Depuis deux années environ, les négociations entamées par le gouvernement tunisien avec la commission européenne en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) soulèvent une vive polémique de la part des principaux intéressés, à savoir les représentants des agriculteurs et des prestataires de services, ainsi que la société civile.
Une inquiétude légitime vis-à-vis d’un accord asymétrique qui risque de détériorer la situation des opérateurs tunisiens dans ces secteurs d’activité.
Il faudrait remarquer tout d’abord que les négociations relatives à l’Aleca ont été entamées de façon maladroite par les pouvoirs publics, sans études d’impact préalables ni participation ou consultation des principales parties tunisiennes concernées. Ce qui a engendré des prises de position et des déclarations défavorables à la conclusion de l’Accord tel qu’il a été présenté par l’UE.
La création d’un front de refus constitué par la société civile l’UTAP, la SYNAGRI, auxquelles s’est jointe l’UGTT, complique encore plus la situation.
Cela justifierait la décision prise par les pouvoirs publics, après le 4e round des négociations tenu récemment à Bruxelles, de demander aux autorités de l’UE la suspension provisoire du processus pour cause d’élections législatives et présidentielle, quitte à le reprendre par la suite, dès le début de 2020, avec le futur gouvernement.
Avons-nous fait au préalable un véritable bilan de l’Accord précédent conclu en 1995 ? Un bilan rapide de l’Accord d’association portant sur le libre-échange des produits industriels serait édifiant.
Selon Afif Chelbi, président du Conseil des analyses économiques, l’Accord de 1995 a permis de créer 200.000 emplois industriels additionnels, tandis que nos exportations sont passées de 3 à 10 millions d’euros par an.
Les exportations du secteur des industries mécaniques et électriques ont été multipliées par 8, en plus des mutations technologiques enregistrées au sein des entreprises, grâce au programme de mise à niveau.
Il faut dire que les clauses de sauvegarde et d’exclusion mentionnées dans l’Accord ont joué un rôle essentiel dans ce bilan.
Quels sont les objectifs poursuivis ?
Les objectifs de l’UE consistent à instaurer une vaste zone de libre-échange comportant les pays partenaires selon le principe suivant : la promotion des échanges commerciaux doit être une source de croissance et de développement pour toute sorte de produits et de services.
Cela implique la suppression de tous les obstacles tarifaires et non tarifaires et le respect des normes européennes.
La future signature de l’accord sur l’Aleca un jour ou l’autre, risque de voir notre marché envahi par des produits agricoles et des services européens de toute sorte et par suite, la détérioration et la marginalisation de l’agriculture tunisienne car nos produits ne sont pas compétitifs.
Il y a une disproportion considérable des moyens et des potentialités entre les deux partenaires, c’est pourquoi nous devons prendre mille précautions avant de nous engager dans un processus lourd de conséquences, mais qui présente quand même des opportunités qu’il faudrait saisir pour la promotion de nos propres produits à l’export sans négliger l’afflux des investisseurs privés européens et les transferts de technologie concomitants.
Quels sont les principaux obstacles au développement et à la promotion de l’agriculture tunisienne ? Un constat rapide permet de dresser le profil : prédominance de l’agriculture traditionnelle à 70%, précarité du statut foncier, morcellement poussé de l’exploitation, vieillissement croissant des chefs d’exploitation, forte dépendance vis-à-vis de la pluviométrie, revenus instables et insuffisants pour les paysans et difficultés d’accès aux financements.
Il y a donc beaucoup à faire en matière de réformes structurelles et de mise à niveau des exploitations agricoles et de révision des circuits de commercialisation des produits agroalimentaires.
Comment assurer la mutation qualitative de l’agriculture tunisienne et en même temps préserver les revenus et les intérêts des producteurs tunisiens ?
L’ITES a étudié la problématique et a livré ses conclusions par des propositions concrètes et positives.
L’ITES a identifié deux axes majeurs pour l’intervention de l’UE dans le cadre de l’Aleca en faveur de l’agriculture tunisienne, grâce aux fonds structurels. A savoir l’aménagement hydraulique du territoire agricole pour sauvegarder son indépendance vis-à-vis de la pluviométrie d’une part, la mise à niveau technologique de l’agriculture tunisienne d’autre part.
Il y a donc la construction de nouveaux barrages et de lacs collinaires, ensuite la surélévation et le renforcement des anciens barrages, sans compter l’organisation de la connectibilité entre ces barrages.
Des efforts doivent également être consentis en matière d’économie d’eau dans les périmètres irrigués et de modernisation des techniques agricoles, outre le choix des semences et l’application des normes phytosanitaires européennes. D’autres aspects méritent d’être pris en considération : accès aux financements, promotion du bio, commercialisation des produits périssables, innovations technologiques, transformation et valorisation des produits agricoles, gestion des terres domaniales, soit autant de secteurs qui ont besoin du savoir-faire européen.
Sur quoi devrait porter le contenu de l’accord sur l’Aleca ?
Il ne s’agit pas de négocier seulement la baisse ou la suppression des droits de douane et taxes diverses par produits et secteurs d’activité, mais aussi la durée de la période de transition, les clauses de sauvegarde et aussi la mobilité des personnes, la circulation des capitaux et investissements, le transfert de technologie, l’indemnisation des pertes, les fonds structurels et actions de mise à niveau, sans compter la coopération scientifique et environnementale. Autant dire, un vaste programme pour des négociations de plusieurs années avant l’ancrage de l’économie tunisienne dans l’UE.
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