Lassaad Bachoual, Colonel des douanes chargé du volet terrorisme, contrebande et blanchiment d’argent : Il existe aujourd’hui une volonté de réformer et de moderniser la douane

Le nouveau rapport publié par la Banque mondiale «Réseaux politiques et fraude douanière Données tirées de l’expérience tunisienne »  pointe du doigt la douane tunisienne. Si depuis la révolution l’évasion fiscale a diminué parmi les entreprises proches de l’ancien régime de Ben Ali, le non-paiement des droits à l’importation a plutôt augmenté en général.
 Il rend compte de la pratique largement répandue du non acquittement des droits à l’importation par les entreprises qui entretenaient  des relations privilégiées avec le régime déchu, leur permettant d’éviter de payer, en déclarant des valeurs inférieures, pas moins de 1,2 milliard de dollars en droits entre 2002 et 2009. Le rapport conclut notamment que si depuis la Révolution, l’évasion fiscale a diminué, le non-paiement des droits à l’importation a plutôt augmenté en général.
Lassaad Bachoual, Colonel des douanes chargé du volet terrorisme, contrebande et blanchiment d’argent nous livre des éclairages sur le rapport de la BM et sur la situation de la douane aujourd’hui, cinq ans après la Révolution.
Avez-vous des réserves sur le dernier rapport de la Banque mondiale sur la fraude douanière ?
Tout d’abord, le rapport n’était pas fondé sur des opérations douanières. La Banque mondiale a basé ses recherches sur des sondages. Comment peut-on avoir des chiffres sur la fraude fiscale alors qu’on n’a pas sollicité, à aucun moment, les départements de la douane, chargés de cette mission ? Je dirais aussi qu’il faut faire une petite précision. Quand on parle de la contrebande, c’est le fait que des marchandises passent les frontières dans les deux sens sans passer par les bureaux des douanes. Il y a une grande confusion entre la contrebande et l’importation légale à travers les bureaux frontaliers de la douane. C’est vrai qu’il y a eu un relâchement après la révolution du fait que certaines manœuvres ont été utilisées par les opérateurs légaux ou par les importateurs occasionnels. Un relâchement de contrôle par les autorités et les agents de la douane chargés d’appliquer la loi dans un contexte de laisser-aller général qu’a connu le pays après la révolution. C’est ce qui explique que la fraude fiscale a augmenté, mais je ne peux confirmer le chiffre avancé par la BM qui est de 5%. En réalité, quand on voit les statistiques de nos recettes douanières enregistrées tout au long de cette période, on remarquera une grande évolution. Quand on parle d’un chiffre de 4.500 milliards de dinars de droits et taxes douaniers perçus pour l’exercice 2014, on est en droit de dire que ce chiffre est loin d’être insignifiant, bien au contraire.
Au niveau des bureaux frontaliers, il y a quatre éléments déterminants qui sont en rapport avec l’entrée et la sortie des marchandises et qui peuvent mener à une fraude douanière. Il y a l’espèce tarifaire de la marchandise, l’origine de la marchandise, la valeur de la marchandise et la quantité de la marchandise. Ce sont les quatre piliers dans la déclaration douanière d’une marchandise. Dans trois de ces éléments, à savoir la valeur, l’espèce et l’origine tarifaire, la fraude est quasi impossible, car la douane dispose d’un système de gestion des risques capable de détecter la fraude sur ces 3 piliers. Ce système est capable de détecter toute anomalie sur ces trois éléments. Mais aussi ce système est basé sur des normes et réglementations internationales dont la Tunisie est membre avec plus de 179 pays. Les pays membres s’engagent à respecter ces normes. La possibilité de fraude peut s’avérer dans la quantité de la marchandise. Car le contrôle ne se fait pas par un système logistique mais par un contrôle physique avec la marchandise à travers les agents de la douane. Ces inspecteurs de contrôle peuvent manquer à leur devoir et ne pas vérifier la quantité de la marchandise. Des fois, cette mission de contrôle est pénalisée par le principe de facilitation des procédures instaurée par la douane. A ce niveau, toute la question est de trouver l’équilibre entre le contrôle et la facilitation des procédures. Comment contrôler sans léser les intérêts des opérateurs économiques et leur faciliter le transfert des marchandises ? Telle est la question. Dans la recherche de cet équilibre, des opérations de contrôle peuvent ne pas se faire dans les règles du respect des procédures et des quantités de marchandises peuvent passer inaperçues.

Malgré ces réserves, comment allez-vous réagir à ce document qui vous a été transmis par la BM ?
La douane va positiver ce rapport de la Banque mondiale et le considérer comme une base de données qui pourrait nous aider dans notre programme de réformes de la douane. Un document qui pourrait servir d’un moyen d’identification des défaillances de notre institution et les moyens d’en remédier. Nous connaissons, d’ores et déjà, les défis de notre travail notamment en termes d’importation et de dédouanement. Si au niveau du contrôle immédiat, il y a eu un relâchement, on doit faire en sorte de le renforcer a postériori par l’étude des comptes et des bilans des sociétés. On vérifiera ainsi la véracité des informations de ce rapport et on se basera sur ce volet sur le contrôle de conformité et le contrôle d’effectivité.

Les initiateurs du rapport estiment que mis à part les changements effectués à la tête de sa direction, la douane n’a connu aucune réforme sérieuse, qu’en pensez vous ?
Certes, il y a eu un changement à la tête de la direction à plusieurs reprises, malheureusement à chaque fois ou le directeur général entame un programme de réformes, il est rattrapé par un limogeage, ce qui a empêché d’entamer une réforme sérieuse qui était programmée depuis 2008. Le corps de la douane représente un élément vital pour le pays et c’est l’administration de l’administration. La douane touche à l’ordre public, à l’ordre public économique, à l’ordre public social et culturel. Pour réformer ce corps, on a besoin de visibilité et de volonté politique. Avec le nouveau directeur général, la volonté existe et la douane vit aujourd’hui une transition historique. Plusieurs chantiers sont encours dans le but de moderniser et réformer la Douane. Si on veut lutter fortement contre les pratiques illicites, il faut réfléchir à une Administration moderne sans beaucoup de procédures administratives.
Sur un autre plan, minimiser l’intervention humaine dans la douane ne veut pas dire que nous sommes des corrompus. La restructuration de la direction générale de la douane représente un grand chantier qu’on va attaquer prochainement. Depuis la Révolution et dans le cadre de la justice transitionnelle, des douaniers ont pu bénéficier de grades, il en est résulté un surplus d’officiers haut gradés. Aujourd’hui, nous avons près de 400 colonels. Une personne embauchée à l’âge de 17 ans certes, sans un haut niveau d’études, mais après 30 ans d’expérience, elle aura droit au grade de colonel. Résultat : la plupart des fonctionnaires de la douane sont aujourd’hui des décideurs et meneurs de troupe. Comment ces hauts gradés peuvent-ils garder leur qualification et en même temps servir la douane ? C’est le projet sur lequel nous travaillons pour mieux exploiter les compétences existantes dans le sens de plus d’employabilité à travers un programme de gestion par compétence. Ainsi dans le cadre de cette restructuration de notre institution, cet excédent de colonels se transformera en atout majeure pour la douane.

Certains prétendent qu’il existe encore des résistances aux changements et à la réforme, qu’en est il au juste ?
Il existe trois catégories de personnes, les alliés, les hésitants et les opposants. Le problème se trouve au niveau des opposants capables d’altérer l’environnement professionnel. Quand on parle de syndicalisme on parle de défendre les intérêts du travailleur à travers le salaire et l’environnement du travail. S’impliquer dans la décision des choix stratégiques de l’entreprise et dans sa gestion ne relève pas du droit syndical. Défendre les droits des agents de la douane représente le cheval de bataille de la douane aujourd’hui, car le capital humain est une constituante principale de la douane tunisienne.
Au rang des priorités figure la nécessite d’améliorer la situation de l’agent douanier pour qu’il puisse accomplir sa mission convenablement. La confiance entre les agents et leur institution est une garantie pour l’accomplissement des missions de la douane. La gestion et la gouvernance de la société émane d’un diagnostic qui nous mène à un constat des défaillances et à des pistes de réformes à suivre. La résistance existe et le déni de changement existe aussi mais aujourd’hui avec le programme de réformes et de restructuration de la douane nous saurons convaincre les opposants aux changements et les inciter à adopter cette nouvelle culture de la douane et participer à la nouvelle naissance d’une douane moderne qui sert les intérêts du pays.
Aujourd’hui, la douane change et ce changement elle le partagera avec le citoyen tunisien à travers la communication. Depuis toujours le corps de la douane a été beaucoup critiqué malmené, dénigré et culpabilisé. L’image de la douane s’est détériorée. Cela est dû, entre autres, à l’absence de communication de la part de cette grande institution. L’ancien régime a tout fait pour que la douane soit renfermée sur elle-même, ce qui n’a fait qu’alimenter les fausses interprétations et sa mauvaise réputation. La majorité des Tunisiens ne savant pas ce que c’est la mission de la douane. Aujourd’hui la douane vient de mettre un bureau de presse et a ouvert ses portes aux médias et depuis quelques mois la douane publie presque quotidiennement ses activités et ses opérations qui étaient avant occultes. La transparence et la communication seront les leitmotive de la douane.

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