Conscient de l’enjeu que représente l’aquaculture, Réalités Magazine, sous le patronage de Samir Taïeb, ministre de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la Pêche, a organisé, dans le cadre du Forum International de Réalités, une table ronde autour du thème de « l’Aquaculture en Tunisie : défis et perspectives de développement », jeudi 27 octobre 2016.
Le coup d’envoi des travaux a été donné après l’allocution de Taïeb Zahar, président du Forum International de Réalités, et celle du ministre.
Taïeb Zahar a souligné l’importance de débattre de la question de l’aquaculture en Tunisie. « Un secteur prometteur, l’un des rares à avoir connu la croissance après la Révolution », a-t-il déclaré.
L’aquaculture, un secteur clé, malgré les difficultés
Samir Taïeb, de son côté, a salué la présence des professionnels du secteur qui, selon lui, permettront d’approfondir et d’enrichir le débat. D’un autre côté, le ministre de l’Agriculture a fait part de chiffres, publiés par la FAO, et qui soulignent que la croissance moyenne internationale de la pêche devrait augmenter de 0.3% d’ici 2030. Une progression timide, comparée à celle de la production de l’aquaculture, dont la hausse, selon le ministre, est dix fois supérieure à celle de la pêche. Et pas seulement. La part de l’aquaculture dans la production de poissons devrait atteindre 50% la même année.
Cette tendance mondiale est valable pour la Tunisie, selon Samir Taïeb. Au total, la Tunisie produit, chaque année, près de 110 000 tonnes de poissons. L’aquaculture enregistre, pour sa part, une croissance annuelle de 10%.
« C’est un secteur clé, permettant de fournir des quantités supplémentaires de poissons. La production nationale est passée de 2500 tonnes à 5000 tonnes, entre 2002 et 2011 pour atteindre 14300 tonnes en 2015, ce qui représente un taux de 11% de la production halieutique nationale », a déclaré le ministre.
Un secteur qui, malgré cette performance, fait face à de nombreuses difficultés, compte tenu des limites du marché local. Dans ce contexte difficile, Samir Taïeb a rappelé que le ministère travaille d’arrache-pied afin de résoudre les problématiques de l’aquaculture, et ce dans l’objectif de protéger et les producteurs et l’écosystème. L’action vise :
- Stimuler la création des fermes afin de garantir l’autosuffisance (un Conseil ministériel restreint, tenu le 12 novembre 2015, a décrété la mise en place de zones spécifiques pour la mise en place de ces fermes).
- Mise en place d’unités de production de nourriture de poissons locales à travers l’exonération des intrants des droits de douane.
- Œuvrer à l’ouverture de nouveaux marchés par le biais de l’étude de la compétitivité des produits tunisiens
- Diversification des espèces cultivées comme les crustacés en comptant sur des compétences tunisiennes et étrangères
- Soutien à la recherche scientifique, permettant ainsi de contrôler les coûts de production et d’améliorer le rendement
Les assureurs, partenaires des producteurs
À l’instar de Taïeb Zahar et Samir Taïeb, le PDG de Lloyd Tunisie, Taïeb Bayahi, a insisté sur l’énorme potentiel de développement offert par l’aquaculture. « On peut faire participer ce secteur au développement de l’économie tunisienne », a-t-il dit. Il a néanmoins souligné les obstacles auxquels se heurtent non seulement le secteur, mais aussi les assureurs. « L’aquaculture demeure difficilement assurable. Il faut considérer l’assureur comme un partenaire, un accompagnateur, et non pas en tant que gestionnaire des sinistres », a-t-il encore ajouté.
Un débat musclé, les professionnels laissent libre cours à leur frustration
La table ronde était, par ailleurs, l’occasion pour les professionnels du secteur de l’aquaculture de faire part de leurs expériences, mais surtout des difficultés qu’ils rencontrent et des propositions qu’ils souhaitent émettre. L’occasion était immanquable, étant donné la présence de deux représentants de l’État, à savoir Abdallah Rabhi, secrétaire d’Etat aux Ressources hydrauliques et à la Pêche (remplaçant le ministre qui avait dû quitter la table, compte tenu de son agenda chargé), ou encore Rakia Ben Kahia, chargée du secteur de l’aquaculture au sein du ministère de l’Agriculture.
Plusieurs questions ont été soulevées par les intervenants. Certains ont exprimé leur pessimisme concernant l’avenir de l’aquaculture en Tunisie, dénonçant, entre autre, la pêche abusive. Le vol de marchandises est une autre réalité difficile que subissent de nombreux professionnels, excédés par l’immobilisme des autorités. « On peut produire 100 tonnes de poissons, mais n’en vendre que 5 tonnes ! Pourquoi ? Car les voleurs se sont accaparés le marché », a déclaré, avec une pointe d’indignation dans la voix, l’un des intervenants. « Nous avons, une fois, arrêté des voleurs. Nous les avons remis à la police. Mais quelques semaines plus tard, ils étaient libres ! », s’est indigné un autre professionnel.
« On ne peut pas tout résoudre »
Des interventions plutôt musclées, exprimant le désarroi des professionnels du secteur qui souffrent de la concurrence déloyale, imposée par ceux qui leur volent leur gagne-pain.
Par ailleurs, d’autres ont mis l’accent sur l’importance de la mise en place d’une stratégie de développement claire, soulignant, par la même occasion, le parcours du combattant pour se voir octroyer des concessions.
Autre question mise sur la table, notamment par Ameur Sabet, secrétaire général de la fédération nationale des agriculteurs : le blocage qui règne dans les relations entre assureurs et aquaculteurs. « Les assureurs sont sceptiques vis-à-vis du manque de solvabilité des fermes. Il existe plusieurs désaccords lors de la négociation des contrats », a-t-il souligné.
Face aux doléances des professionnels, le secrétaire d’État s’est voulu rassurant, mais ferme à bien des égards. Il a, entre autre, appelé à la tenue d’une nouvelle rencontre entre le ministère et les professionnels, afin de discuter davantage et de tenter de fixer les priorités. « On ne peut pas tout résoudre », a-t-il dit, proposant une rencontre dans un délai d’un mois pour un nouveau débat. « La porte du dialogue reste ouverte ».
À la fin de la table ronde, six points ont été exposés par Néjib Ouerghi, directeur de la rédaction de Réalités magazine, à l’adresse du ministère, concernant l’aquaculture. Il y a, tout d’abord, la question du développement du secteur et l’importance de développer aussi bien le marché local que l’exportation. Ensuite, la gouvernance et l’organisation du secteur. Arrive, ensuite, la question de l’investissement qui est à stimuler. La diversification de la production a également figuré dans les interrogations générales. Sans compter les thèmes du financement et de l’assurance : « l’assurance est-elle la garantie de la pérennité du secteur ? », s’est interrogé Néjib Ouerghi.
Le dernier point, a porté sur la nécessité de la mise en place d’un plan d’action stimulant l’investissement et résolvant les problèmes les plus urgents du secteur, notamment celui de l’octroi des concessions ou encore la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique.
Réagissant à ces questions, le responsable de la direction générale de la pêche au sein du ministère de l’Agriculture a dressé les principaux objectifs du ministère. « Plusieurs plans sont à l’étude depuis les années 80. L’aquaculture n’est pas seulement la daurade et le loup. Le marché est saturé au niveau de ces filières », a-t-il déclaré à l’adresse de l’assistance.
Le responsable a poursuivi en rappelant qu’un comité technique a été mis en place au sein du ministère dans l’objectif d’avancer point par point. « Le premier consiste à mettre en oeuvre une loi régulant le secteur de l’aquaculture. Ensuite, il faut savoir que 70% des alevins proviennent de l’étranger. Miser sur une production locale permettra de réduire considérablement les charges », a-t-il encore ajouté, pour conclure avec la nécessité de s’orienter vers l’aquaculture biologique. « C’est un système d’élevage sans apport d’aliments. C’est une réelle valeur ajoutée ».
La rencontre a ainsi permis de rassembler autour de la même table les professionnels de l’aquaculture et les décideurs, à savoir les représentants du ministère de l’Agriculture.
Développer et encadrer l’aquaculture pourrait ouvrir de nouvelles portes de croissance à la Tunisie, à l’heure où les solutions se font de plus en plus rares.
M.F.K