L’alliance algéro-tuniso-libyenne : Sous le signe du pragmatisme

L’initiative a été, certes, lancée par l’Algérie, mais cela n’explique pas qu’elle soit systématiquement considérée comme une action hostile au Maroc. La question du Sahara occidental est posée depuis plus de cinq décennies et aucun nouvel indice positif ne semble pointer à l’horizon prédisant sa résolution et la réouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc, fermées depuis 1994. Ce qui peut justifier que les trois pays de l’Est soient intéressés par une nouvelle stratégie de rapprochement politique et économique, sans la moindre visée négative contre les deux autres pays du Maghreb.

Pourquoi s’obstiner à superposer la nouvelle alliance à trois sur l’ancienne structure, agonisante, de l’Union du Maghreb Arabe ? La première ne peut être pensée sous le prisme de l’existence de la seconde car elle n’en a ni la dimension ni l’échelle de ses ambitions qui n’ont, au demeurant, jamais été exaucées par l’UMA à cinq, à cause du différend entre l’Algérie et le Maroc au sujet du Sahara occidental. L’absence de la Mauritanie et du Maroc peut être interprétée sous divers angles, sauf celui de l’intention des trois voisins de l’Est de porter le coup de grâce à l’UMA, car leur initiative n’engage que leurs pays, aucun des trois ne s’est, par ailleurs, désisté de son adhésion de l’organisation régionale, et cette nouvelle alliance n’empêchera pas l’UMA, quand l’heure sera venue, d’être ressuscitée. Il est communément admis que les pays maghrébins sous la forme actuelle éclatée ont perdu un temps précieux, des points de croissance et d’importantes opportunités de développement dans tous les domaines. En se refusant une « Union » économique et politique et en « avançant », plutôt en reculant, en solitaires, dans leur propre région, ils se sont inscrits en porte-à-faux par rapport à la dynamique mondiale qui favorise les regroupements régionaux, voire même continentaux, à l’instar de l’Union européenne, des BRICS, du Conseil de coopération du Golfe, de la ZLEA, de la COMESA, de la CEDEAO, etc. Dans un monde où l’économie globale est perçue comme une des solutions contre le sous-développement et la marginalisation, l’intégration régionale se présente comme le premier palier à franchir avant d’atteindre le rayonnement économique mondial. L’alliance tripartite préconisée par l’Algérie, la Tunisie et la Libye s’inscrit dans cette vision et doit être appréhendée sous le prisme du pragmatisme politique qui aspire à canaliser les atouts multiples de chacun des trois pays, à rapprocher davantage les trois Etats qui partagent des frontières communes, à renforcer et à diversifier les échanges de toute sorte entre eux et à améliorer les facteurs de mobilité et les conditions de résidence des trois peuples dans chacun des trois pays. Des perspectives trop longtemps souhaitées et attendues par les peuples de la région et il faut souhaiter que cette initiative, dont la première réunion consultative s’est tenue à Tunis le 22 avril courant, comme annoncé au mois de février dernier, soit couronnée par des décisions et des actions claires dans divers domaines, essentiellement économiques. Considérant les nombreux impacts négatifs de la pandémie Covid-19 et des deux guerres qui lui ont emboîté le pas –en Ukraine et au Proche-Orient-, outre l’instabilité sécuritaire en Libye, la situation économique et sociale dans chacun des trois pays, requiert une réorientation des politiques publiques vers un nouveau paradigme, celui de l’union qui fait la force.

Zones de libre-échange avec cinq pays maghrébins et africains
L’initiative a été, certes, lancée par l’Algérie mais cela n’explique pas qu’elle soit systématiquement considérée comme une action hostile au Maroc. La question du Sahara occidental est posée depuis plus de cinq décennies et aucun nouvel indice positif ne semble pointer à l’horizon prédisant sa résolution et la réouverture des frontières entre l’Algérie et le Maroc, fermées depuis 1994. Ce qui peut justifier que les trois pays de l’Est soient intéressés par une nouvelle stratégie de rapprochement politique et économique, sans la moindre visée négative contre les deux autres pays de la région. La preuve en est donnée par la déclaration du président algérien, Abdelmajid Tebboune, le 14 février 2024, annonçant la création prochaine de zones de libre-échange (espace économique) avec cinq pays africains, dont la Mauritanie (en plus de Tunisie, Libye, Mali, Niger, ndlr). L’intention est donc constructive, en dehors de tout lien avec le problème du Sahara occidental. Le différend entre l’Algérie et le Maroc sape incontestablement les capacités et les ambitions de l’ensemble de la région du Maghreb arabe, ce pourquoi toute alliance conclue en aparté doit être porteuse d’espoir pour tout le Maghreb. Ce que l’on ne peut affirmer à propos de la normalisation du Maroc avec l’entité sioniste. 
Cet accord a, plutôt, introduit un facteur supplémentaire de déstabilisation dans la région et de tensions avec l’Algérie qui observe une position ferme et non négociable sur la légitimité de la cause palestinienne et le droit des Palestiniens d’avoir leur Etat indépendant aux frontières de 1967 avec Al Qods-Est comme capitale. Une position partagée avec la Tunisie et la Libye, ce qui facilite davantage le rapprochement, l’entente et la cohésion entre les trois pays. Il faut rappeler que sur le sujet de la normalisation, le Maroc a toujours défendu sa liberté de contracter les accords qu’il veut avec qui il veut sans être obligé d’informer ses voisins ni de tenir compte de leurs opinions.
Comme promis, les trois présidents maghrébins voisins se sont donc rencontrés à Tunis après s’être donné rendez-vous en février dernier. Quelle chance a cette initiative d’aboutir à l’émergence d’un petit bloc maghrébin cohérent et compact ? Nul ne saurait répondre, les obstacles, internes et externes, étant aussi nombreux et importants que les enjeux géopolitiques maghrébins, arabes, africains, européens et internationaux. 
Mais les intérêts des trois peuples demeurent, pour l’heure, les plus urgents, tels que la résolution de la question migratoire et les flux de migrants subsahariens à travers les trois territoires nationaux, l’amélioration de la situation socio-économique, la facilitation du transit des voyageurs et des marchandises par les passages frontaliers des trois pays  et l’élaboration d’une position commune dans les questions régionales et internationales qui engagent la souveraineté de chacun des trois pays, telles que la question palestinienne.

Déclaration du sommet tripartite

C’est à Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, qu’est revenue la mission d’exposer la «Déclaration du sommet consultatif de Tunis entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye», après l’achèvement des travaux de cette première réunion qui a groupé Kaïs Saïed, Abdelmajid Tebboune et Mohamed El Menfi.
La déclaration indique notamment que les dirigeants de ces pays sont convenus de «former des équipes de travail communes chargées de coordonner les efforts pour protéger la sécurité des frontières communes contre les risques et les conséquences de la migration irrégulière et d’autres formes de criminalité organisée, selon une approche collaborative».
Selon ce document, il a été convenu :
– d’unifier les positions et les discours dans le traitement avec les différents pays concernés par la migration irrégulière au Nord de la Méditerranée et dans les pays subsahariens et de former une équipe de travail pour établir des mécanismes permettant la mise en place des projets et des investissements majeurs communs dans des domaines et des secteurs prioritaires
– d’accélérer la mise en œuvre du projet de liaison électrique entre la Tunisie, la Libye et l’Algérie, de développer la coopération et de surmonter les obstacles entravant la circulation des marchandises, d’accélérer les procédures de déplacement des personnes et de créer des zones de libre-échange, en plus d’établir une ligne maritime régulière reliant les trois pays.
Les dirigeants des trois pays ont par ailleurs exprimé leur attachement à l’indépendance de la décision nationale, à un système international multipartite, au rejet total des ingérences étrangères dans les affaires libyennes et au soutien des efforts visant à organiser des élections pour préserver la sécurité et la stabilité de ce pays.

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