Tergiversations interminables, sourde oreille des pouvoirs publics, perturbations dans l’approvisionnement du marché, spéculation effrénée chez les intermédiaires, consommateurs déroutés et éleveurs aux abois qui bradent leur cheptel à cause de la crise du lait…
Tout un pan de notre industrie agro-alimentaire, soit 7% de notre industrie nationale, risque de s’effondrer parce que les pouvoirs publics ne veulent pas entendre parler de « vérité des prix » sous le prétexte fallacieux de maîtriser une inflation officielle qui galope néanmoins autour de 7,5%.
Il faut savoir que 112.000 éleveurs vivent de l’élevage laitier, et que 90% d’entre eux sont de petits éleveurs qui pratiquent l’élevage hors-sol, ayant entre 1 et 5 vaches de race.
Leur prix de revient pour produire du frais dépend étroitement et à 80% du prix des aliments composés et des produits vétérinaires importés qui subissent de plein fouet l’impact de l’effondrement du dinar.
Ces prix de revient ont augmenté de 30% en moyenne depuis un an, alors que les prix de cession n’ont pas été revalorisés depuis longtemps, si l’on exclut un modeste ajustement en juin 2018.
Il faut savoir que la filière laitière comporte plusieurs maillons, étroitement liés et solidaires, avec à la base l’éleveur qui produit le lait frais, le centre de collecte qui assure le transport et la conservation du lait, et enfin la centrale laitière qui traite le lait pour aboutir sous forme de lait UHT chez les distributeurs avant de parvenir chez le consommateur.
Il a fallu des négociations laborieuses pour parvenir il y a plus de quinze ans à mettre au point cet édifice qui a favorisé l’autosuffisance en matière de lait, un équilibre précaire qui risque d’être rompu, car le spectre de l’importation nous guette avec une hémorragie en devises, alors que nous pouvons et devons être exportateurs.
Actuellement, la situation du secteur est catastrophique avec des centrales laitières fermées ou fonctionnant à 50% seulement de leur capacité, avec risque de faillite, faute d’élevages productifs et de livraisons conséquentes de lait frais.
En effet, un grand nombre d’éleveurs fortement endettés ont bradé leur cheptel sous forme de viande, car ils étaient incapables d’assumer le déficit.
Il y a une priorité absolue pour reconstituer le cheptel en subventionnant l’acquisition de vaches de race à 50% de leur prix.
Il est également urgent de mettre en place un système d’indexation automatique des prix du lait à ceux des aliments composés et des produits vétérinaires pour éviter les graves dysfonctionnements actuels et répétitifs qui affectent la filière.
Cette filière repose en fait sur une fondation réelle mais précaire, celle des éleveurs. Or, ce maillon principal sur lequel repose toute la filière est en fait le maillon le plus faible.
Il est essentiel de le consolider, car il possède le potentiel de faire de ce secteur une “locomotive” pour la création d’emplois, la création d’une véritable valeur ajoutée (fromage et yaourts) et la promotion de l’export.
Le secteur de l’élevage laitier a un besoin urgent de restructuration et de réorganisation pour être plus rentable et mieux géré grâce à un accompagnement, une formation et des investissements conséquents. C’est le rôle des ingénieurs et des techniciens des CRDA.
Par exemple, les éleveurs doivent disposer d’une superficie pour cultiver des fourrages et réduire ainsi l’impact coûteux des aliments composés pour nourrir le cheptel, améliorer les conditions d’hygiène de l’élevage pour diminuer le recours aux médicaments vétérinaires mais aussi, produire un lait de meilleure qualité bactériologique.
La mise à niveau des 150 centres de collecte de lait s’impose d’urgence pour diverses raisons, car ils sont en grande partie en difficulté : pas de fonds de roulement conséquents pour accorder des avances de trésorerie à leurs adhérents, des moyens de transport vétustes et insuffisants et peu de tanks à lait réfrigérés pourtant nécessaires pour garantir la qualité du lait à livrer aux centrales laitières.
A court terme, pour relancer le secteur, il faut réévaluer le prix du lait frais à la production pour le porter à 1 dinar au lieu de 890 millimes, l’Etat étant appelé à compenser la différence afin de maintenir le prix de vente public.
Il faut reconnaître que l’Administration qui est défaillante en matière de lutte contre la spéculation dans les circuits de distribution, devrait être vigilante et sévir, car il y a des stocks de lait suffisants pour faire face à la consommation.
Il vaut mieux subventionner la production que la consommation pour pérenniser la filière qui recèle un potentiel énorme malheureusement inexploité à hauteur de toutes ses possibilités.