La compagnie nationale Tunisair, plus connue sous l’appellation la Gazelle, vit probablement les heures les plus sombres de son histoire. Des retards à n’en plus finir qui mettent la patience de ses clients à rude épreuve. Des mouvements sociaux à répétition avec l’incapacité de la direction à entamer les négociations nécessaires pour les éviter et parvenir à imposer la mobilisation générale de toutes les catégories de personnel pour sauver la compagnie. De surcroît, les rumeurs les plus folles ne cessent de circuler sur la détérioration de la situation financière de l’entreprise au point où elle n’est plus en mesure d’acheter les pièces détachées pour faire face aux pannes récurrentes d’une flotte plus toute jeune.
Le véritable problème est que cette agonie se produit dans l’indifférence presque totale des responsables de l’entreprise ainsi que du secteur des transports. Pourtant, des engagements ont été pris par les nouveaux responsables d’améliorer la qualité des services et de limiter les retards devenus le mal endémique de notre compagnie nationale. Par ailleurs, un plan de restructuration de l’entreprise a été annoncé en grande pompe par les responsables de l’entreprise et du secteur des transports, en promettant qu’il finira par mettre Tunisair sur les rails. Enfin, un accord a été signé entre les ministres du Transport, du Tourisme et des responsables de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie pour réunir toutes les conditions, notamment en matière de transport, pour réussir une saison touristique qui s’annonce très prometteuse.
Or, quelques semaines plus tard, c’est la grande débandade et la Gazelle semble rentrer dans une zone de fortes turbulences dont l’issue paraît fortement incertaine et pourrait annoncer sa fin.
La situation d’agonie n’est pas propre à la compagnie nationale de transport aérien, mais bien à d’autres entreprises publiques qui sont dans la même situation et au bord de la faillite sans les rallonges accordées par un budget de l’Etat déjà exsangue. Cette situation a été à l’origine d’une réflexion sérieuse entamée par le gouvernement sur l’avenir de l’Etat dans le fonctionnement de notre économie, et plus particulièrement d’une véritable stratégie d’ensemble de restructuration des entreprises publiques. Les premiers résultats de cette étude ont été publiés dans le cadre d’un livre blanc sur la réforme des entreprises publiques en Tunisie au mois de mars 2018. Cette étude a effectué un important diagnostic de la situation de ces entreprises et a identifié leurs maux et leurs défis ainsi que les grandes orientations des réformes à mettre en place.
Ce diagnostic a mis l’accent sur les performances de moins en moins satisfaisantes des entreprises publiques et leur poids budgétaire de plus en plus important. Par le passé, les entreprises publiques assuraient une forte contribution au budget et le versement des dividendes constituait d’importantes sources de recettes pour le budget de l’Etat. Or, depuis quelques années, la situation s’est totalement inversée et les entreprises publiques sont devenues d’importantes charges pour l’Etat à travers les rallonges budgétaires que les différents gouvernements ont dû effectuer pour les aider à assurer leurs fins de mois ou des garanties octroyées afin qu’elles puissent sortir sur les marchés financiers et emprunter les capitaux nécessaires à leur fonctionnement.
Ce diagnostic a également mis en exergue le cadre juridique obsolète et totalement dépassé des entreprises publiques et la nécessité de définir un nouveau cadre plus adapté. Il a souligné aussi le rôle marginal joué par les conseils d’administration dans la gestion des entreprises ainsi que la lourdeur du fonctionnement et des procédures, et une transparence limitée dans la gestion de ces entreprises.
Sur la base de ce diagnostic, le livre blanc a proposé un cadre général de réformes et de refonte des entreprises publiques, basé sur quatre axes majeurs. Le premier axe concerne la refonte du système de gouvernance globale des entreprises afin d’assurer une plus grande cohérence dans la gestion des participations de l’Etat et une coordination de l’ensemble de ses prises de participation. Le second axe concerne la refonte du système de gouvernance interne des entreprises en mettant l’accent sur une plus grande transparence ainsi qu’une place plus importante pour les conseils d’administration. Le troisième axe concerne la responsabilité sociétale des entreprises et une stratégie nouvelle dans la gestion des ressources humaines. Enfin, le dernier axe, et probablement le plus difficile, concerne la restructuration financière des entreprises.
Ainsi, disposions-nous d’un cadre global de réforme des entreprises publiques depuis plus d’un an. Toutes les entreprises publiques se devaient de préparer leurs propres projets de réformes et d’engager de véritables opérations de sauvetage de ce qui a été pendant longtemps les joyaux de l’Etat indépendant. Or, rien ne se fait et les entreprises publiques ont poursuivi leurs descente aux enfers et leur agonie.
Plus que jamais, nous avons besoin aujourd’hui d’une véritable volonté réformatrice capable de donner un souffle nouveau à l’intervention de l’Etat dans l’économie et au rôle des entreprises publiques. Sans cette intervention volontaire et déterminée, le risque est grand pour que Tunisair et beaucoup d’autres entreprises publiques sombrent et disparaissent, renforçant la crise économique et nos difficultés sociales.
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