Le projet de loi de finances 2017 a suscité, dès que ses principales dispositions ont été révélées, une vive polémique et parfois des réactions violentes. Pourtant ce projet s’inscrit comme le premier acte concret du gouvernement d’union nationale, constitué fin août dernier, pour remettre de l’ordre dans les finances publiques et relancer la croissance.
Dans un article qu’elle a signé dans Réalités Magazine, Lamia Zribi, ministre des Finances a apporté des éclairages utiles sur la philosophie qui a présidé à l’élaboration de ce projet et, surtout, les exigences d’assurer la soutenabilité de la situation budgétaire du pays.
Le diagnostic de la ministre est clair. Elle estime que, « nous faisons aujourd’hui face à une situation économique difficile qui impose une politique budgétaire extrêmement prudente« . Une politique qui nécessite une approche multidimensionnelle complexe prenant en compte la situation économique, sociale et institutionnelle.
Dans ce cadre, » le projet de la Loi de Finances 2017 qui doit être bientôt discuté à l’Assemblée des Représentants du Peuple détermine l’action du gouvernement pour toute l’année à venir, fixe ses priorités, ses objectifs et les moyens de les atteindre » précise-t-elle. En d’autres termes, ce projet détaille avec la plus grande précision possible les dépenses envisagées et les recettes escomptées pour les couvrir.
Le projet de la Loi de Finances 2017 répond, en effet, à un double objectif, de court et de moyen terme.
A court terme, précise Lamia Zribi, » il permet d’assurer la soutenabilité de la situation budgétaire qui est exsangue. En plus des efforts budgétaires consentis, des économies réalisées et de l’appel à l’épargne domestique et international, nous sommes contraints de recourir aux bailleurs de fonds internationaux qui souhaitent s’assurer de la soutenabilité de notre endettement, conditions sine qua non pour pouvoir bénéficier de prêts à taux d’intérêt préférentiels « .
A moyen terme, ajoute-t-elle, « il s‘agit de redonner, plus largement au budget de l’Etat, la capacité de pérenniser l’avenir et d’assurer le développement du pays par différents investissements« . Il y a lieu de préciser que malgré des marges de manœuvre très étroites dont dispose le gouvernement, il a opté pour une augmentation significative (de 17%) des dépenses de développement.
Garantir la soutenabilité de notre endettement
La Tunisie n’étant pas pourvue en dotations naturelles suffisantes, les recettes publiques propres sont constituées à 88% par les recettes fiscales. Ces recettes fiscales, provenant de la collecte d’impôts directs (IRPP, IS) et indirects (TVA, DD, DC), ne sont pas suffisantes pour couvrir les dépenses publiques et imposent un recours à l’endettement. En effet, explique la ministre, » les 32400 millions de dinars de dépenses prévues dans le projet de Loi de finances 2017 seront financés à hauteur de 23900 millions de recettes propres et 8500 millions de ressources d’emprunts. Nous nous sommes particulièrement attachés à garantir la soutenabilité de notre endettement en maîtrisant la part des ressources d’emprunts dans les ressources totales« . Dans un contexte budgétaire difficile, « nous avons veillé à préserver le pouvoir d’achat des tunisiens en limitant la pression fiscale voire même en l’allégeant pour les moins nantis à travers la révision du barème de l’impôt (IRPP)« . Tout cela est motivé par le souci » de trouver l’équilibre le plus approprié pour pouvoir faire face à nos contraintes de court terme tout en garantissant la pérennité de nos finances publiques à moyen et long terme« .
A l’évidence, le faible rythme de croissance économique (0,8% pour 2015 et 1,5% prévus pour 2016) demeurant en dessous de son niveau potentiel, diminue mécaniquement le volume des recettes collectées. Ce faible rythme de croissance est dû à des facteurs à la fois exogènes (atonie de la croissance en Europe, perte d’activité du secteur touristique, situation difficile en Libye…) et endogènes (l’activité industrielle et les secteurs qui en dépendent affectés par des perturbations sociales…). A ces éléments s’ajoutent des difficultés dans le recouvrement de l’impôt, difficultés qui ne sont pas spécifiques à la Tunisie.
L’ensemble de ces facteurs contribue à l’élargissement du déficit budgétaire qui affecte la soutenabilité de la dynamique de l’endettement. C’est la raison pour laquelle, affirme Lamia Zribi que « nous devons absolument être garants de la soutenabilité de notre endettement et prendre toutes les mesures qui s’imposent. Dans ce contexte difficile, nous sommes parvenus à résorber le déficit de 5,7% du PIB prévu en 2016 à 5,4% en 2017. Les marges de manœuvre du ministère des Finances sont étroites pour répondre à cette conjonction de défis et nous nous devons dans ces circonstances complexes d’utiliser tous les leviers dont nous disposons. »
Faire évoluer la culture de l’impôt
L’amélioration du recouvrement de l’impôt est un important levier et il l’est d’autant plus qu’il ne relève pas uniquement de la problématique économique mais également de la problématique de la justice sociale. Les difficultés de recouvrement alourdissent la charge sur les contribuables les plus transparents et contribuent à la hausse des inégalités et in fine à ralentir le rythme de la croissance économique et réduire le volume des recettes fiscales. Partant, « nous devons prendre toutes les mesures pour lutter contre ceux qui se soustraient à la contribution au financement des dépenses communes dont ils doivent s’acquitter.
Nous travaillons également à l’évolution de la culture vis-à-vis de l’impôt. Le paiement de l’impôt est trop souvent assimilé à un sacrifice car il est perçu comme de l’argent donné à un tiers, à savoir l’Etat. Il est donc ressenti comme un rapport de force entre l’administration fiscale et le contribuable. Cette perception est erronée« , estime la ministre. Le recouvrement de l’impôt permet simplement de financer les dépenses que les citoyens supportent en commun. « Celles-ci sont relatives à de très nombreux domaines qui font partie intégrante de notre vie quotidienne. Il s’agit, entre autres, de nos infrastructures, de notre sécurité intérieure et extérieure, de nos établissements publics d’enseignement et de soin pour ne citer que quelques éléments relatifs à notre quotidien« . Et la ministre de soutenir que » ces dépenses ne peuvent être engagées que communément, via les dépenses publiques comme cela est le cas dans tous les pays du monde« .
« Payer ses impôts », c’est contribuer aux dépenses communes
« Payer ses impôts », c’est donc simplement contribuer, pour ceux qui le peuvent, aux dépenses communes, d’où le terme de « contribuable ». A ce propos, Lamia Zribi tire une première conclusion, » Il n’y a pas lieu à l’affrontement, chacun doit simplement participer proportionnellement à ses revenus au financement des biens et services communs« .
« Le contribuable est en droit, néanmoins, de connaître l’utilisation de son apport et c’est ce à quoi nous nous sommes engagés » souligne-t-elle.
En effet, indique Lamia Zribi, « le ministère des finances, responsable du recouvrement de l’impôt et de l’allocation des ressources communes, s’est engagé à améliorer la transparence sur l’utilisation des fonds collectés et un grand nombre de données statistiques sont disponibles sur les différents sites internet publics« .
Et de réaffirmer que « nous sommes fermement engagés à lutter contre la corruption dont il est très largement prouvé qu’elle affecte négativement la croissance économique et réduit par conséquent le bien-être global« .
Dans le contexte actuel, le ministère montre une ferme résolution à améliorer le recouvrement de l’impôt dans la mesure où, comme dans tous les pays du monde, certains citoyens, normalement capables de contribuer selon les critères légaux, tentent de se soustraire, partiellement voire totalement, à cette contribution commune tout en bénéficiant des biens et services communs. Ce faisant, la charge des autres contribuables se trouve alourdie puisque ceux qui s’acquittent de l’impôt paient collectivement la part de ceux qui ne s’en acquittent pas. En d’autres termes, estime la ministre, » ces derniers agissent en passagers clandestins et il est par conséquent du devoir de tout Gouvernement d’imposer la contribution de chaque personne physique ou morale qui en est capable au regard de la loi« .
« Payer ses impôts, ce n’est donc pas un sacrifice et ce n’est pas non plus un don à qui que ce soit. Payer ses impôts, c’est simplement contribuer aux dépenses communes, contribuer à l’entretien de notre patrimoine commun, à notre sécurité, à notre niveau d’éducation, de santé, au final, contribuer à notre bien-être et notre avenir« , conclut Mme Zribi.