L’absence des économistes tunisiens : Un manque préjudiciable au débat public

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Depuis plusieurs années, la Tunisie est confrontée à des défis économiques majeurs qui menacent sa croissance et son développement. Entre une croissance atone, un endettement public croissant, un taux de chômage alarmant (particulièrement chez les jeunes diplômés) et une baisse persistante du pouvoir d’achat, les indicateurs économiques peinent à inspirer l’optimisme. Pourtant, dans ce contexte critique, une absence frappante se fait sentir : celle des économistes tunisiens dans le débat public et les processus de prise de décision stratégique.

Par Mohamed BEN Naceur

 Alors que les enjeux économiques devraient être au cœur des discussions nationales —qu’il s’agisse du financement de l’économie, des conditions d’une croissance soutenue, de la gestion du budget de l’État ou de la politique monétaire —, les voix des économistes tunisiens restent trop souvent inaudibles. Cette marginalisation s’explique par plusieurs facteurs :
Le fossé entre le monde académique et les décideurs politiques : Les analyses économiques produites dans les universités et centres de recherche tunisiens peinent à trouver un écho dans les cercles décisionnels. Les passerelles entre ces deux mondes sont rares, voire inexistantes.
Une méfiance réciproque : Les experts économiques se méfient souvent des institutions publiques, perçues comme peu ouvertes à leurs recommandations, tandis que les décideurs politiques tendent à considérer les économistes comme déconnectés des réalités du terrain.
Le manque de plateformes d’expression : Les médias tunisiens accordent une place limitée aux analyses économiques approfondies, privilégiant souvent des débats moins techniques et plus sensationnalistes, qui ne permettent pas une compréhension fine des enjeux. 

Une recherche déconnectée des réalités
Un autre problème majeur réside dans la déconnexion entre les recherches académiques produites par les économistes tunisiens et les réalités économiques du pays. Bien que les universités et centres de recherche produisent régulièrement des études et des analyses, celles-ci sont souvent perçues comme trop théoriques, éloignées des préoccupations concrètes des décideurs politiques, des entreprises et des citoyens. Plusieurs facteurs expliquent cette déconnexion :
Une focalisation excessive sur les modèles théoriques : De nombreuses recherches s›appuient sur des modèles économiques abstraits, sans les adapter aux spécificités du contexte tunisien. Par exemple, des études sur les politiques monétaires ou fiscales peuvent ignorer les réalités institutionnelles ou culturelles locales.
Une faible collaboration avec le secteur privé et les institutions publiques : Les chercheurs travaillent souvent en vase clos, sans interaction significative avec les acteurs économiques du terrain. Cette absence de dialogue empêche une compréhension fine des besoins et des contraintes réelles.
La priorité donnée à la publication académique : La pression pour publier dans des revues scientifiques internationales pousse souvent à privilégier des sujets éloignés des priorités nationales, au détriment de recherches plus appliquées et ancrées dans le contexte tunisien.
L’absence des économistes dans le débat public a des répercussions directes sur la qualité des politiques économiques mises en place. Sans analyses rigoureuses ni recommandations fondées sur des données fiables, les décisions prises risquent d’être inadaptées, voire contre-productives. Par exemple, des mesures telles que la fixation des prix, l’intégration massive de fonctionnaires ou les subventions mal ciblées peuvent aggraver les déséquilibres macroéconomiques.
En outre, cette absence ouvre la voie à des discours simplistes et démagogiques, souvent déconnectés des contraintes économiques réelles. Les citoyens, déjà fragilisés par la crise, se retrouvent exposés à des promesses irréalistes, alimentant un climat de défiance et de désillusion.
Pour inverser cette tendance, plusieurs actions doivent être envisagées :

  1. Renforcer le dialogue entre les économistes et les décideurs: Les institutions publiques devraient systématiquement consulter les experts tunisiens lors de l›élaboration des politiques économiques. La création de comités consultatifs indépendants permettrait d›intégrer une expertise objective dans le processus de décision.
  2. Favoriser une économie appliquée: Les universités et centres de recherche doivent orienter leurs travaux vers des problématiques concrètes, en lien direct avec les défis nationaux et internationaux. Des partenariats avec le secteur privé et les organisations internationales pourraient être encouragés pour renforcer cette approche.
  3. Accroître la présence médiatique des économistes: Les médias tunisiens ont un rôle crucial à jouer en offrant une tribune aux économistes pour expliquer les enjeux complexes de manière pédagogique et accessible au grand public.

Dans un contexte où la Tunisie cherche à stabiliser son économie et à retrouver une trajectoire de croissance durable, l’implication active des économistes tunisiens n’est pas seulement souhaitable, mais indispensable. Leur expertise pourrait apporter des solutions concrètes et réalistes aux défis actuels, qu’il s’agisse de réformer le système des subventions, de relancer l’investissement privé ou de moderniser l’administration fiscale.
En somme, l’absence des économistes tunisiens est une lacune préjudiciable au débat public et à l’élaboration de politiques économiques efficaces. Leur participation active est essentielle pour construire un avenir économique durable et prospère. Il est temps que l’université tunisienne se réforme en ce sens, en favorisant une recherche ancrée dans les réalités nationales et en renforçant les liens entre le monde académique, les décideurs politiques et la société civile.

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