Avec le dernier attentat, aussi artisanal et primitif qu’il ait pu l’être, la violence physique, mais surtout morale, est en passe de s’installer durablement dans notre pays. En effet, il n’est ni innocent ni sans conséquence de parler du risque (d’aucuns diront menace) de bain de sang en Tunisie; cela finit par donner réalité aux pires scénarios voulus ou pas, conscients ou inconscient.
Quel antidote efficace contre la violence ?
Il est vain d’appeler à plus de lois répressives comme celle à laquelle a fait allusion le président de l’Assemblée des représentants du peuple pour une illusoire protection des sécuritaires.
En effet, la meilleure protection des vaillants serviteurs de l’ordre dans la cité est la paix publique, donc la paix dans les esprits; ce que ne génère que la confiance à cultiver entre les sécuritaires et la population.
Or, c’est loin d’être le cas avec les lois liberticides actuelles, héritage de la dictature et même du protectorat, brimant les libertés basiques, s’immisçant même honteusement dans la vie intime des gens, suscitant défiance et rancœur, donc haine et violence.
Doit-on rappeler encore que la violence est multiple, qu’elle n’est pas seulement cette forme basique physique, étant d’abord morale ? Les propos de Dom Helder Pessoa Câmara, archevêque de ce Brésil qui vient de renier sa pourtant jeune et prometteuse démocratie avec l’élection d’un président d’extrême droite, sont d’autant plus d’actualité qu’ils démontrent à quel point la démocratie est fragile face à l’offensive mondiale des dictatures de tout poil.
L’archevêque d’Olinda et Récife, dans le Nordeste, plus pauvre région du Brésil, disait ceci : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
C’est bien avec des lois justes qu’on luttera le mieux contre la violence et sa pire forme qu’est le terrorisme. Il est illusoire de croire qu’on viendra à bout – sans la réforme législative d’ampleur, impérative plus que jamais – d’un terrorisme qui est d’abord mental, se nourrissant de la dictature et du dogmatisme servis par les lois scélérates toujours en vigueur !
Il nous faut nous convaincre enfin que la première violence, la plus terrible, car se voulant légitime, est celle de la loi liberticide. Voilà la cause de nos malheurs avant tout le reste. Agissons à toiletter notre législation de ses textes antiques et obsolètes et on assainira mieux la situation explosive dans le pays !
Or, que voit-on au parlement : des actions pour plus de lois liberticides ! Même les députés supposés démocrates et humanistes s’y mettent, jouant le jeu des dogmatiques intégristes, de droite comme de gauche.
Articuler la Tunisie à un système de droit
Quoi qu’on dise, la Tunisie est encore soumise à l’ordre ancien, non seulement dans ses lois, mais aussi de tout son système, notamment au niveau des mentalités et des réflexes générés par une longue habitude de soumission à l’autoritarisme. Aussi, le pays ne saurait seul s’en sortir et sa transition démocratique ne réussira pas si elle n’est pas articulée à un système de droit qui marche, qui viendra l’épauler spectaculairement pour avoir quelque effet sur l’imaginaire populaire et l’inconscient collectif.
Les agriculteurs, nombreux en une Tunisie dont l’esprit populaire est pastoral, le savent bien : une plante jeune a besoin d’être soutenue pour pousser mieux par un pieu ou en étant adossée à une plante mûre. Notre pays a donc besoin d’une palée, d’une sorte de pieu fondation, cette pièce de métal ou de béton armé formant le fondement de l’ouvrage de construction. Et cela ne saurait qu’être ce système de droit à sa porte, l’Union européenne dont elle dépend informellement.
Or, l’ambassadeur de l’UE, Patrice Bergamini, vient de le rappeler : l’UE exprime son « entière solidarité avec la Tunisie et tout son peuple pour assurer le succès de la jeune démocratie tunisienne et l’aider à relever les nombreux défis auxquels elle fait face, y compris dans sa lutte contre le terrorisme ». Il a aussi cité les propos du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker qui, lors de sa récente visite, a affirmé que « l’Union européenne – ses États membres et ses institutions – se tient résolument aux côtés de la Tunisie dans sa marche vers la démocratie. »
À nos amis d’Europe, il nous faut dire ici, de nouveau, que la seule solidarité de l’UE qui soit utile est de transformer la dépendance informelle de la Tunisie à l’UE en une dépendance formelle, et ce en l’invitant à y adhérer. Tout le reste n’est que paroles vides de sens ou de portée; au mieux un simple cautère sur jambe de bois.
Pour revenir au dernier attentat, au-delà des manipulations qui ont pu être à l’origine de l’acte fatal, qu’est-ce qui a donc amené une jeune femme diplômée à se suicider, si ce n’est son désespoir de vivre normalement sa vie; ce qui en a fait une proie facile au lavage de cerveau dont elle a fait l’objet sans nul doute ?
Imaginons un instant qu’elle ait eu la possibilité, non seulement de travailler, enseigner la belle langue de Shakespeare, son esprit et ses valeurs, mais aussi de voyager, circuler librement; est-ce que cela n’aurait pas agi sur elle positivement, ouvrant son horizon mental et la préservant de la désespérance qui en a fait une munition à la disposition des haineux et des terroristes mentaux?
C’est contre un tel terrorisme mental que l’adhésion de la Tunisie militera, car elle aura pour principale conséquence de déverrouiller les mentalités en libérant les mouvements humains, surtout celui des jeunes, avec un libre mouvement sans contraintes sans visa biométrique de circulation, parfait outil sécurisé, respectueux à la fois des droits de l’homme et des réquisits sécuritaires.
C’est cela qui aidera surtout à la mise à niveau nécessaire des lois du pays, ayant le plus grand besoin d’un toilettage radical afin d’être au diapason des normes humanistes universelles. Car cela est impossible sans révolution mentale devant commencer par l’enracinement de la Tunisie, sur de saines bases, en son milieu naturel qu’est la Méditerranée occidentale, celle de la solidarité et des droits humains dont la première manifestation aujourd’hui, étant la plus visible, est la libre circulation humaine.