PIB). Mais la progression des importations de biens et services a été de 6,9 % en 2004 et de 5,3 % en 2005. La demande intérieure tunisienne totale (consommation et investissement) n’a pas été médiocre dans la période récente. Elle n’a, à aucun moment freiné, la croissance. Mais le rendement de cette demande en effets d’entraînement s’est affaibli, les Tunisiens choisissant d’acheter relativement plus de produits venant de l’étranger et moins de produits en locaux.
La croissance n’entraîne plus l’emploi
Le dernier rouage concerne la chaîne de transmission entre la croissance et l’emploi. Le défaut de nos mécanismes économiques souvent souligné est que la croissance entraîne trop peu l’emploi en Tunisie. Sur l’ensemble de la période de 1980 à 2000, la tendance moyenne de la croissance économique avait été de 2,3 % par an et celle-ci s’était partagée entre des gains de productivité du travail par tête au rythme de 1,8 % et une augmentation de l’emploi de 0,5 % par an.
L’essentiel de la croissance a donc été réalisé par des gains de productivité du travail, l’emploi total n’augmentant que de 0,5 % par an, soit environ 2 150 000 postes de travail en vingt ans.
Partant, c’est qu’à partir d’un pareil diagnostic qu’on peut imaginer des solutions. Il faut reconnaitre que la note d’orientation élaborée et récemment présentée ne dispose pas de ligne directrice. Il aurait fallu partir d’un objectif global pour les Tunisiens et autour des Tunisiens : Quelle Tunisie vouloir en 2020 ? Cet objectif global peut être décliné en plusieurs sous-objectifs régionaux et sectoriels.
De plus, les objectifs chiffrés doivent répondre à un ordre prédéfini et une cohérence qui tient compte des potentialités du pays et des contraintes imposées. A ce titre, nous relevons de nombreuses lacunes. En effet, il est impossible de faire passer l’IDH (indice de développement humain), qui est la composante de trois variables, de 0,721 actuellement à 0,786 en 2020 avec un taux de croissance moyen de seulement 5%. De la même façon, on se demande comment les IDE vont augmenter de 80% en cinq ans, alors que la menace terroriste et le climat d’insécurité n’ont pas totalement disparu. Un autre point concerne l’investissement, il est mentionné dans la note d’orientation que l’investissement atteindra 25% du PIB, c’est un objectif qui parait réalisable et nécessaire mais pas avec un taux d’épargne de seulement 17,7%. Celui-ci doit augmenter beaucoup plus que ça, autrement, le déficit courant ne peut pas être de 6,8%. C’est une règle arithmétique, le déficit courant n’est autre que la différence entre l’investissement et l’épargne (25%-17,7%=7,3%) donc le déficit courant serait de 7,3%. Dans cette même ligne d’idée, on se demande comment va être financé ce déficit courant alors que les marges d’endettement sont très limitées ? Le recours au surendettement est coûteux comme en témoigne la crise actuelle en Grèce. Au final, on se retrouve devant une note d’orientation classique qui risque de classer les cinq prochaines années dans le chapitre des années perdues. Les priorités soulignées n’ont rien de bien surprenant. Les priorités affichées ne paraissent guère favorables à la croissance et au développement. Si la croissance ne repart pas rapidement, il n’est pas si certain que demain, l’équation ne devienne encore plus complexe.