La Tunisie clôture l’année 2018 dans un climat politico-social tumultueux. C’est pratiquement le « ras-le-bol » qui règne. Et c’est le pays tout entier et le citoyen, plus particulièrement, qui sont en train de payer la lourde facture de « l’amateurisme » politique, des « défaillances » managériales et de « l’inconscience » élitaire.
Les événements, ayant jalonné la vie publique en 2018, ont reconfirmé, encore une fois, la nécessité et l’importance absolue de la stabilité institutionnelle et politique dans la résolution des problèmes socioéconomiques du pays.
Les forces réfractaires, si elles continuent à gagner le paysage institutionnel du pays, aussi bien les prémices de reprise économique observée depuis quelque temps et l’institution récente du Conseil national du dialogue social que les promesses de la mise en œuvre des grandes réformes, du rebond de l’investissement privé et de la tenue des élections législatives et présidentielle à leur date, risqueraient sérieusement de s’estomper. Ce sont fondamentalement ces promesses qui émergent en défis à relever en 2019.
D’ailleurs, et dans la foulée des remous ayant accompagné l’approbation du projet de loi de Finances 2019 ayant fait couler beaucoup d’encre, l’Assemblée des représentants du peuple a rejeté le projet de loi amendant le régime des retraites et ce, malgré la situation critique des caisses sociales. Il y a de quoi s’inquiéter de tout retard des réformes d’urgence !
Les défis de 2019 donnent à mener un exercice pédagogique sur l’analyse des forces, des faiblesses, des menaces et des opportunités pour dégager les lignes de force « stratégiques » susceptibles de résoudre ces défis et de baliser l’itinéraire de l’action publique en 2019.
S’inscrire dans la positivité tout d’abord
Optimisme oblige, les évènements positifs ayant caractérisé l’année 2018 devront être capitalisés pour un avenir meilleur. Ce sont des forces motrices qui doivent exhorter davantage à l’action et la poursuite des efforts pour sortir le pays de l’ornière.
Premièrement, le déblocage de la crise gouvernementale. Le remaniement ministériel et le vote de confiance au gouvernement Chahed III ont mis fin à un long feuilleton de tractations et de spéculations politiques hautement déstabilisantes au risque de scléroser les rouages de l’Etat. Ce plébiscite doit contribuer à la stabilité gouvernementale et redonner une certaine visibilité à l’action publique jusqu’à la fin du mandat politique et la tenue des prochaines élections.
Deuxièmement, la récente reprise de l’activité économique après deux années de croissance « médiocre », pour emprunter les termes de Christine Lagarde, Directrice générale du FMI, est un actif important qui s’ajoute à l’action gouvernementale et qui doit normalement être favorable à l’emploi, à l’apaisement des tensions sociales et à la correction des déséquilibres économiques en cas de consolidation.
Troisièmement, l’avancement de la Tunisie dans le classement de « Doing business » de la Banque mondiale doit servir de jalon pour améliorer l’image du pays auprès de ses partenaires étrangers et susciter l’engouement des investissements directs étrangers pour la destination Tunisie.
Reconnaître les faiblesses ensuite
Toutes les parties prenantes sont appelées à prendre du recul et se remettre en cause sur certains fronts.
Premièrement, l’efficacité de l’action publique a parfois buté sur un manque de cohérence de certaines mesures de politiques publiques. Parce qu’en général, toute mesure ou action de réforme précipitée ou insuffisamment étudiée au regard de ses effets et coûts socioéconomiques, relève de l’imprudence et pourrait être « contreproductive ». Preuve à l’appui, le tapage qu’ont créé certaines dispositions fiscales inscrites dans la loi de Finances 2019 aurait été éludé au vu des contraintes du contexte et de la sensibilité de l’étape.
Deuxièmement, le Parlement, par lenteur des travaux, assume une part de responsabilité dans les difficultés que traverse le pays. Force est de rappeler que nombreux sont les projets de loi à vocation économique qui attendent depuis des années le feu vert de l’appareil législatif. S’il est vrai que l’Assemblée a affaire à un tas de projets de réforme, il est tout aussi vrai que, dans une certaine mesure, elle accuse un problème de priorisation. A signaler que la non promulgation de certains projets de loi dans les délais impartis a provoqué des retards dans la mobilisation de ressources de financement extérieur faute de respect des conditions de décaissement prévues dans les programmes d’appui budgétaire conclus avec les bailleurs de fonds.
Troisièmement, le comportement de certains partis politiques, notamment ceux qui participent au gouvernement est pour le moins « irresponsable ». La lutte fratricide et les conflits internes n’ont pas seulement miné les partis eux-mêmes, mais surtout sapé la cohésion gouvernementale. Cette dernière a été entachée par les tractations politiques et des tiraillements paralysants et aux dépens de la solidarité gouvernementale, l’efficacité de l’action publique, la gestion des réformes structurelles et surtout la confiance envers la classe politique dans son ensemble.
Identifier les menaces après
Les menaces externes à la réalisation des objectifs du gouvernement fixés pour la période à venir ne doivent pas être sous-estimées.
Premièrement, le blocage des négociations avec la Centrale syndicale sur les majorations salariales dans la fonction publique, surtout que l’UGTT brandit toujours la grève générale du 17 janvier. Ce genre de pression, voire d’intransigeance, ne peut que porter atteinte à l’état de confiance entre les partenaires sociaux et accentuer les contraintes d’ajustement budgétaire.
Deuxièmement, la difficulté de mobiliser les ressources financières extérieures pour exécuter le budget de 2019. L’attitude éventuellement défavorable du FMI vis-à-vis d’une nouvelle augmentation des dépenses des traitements et salaires dans le budget de l’Etat, risquerait d’entamer la confiance des autres bailleurs de fonds dont la mise en œuvre des engagements est, dans une large mesure, alignée sur l’avancement du programme économique avec le FMI. L’enjeu pour les autorités nationales est de savoir comment associer engagements de gel des salaires avec le FMI, « à moins que les conditions économiques le permettent », et demandes intransigeantes de la part de la Centrale syndicale.
Troisièmement, l’opposition aux réformes par des pans de secteurs et corps professionnels. Des intellectuels poussés par l’esprit de « rébellion » risquent de jeter le pays dans la complexité, le désarroi, voire l’inconnu, et sortir de toute logique, discipline, solidarité et responsabilité.
Ce sont le blocage des réformes structurelles et la détérioration des équilibres macroéconomiques qui pourraient constituer le pire à craindre et les vraies menaces auxquelles pourrait faire face la Tunisie à l’avenir.
Dégager les opportunités enfin
En dépit des risques sous-jacents, beaucoup d’opportunités sont à repérer, saisir et exploiter en 2019.
Premièrement, l’organisation des élections législatives et présidentielle à la fin de l’année. Ce rendez-vous électoral doit se solder par une recomposition du paysage politique et une régénération de la classe politique, susceptibles de donner un nouvel élan à l’action publique, consolider l’exercice démocratique et apaiser les « crises » politiques délétères qu’a connues le pays. La Tunisie aura tout à y gagner de la tenue d’élections transparentes à leur date, lesquelles élections doivent veiller à ce que le débat sur les vrais sujets économiques occupe une place axiale beaucoup plus que les compositions des listes et les alliances partisanes.
Deuxièmement, le parachèvement du cadre législatif et règlementaire de l’investissement retenu comme principal moteur de la croissance future en Tunisie. Ce maillon important du climat des affaires doit insuffler une nouvelle dynamique à la décision d’investir et drainer davantage d’investisseurs, notamment étrangers. L’année 2019 doit normalement voir les « sorties » de la Conférence internationale sur le partenariat public-privé tenue au mois de septembre dernier se concrétiser et donner leurs fruits.
Troisièmement, l’institution du Conseil national du dialogue social. La tenue de la première réunion de ce Conseil est un acquis majeur de la transition politique du pays, mais aussi un facteur de premier plan de la transition économique. C’est cette institution qui doit inculquer la culture de compromis, la concertation active et le consensus national, conditions idoines à la résorption des conflits, la définition des priorités nationales, l’efficacité des politiques publiques et surtout l’avancement des réformes majeures faisant débat dans l’actualité.
Faut-il en l’occurrence savoir ses forces, apprendre de ses faiblesses, apprécier les risques éventuels et saisir les opportunités offertes pour pouvoir dégager les lignes de forces stratégiques dont disposent ce pays et ce peuple pour rattraper le retard et réussir dans l’avenir ?
Partis politiques, gouvernement, partenaires sociaux, organisations professionnelles, société civile et citoyens, faisons tous preuve de responsabilité commune, ayons le sens de la patrie et surtout restons optimistes pour relever tous les défis et réussir la transition démocratique !
Alaya Becheikh