Le dernier assaut à la Kasbah à l’instigation d’un syndicat de prétendus policiers est, à mon sens, éminemment plus grave que celui subi, en septembre 2012, par l’ambassade des Etats-Unis à Tunis; en effet, si l’un était le fait d’une horde de fanatiques manipulés, celui de cette semaine a été perpétré par des fonctionnaires de police censées préserver l’ordre et payés par nos impôts. Depuis l’indépendance, et même avant, l’Etat tunisien n’a jamais vécu une telle remise en cause de son autorité et un affront aussi humiliant de la part de ses propres agents.
Nous pensions, sous la » Katastroïka » avoir tout vu, mais visiblement, nous n’avions pas encore touché le fond; le 25 février 2016, le prestige de l’Etat tunisien a été foulé aux pieds par des individus indignes de le représenter ou de le servir. Il est désormais de plus en plus clair pour les moins candides d’entre nous que la démocratie à la tunisienne n’a rien d’exaltant: un Etat faible et paralysé par le jeu malsain de partis politiques dénués de patriotisme, des syndicats démagogues qui jour après jour démantèlent le tissu industriel du pays, une presse qui confond diffamation et information. A ce tableau sinistre, il faudra maintenant ajouter la tentation de la mutinerie et du « Pronunciamento » qui gagne les forces en charge de l’ordre républicain. Rentrer de force dans le siège de la Présidence du conseil, y scander des slogans hostiles, traiter leur chef hiérarchique, Habib Essid, de froussard, relève purement et simplement de la mutinerie et expose ses auteurs à la révocation et à des poursuites judiciaires. Il faut dire que la dernière démonstration de force autour du Palais de Carthage n’a pas été traitée de la manière la plus appropriée: la compréhension de la plus haute autorité de l’Etat a été perçue par les syndicats de policiers comme un signe de faiblesse qui les a encouragés à monter en gamme et à redoubler d’arrogance. N’ayons pas peur des mots, à la Kasbah, le syndicat en question a usé de méthodes dignes de voyous et s’est hissé au niveau des délinquants qu’il est censé pourchasser. Il aurait fallu pour essuyer l’affront , le jour même, que les sanctions les plus sévères pleuvent sur la tête de ces irresponsables; où est le ministre de l’intérieur? où est le directeur général de la sûreté? qu’attendent-ils pour exercer leur pouvoir disciplinaire? faudra-t-il que des énergumènes viennent les déloger de leurs maroquins pour qu’ils prennent la mesure de la gravité de cet événement?
Une fois de plus, le Chef du gouvernement a prouvé sa pusillanimité et son manque de fermeté. En ne réagissant pas rapidement et durement, il contribue à la destruction de l’autorité de l’Etat et encourage les partisans de la « Voyoucratie », ceux qui pensent que seules les méthodes de voyous permettent d’avoir le pouvoir. Cette tentation d’exercer le pouvoir par le recours aux méthodes chères aux délinquants et aux « Zoufria » de tout acabit a souvent pointé du nez depuis cette maudite révolution: le souvenir des ligues de protection de la révolution ne s’est pas totalement effacé.
Dans quelques jours, nous fêterons le 60e anniversaire de l’Indépendance. En termes de respect de l’ordre républicain, le bilan est assez déprimant. Seule une forte réaction de l’Etat face à l’outrage subi pourrait sauver cette commémoration; je n’en vois qu’une: la dissolution de syndicats sécuritaires oublieux de leurs devoirs et qui confondent revendication et sédition.