Le décès présidentiel, annoncé avant l’heure par la fille de son principal rival, chagrine, surtout les tenants de la piste bourguibiste, mal aimée par la caste islamiste.
En dépit de la première alerte, suivie du bref répit, le vétéran paraissait défier à la fois l’outrage des ans et l’inévitable Azraïl venu lui annoncer la fin du long chemin. Il nous a, presque tous, accoutumés à sa ténacité montée à l’assaut de l’impensable éternité. Mais, ce matin du 25 juillet, la morne certitude occupe l’espace évacué par la fébrile incertitude. Plus jamais partisans et fidèles sympathisants ne le reverront maugréer contre les empêcheurs de tourner le regard de l’histoire vers l’avant.
Adieu BCE ! Hypocrites, les adversaires de l’Etat civil jubilent et versent des larmes de crocodile tant ils prennent les démocrates pour des imbéciles. L’indécence n’est guère la moindre de leurs innombrables manigances. L’extrême droite sacerdotale et l’extrême gauche infantile escomptent, à court ou moyen termes, garnir leurs poches une fois parti Béji Caïd Essebsi. Mais, d’ici, je vois Bochra Belhaj Hmida et les démocrates véridiques réagir sans faiblir. Pour eux, l’unique façon de rendre hommage au deuxième combattant suprême, en matière de laïcité, serait de commencer par laisser perler quelques larmes nimbées de sincérité, puis une fois passé l’inéluctable moment de l’émotion vraie, poursuivre la voie frayée par Bourguiba en dépit des barrages opposés à l’Assemblée par les espèces d’enturbannés. Déjà, BCE avait tâché de rompre le contact avec le pot pourri de la compromission où l’Etat civil fut tourné en dérision au nom de la religion. Ce nœud gordien serait à trancher au moment où les partisans de Ghannouchi fourbissent leurs armes en vue des élections. Pour l’instant, la passation des pouvoirs intervient sans filiation généalogique ni coup d’Etat. Outre cet apport démocratique légué, entre autres par le défunt, il pointe vers le moyen à mettre en œuvre pour combattre la réaction réactionnaire des parlementaires, véritable scandale opposé à l’égalité successorale.
Il s’agit là d’un conflit emblématique à portée historique. Les tenants de l’inquisition, roublards, opposent à BCE, Bourguiba qui, lui, aurait, disent-ils, respecté les versets coraniques.
Machiavélique, l’argument escamote le temps où BCE suit l’orientation démocratique de Bourguiba, le chantre des étapes à suivre de manière pragmatique.
L’autonomie interne, puis l’indépendance, le CSP puis l’égalité successorale.
BCE et Bourguiba mènent le même combat livré aux tenants politiques de la charia. Porteurs d’une idéologie en avance eu égard aux pesanteurs sociales, Bourguiba et BCE comptent sur la jeunesse, fer de lance d’un avenir peu à peu dégagé des catégories de pensée léguées par l’ancienne société.
Et si le grain ne meurt, les héritiers des réformateurs consolideront le style de l’Etat civil. Les islamistes, par définition adversaires du projet civiliste misent, eux, sur les flux monétaires venus d’ailleurs pour financer les écoles et les cercles coraniques susceptibles d’orienter les jeunes cervelles vers une hégémonie culturelle à contenu cultuel.
BCE s’en va et laisse ouverte la question que voilà : qui fabriquera la future Tunisie, Bourguiba ou Ghannouchi ?
L’actuelle Constitution, mi-figue, mi-raisin, a déjà dévoilé ses nombreux pépins. Taboubi parie encore sur le compromis, seul rempart dressé, dit-il, contre la guerre civile. Le choix serait soit la peste, soit le choléra. Tel serait le paradoxe laissé par B.C.E. au moment de s’en aller. Le deuxième énorme problème demeuré en suspens donne à voir le cerbère de la dette extérieure, moyen immémorial de vampiriser les pays dominés en ayant l’air de les aider. Mais, ce sont les pays appauvris qui renflouent les caisses des oligarchies logées dans les dédales des anciennes puissances coloniales.
Deux tâches colossales et primordiales attendent les héritiers de Bourguiba et de BCE : affermir les fondations démocratiques de l’Etat civil et affronter la spirale de l’échange inégal entre l’importation de produits manufacturés, de plus en plus coûteux et l’exportation de produits agricoles ou de matières premières à des prix de plus en plus effondrés.
Adieu aux deux grands combattants, mais il incombe aux suivants de remettre en question la soumission, éhontée, infligée aux pays dominés au profit des multimillionnaires des multinationales à la fois féroces et sans foi ni loi face à la misère des damnés de la terre.