L’avenir de l’Afrique du nord se situe dans ses régions frontalières  

et Yasmine Briki, Fondatrice et Présidente de Gouvernance Think Tank Magazine

Par Ghazi Ben Ahmed, Fondateur et Président du Mediterranean Developement Initiative

La visite d’État qu’a effectué le Président algérien Abdelmajid Tebboune en Tunisie s’annonce prometteuse et porteuse d’un nouvel élan centré sur le bien être des citoyens. « Nous ferons tout pour que les peuples algérien et tunisien vivent confortablement » a-t-il déclaré lors de la conférence de presse. Même enthousiasme coté tunisien, « Ensemble, nous allons construire notre avenir » a renchéri Kaïs Saied, le président tunisien.
Ceci est de bon augure car tunisiens et algériens aspirent à une meilleure intégration dans un monde globalisé où les États seuls ne font plus le poids face aux nombreux défis. Cette réalité était vraie hier, elle l’est davantage aujourd’hui avec le changement climatique, la transition numérique, et la pandémie de Covid-19 que l’on pressent récurrente dans les années à venir. Une coopération stratégique et renforcée entre la Tunisie et l’Algérie, à travers une meilleure exploitation des régions transfrontalières et une bonne gouvernance locale, permettrait de relancer l’intégration régionale et de créer de nouvelles sources de croissance.

Le rôle pionnier de la coopération tuniso-algérienne pour plus de valeur ajoutée nord-africaine
Dans nos régions frontalières, on n’observe pas, ou peu, de développement de fonctions logistiques ou d’activités industrielles et de service liées aux échanges commerciaux dans la région, ni par conséquent de pôles urbains de taille importante.
De plus, comme l’indique une étude de l’OCDE, « ces frontières terrestres se trouvent dans une situation d’isolement et de sous-équipement de part et d’autre. Les solidarités reposent essentiellement sur les liens sociaux et la fréquentation des mêmes équipements, et non sur une réelle dynamique économique d’envergure régionale ».
Or, en Europe, par exemple, les régions frontalières sont des modèles d’intégration et sont les mieux placées pour tester de nouvelles idées et des solutions innovantes. Elles ont été des leviers pour l’intégration et le rapprochement des peuples. Et c’est la commission européenne qui en 1990 met sur pied la première génération de programmes INTERREG de coopération transfrontalière. Depuis lors, ces programmes ont financé de très nombreux projets de coopération aux frontières intérieures et extérieures de l’Union européenne
Nous sommes convaincus que la coopération tuniso-algérienne a un rôle pionnier et nous y voyons une manière de relancer l’intégration nord-africaine au niveau régional. La Tunisie et l’Algérie peuvent innover en matière de coopération en faisant preuve du courage nécessaire pour expérimenter une nouvelle approche de la coopération transfrontalière.
Les populations pourraient par conséquent améliorer leur situation en réalisant des « économies d’échelle » sur la commercialisation de leurs produits et, surtout, sur le fonctionnement des équipements sociaux (éducation et santé), en collaborant avec les collectivités territoriales du pays voisin.
Pour peu que la Tunisie achève les 80 kilomètres d’autoroute Bousalem vers la frontière algérienne (pour un coût évalué à 800 millions de dollars), on pourrait assister à la formation de communautés d’intérêts, favorisant de nouvelles synergies entre des populations proches et amorçant des unités fonctionnelles transfrontalières locales, basées sur « les parentés ethniques, l’usage commun d’équipements, et la mise en valeur agricole de terroirs limitrophes ». « Le pays-frontière » remplace la frontière. La coopération transfrontalière décentralisée devient alors un ancrage fort du processus d’intégration régionale.

La gouvernance locale peut contribuer à relever les défis
Les collectivités territoriales des régions frontalières sont des acteurs clés de cette coopération. Par leurs statuts, elles sont à même d’engager des échanges avec leurs homologues de l’autre côté de la frontière afin d’identifier les problématiques communes, d’échanger les bonnes pratiques et de mettre en place des plans d’action commune.
Aussi, par leurs réseaux, les collectivités territoriales peuvent mobiliser des partenaires économiques locaux, des partenaires sociaux et des acteurs de la société civile afin de créer une synergie et aborder les problématiques locales en apportant des réponses locales et communes.
Enfin, la mutualisation des moyens et la complémentarité sont des points primordiaux dans la coopération transfrontalière ; en effet, le savoir-faire des uns peut compléter l’expertise des autres, les ressources partagées permettent de réduire les coûts et les dépenses et astreignent à la bonne gouvernance financière. Ainsi, on peut imaginer des projets communs, à titre d’exemple :encourager un programme agricole sous forme de coopérative, cultivant des produits liés à la nature du sol et au climat local, ou alors une gestion commune des déchets dont les conséquences environnementales concernent les riverains des deux côtés de la frontière, ou le développement de filières industrielles en se basant sur des savoir-faire complémentaires, en départageant les tâches et en mutualisant les outils de production. Les sujets de coopération entre les collectivités sont pléthore et peuvent relever aussi bien des domaines économique, social, infrastructurel que sécuritaire, culturel, environnemental, etc.

Une nécessaire volonté politique
Pour accompagner les grands chantiers des réformes structurantes – politiques et institutionnelles – engagées par l’Etat Algérien ces dernières années, le Programme des Nations Unies pour le Développement a identifié et mis en œuvre des projets de coopération qui contribuent de manière significative aux grandes priorités tracées par les pouvoirs publics.
Ces nouveaux instruments offrent un cadre propice pour renforcer la coopération transfrontalière. Cependant, pour lui donner réellement vie, il faudra encore une forte volonté politique. Pour ce faire, il est nécessaire que les acteurs politiques et administratifs dans les capitales prennent durablement conscience du rôle-clé des régions frontalières pour le développement socio-économique des deux pays, et non pas seulement dans son aspect régional.
Pour cela, les organisations de la société civile ont un rôle clé, en particulier lorsqu’il s’agit de créer des opportunités de dialogue entre le gouvernement local et les citoyens et de renforcer la relation entre l’État et les citoyens, particulièrement les plus vulnérables tels que les femmes et les jeunes.
Beaucoup de jeunes au Maghreb sont exclus de l’enseignement, de la formation et de l’emploi et peuvent se radicaliser. Parmi ceux-là, beaucoup sont talentueux et dynamiques et nécessitent une formation de qualité pour être réinséré dans la société et accroitre leur résilience. L’éducation et la formation demeurent les outils les plus efficaces pour bâtir un monde plus juste, humain et inclusif.
Le chômage, la radicalisation, le banditisme, la contrebande sont autant de fléaux qui indéniablement guettent les jeunes du Maghreb. Afin de les contrer, des outils de prévention sont de mise. A ce titre, le numérique peut s’avérer être un outil puissant non seulement pour la prévention mais aussi pour l’insertion professionnelle, pour le dialogue interculturel et pour entretenir le lien entre les gouvernants et les citoyens. En somme, il est possible de créer un cercle vertueux axé sur un écosystème de technologies numériques.
D’abord, il est primordial de former des jeunes à des disciplines des TIC qui correspondent à la demande des employeurs, pour ainsi augmenter le taux d’insertion professionnelle. Les profils d’ingénieurs informatiques maghrébins sont parmi les plus prisés en Europe, il serait dommage de ne pas profiter de leurs expertises pour développer des projets ambitieux qui répondent aux différents enjeux des deux pays.
Le numérique est aussi devenu un levier indispensable pour la gouvernance territoriale ou nationale. Il permet une communication plus fluide entre les élus par exemple, ou les institutions étatiques et le peuple. Cet usage même du numérique dans la vie publique suscite le recours de plus en plus aux professionnels des TIC, donc plus de postes à pourvoir et moins de jeunes potentiellement en proie aux différentes dérives.

Les coûts de l’inaction
Semblable à la notion du coût de la non-Europe qui remonte aux années 1980, lorsque les rapports Albert-Ball et Cecchini de 1983 et 1988 ont fait entrer cette idée dans l’usage politique ordinaire, le coût du non-Maghreb, c’est-à-dire le tribut que payent les consommateurs, les entreprises et les chômeurs au maintien des frontières économiques entre les pays d’Afrique du nord, nous coûte pas moins de 2% du PIB.
Sans doute le plus grand prix à payer sera le coût de l’inaction européenne pour aider ses voisins du sud. Sir Charles Powell, ancien conseiller politique de John Major et Margaret Thatcher, suggérait cette réflexion dans le magazine Time au sujet des pays de l’Est. Nous pourrions le paraphraser pour les pays d’Afrique du nord. Ainsi, si l’Union européenne pouvait mesurer à la façon de Cecchini les conséquences de sa politique d’aide aux pays du sud, actuellement trop frileuse, nous verrions qu’une éventuelle faillite économique et politique de ces pays lui coûterait beaucoup plus cher à long terme que l’assistance qu’ils attendent de celle-ci aujourd’hui. Et sans doute trouverions-nous dans cet exercice de quoi mobiliser tout le continent.

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