L’animal politique

Pour Aristote, ce fondateur de la logique formelle et précurseur de l’anthropologie, l’homme est un animal politique, un « zoon politokon ». Sa recherche menée, entre autres, sur les animaux, n’est guère étrangère à cette implantation de la condition humaine dans la sphère animalière. En dépit des siècles passés, pareille représentation, quasi darwinienne, projette un éclairage sur l’actualité. Elle focalise l’attention sur la bestialité repérée au sein de l’humanité.
Inavoué, ou occulté, par orgueil, l’infra-humain peut, à tout moment, émerger.
Sa poussée volcanique brise la couche superficielle de la civilité. Les règles de conduite vacillent sur le sable mouvant de l’animalité sous-jacente aux codifications instituées. La brute subvertit les conduites normalisées. Voilà pourquoi les appels à la moralisation de la vie politique exhibent des airs tragi-comiques et font long feu tant ils jouent hors jeu. A l’Assemblée, où la vocifération l’emporte sur la parole articulée, certains députés ne parlent pas, ils aboient. Les spectateurs, médusés, assistent au passage du sage à l’état sauvage. Cette même dialectique où interfèrent la bête humaine et la personne civilisée entraîne la démocratie vers la voyoucratie. Pris de furie contre la critique de ses a priori anachroniques, l’animal politique panique, hurle et montre ses dents prêtes à mordre le tout venant. C’est l’instant où la jungle pré-humaine reprend ses droits et abat l’esprit des lois. Dans ces conditions, que voilà, moraliser la vie politique inscrit par pertes et profits l’explication véridique. La socialisation de l’enfant, dès le premier âge, programme la production du gentleman et du truand. Les tenants du sens commun ne s’y trompent guère et le verdict authentique tombe sur le député enragé : « mahouch mitrobbi ». Hé oui, l’éducation parentale anticipe l’éthique ou la goujaterie politique ! Comment donc moraliser l’écervelé quand les jeux sont faits ?
La reproduction de la mauvaise éducation passe d’une génération à ses rejetons. La mère condamnée pour avoir drogué son bébé avec une troïka dégénérée, fournit l’illustration exemplaire de la profonde raison des hurlements poussés dans l’auguste et solennelle enceinte parlementaire. La moralisation de la vie politique implique l’exploration des rapports construits entre parents et enfants. Excédé par la violence et la vulgarité, le président de l’Assemblée lève la séance envahie par la folie.
Une loghorrée débridée charrie un flot de contre-vérités. Le même député incriminait, mille et une fois, l’absence de l’Etat.
Depuis le 14 janvier, la débâcle économique et la gabegie politique paraissaient avoir partie liée avec la déliquescence de l’autorité.
Mais dès l’instant où, maintenant, le responsabilisé assume ses responsabilités, il attire les foudres tombées sur l’absolutisme, le totalitarisme et le populisme.
L’obsession du pouvoir et de l’avoir le conduira vers la trappe où tombèrent ses prédécesseurs, l’un après l’autre, congédiés en toute indignité.
Parmi ses torts, nombreux, figure l’afflux d’argent venu de l’étranger. L’amalgame, une fois inauguré, ne finit jamais.
Pourtant, ce responsable sans cesse fustigé n’a pas l’air d’avoir cherché à réislamiser les égarés. A l’évidence, le propagateur des calomnies se trompe de parti car le pris à partie ne paraît intéresser, outre mesure, ni le Qatar, ni la Turquie.
Entre le sensé-savoir et le sens commun, le va-et-vient tire à boulets rouges vers les sommets, indifférenciés, de l’autorité. Voici un exemplaire de ces belles manières : « 9immaton bila himmatin ».
Exposé devant un bâtiment d’habitation à l’adresse des résidents et des passants d’El Manar, ce genre de slogan, d’abord opposé au dernier sommet de la Ligue arabe, semble, maintenant, chercher à disqualifier les hauteurs de l’Etat lors des prochaines élections. Confrontés aux accusations gratuites et aux contre-vérités, les animateurs des médias réclament des preuves jamais apportées. Ce bouillon d’inculture et de fioritures, servi aux électeurs, complexifie la tâche des appelés à séparer le bon grain de l’ivraie. De même, pour chercher à obtenir les suffrages, en vue de gouverner l’ingouvernable, il faut être un saint ou un diable. Contre la chamaille et la guerre larvée, ou déclarée, entre insensés, Baudelaire imite Longfellow pour écrire « Le calumet de paix » : « Pourquoi l’homme fait-il la chasse à son voisin/… Le péril est pour vous dans vos humeurs contraires, / Et c’est dans l’union qu’est votre force /Vivez donc et sachez vous maintenir en paix ».
Tout comme Gitche Manito, Ghannouchi proclame chercher à éviter la guerre civile par le recours aux services du « consensus ». BCE vient de le recevoir au palais après lui avoir signifié de ne plus le rencontrer. Le « consensus » procure aux nahdhaouis le paratonnerre brandi contre certaines affaires. A la frontière, l’Algérie exhibe le risque encouru par les dégagés. Elle poursuit les enrichis auparavant immunisés grâce au consensus organisé avec Bouteflika.
Dès l’indépendance, la Tunisie accuse les tenants de « bien mal acquis ». Perdre le pouvoir expose au pire des avenirs. Bourguiba détrône Lamine Bey placé en résidence surveillée, Ben Ali commet le coup d’Etat nocturne contre Bouguiba incarcéré.
La perspective du purgatoire figure parmi les raisons du maintien, ad vitam, au sommet du pouvoir. Mosmar Jha peut vouloir dire cela. Qui envierait le sort de Sissi au cas où il serait dégagé par ansar Morsi ?
L’envie de la présidence à vie sous-tend le tripotage de la Constitution. Parmi d’autres motivations plus ou moins cyniques, l’éternisation sur les hauteurs de l’Etat introduit le ver machiavélique dans le fruit démocratique.
J’y suis, j’y reste et, après moi, le déluge. Avec ces dispositions subjectives, comme le dit Carl von Clausewitz, la guerre est « la continuation de la politique par d’autres moyens  ».
Par cette formulation, l’auteur débusque une continuité entre la politique et la guerre, tout comme si la dimension guerrière hantait la politique.

Related posts

Requiem pour le palais Raffo à l’Ariana

Quand les vessies deviennent des lanternes

A quoi tient la vie d’un parti ?