Par Foued Zaouche*
Lors de l’émission du dimanche 12 mai, sur la chaîne Ettounsia, est apparu un homme dont il faudra apparemment retenir le nom puisqu’il déclare vouloir jouer un rôle de premier plan dans notre pays. Il s’agit de monsieur Manar Skandrani qu’on pourrait qualifier d’éminence grise du parti Ennahdha quoiqu’il dit ne détenir aucune fonction officielle au sein de ce parti. Il se place comme un proche parmi les proches du Cheikh Ghanouchi et affirme avoir mené des missions confidentielles au profit de son parti depuis les années 90, avoir visité plus d’une centaines de pays et parlé plusieurs langues.
Nous évoquons cet homme car il a présenté, certes à demi-mot, le projet de fonder un parti politique qui regrouperait les « modérés » du parti Ennahdha tels que Samir Dilou ou le Cheikh Mourou. Cela veut-il dire qu’il existe au sein de ce parti une fracture qui risque de le scinder en deux ou n’est-ce encore qu’une opération politique pour ratisser plus large ?
Le parti Ennahdha nous a prouvé depuis sa prise de pouvoir sa capacité à mener des opérations stratégiques d’une très grande habilité politique. Le coup de maître est d’avoir su mettre Hamadi Jébali sur orbite présidentielle malgré son bilan gouvernemental catastrophique. Ce parti se trouve confronté à une problématique redoutable s’il veut conserver le pouvoir. Ennahdha a épuisé le profit politique de son alliance avec les deux partis qui composaient avec lui la Troïka. Ettakatel et le CPR ne sont plus que des coquilles vides selon les sondages. Il ne reste plus à Ennahdha qu’à trouver de nouveaux alliés capables de lui octroyer une majorité. Or, chat échaudé craignant l’eau froide, aucun autre parti ne voudra connaître le même sort que ceux qui ont eu la bêtise politique de s’allier avec un parti islamiste. Selon les mêmes sondages, Ennahdha obtiendrait entre 25% à 30% des suffrages, nous voyons alors qu’on est loin du compte surtout que l’érosion de ce parti semble confirmée.
Alors quel allié reste-t-il à Ennahdha pour espérer obtenir une majorité ? La seule solution est de se scinder en deux pour créer un parti attrape-tout qui séduirait les plus modérés. Donc un parti pur et dur avec les Chourou, les Ellouze et la vieille garde du Majles Echoura qui pourrait compter sur les salafistes de tous bords et un second parti qui regrouperait l’aile « réformatrice », tout cela avec l’espoir d’abuser encore et de tromper l’opinion. On imagine alors le psychodrame causé par la scission de Ennahdha, les gros titres de la presse et tous les commentaires qui s’ensuivraient.
Alors comment considérer le projet de fonder un parti d’islamistes « modérés » tel que proposé par Manar Skandrani qui selon ses propres termes ressemblerait au CDU allemand. On a envie de dire à ce monsieur, si fort de son expérience internationale pour avoir mis celle-ci plusieurs fois en exergue dans ses propos, de faire encore un effort s’il veut être crédible. Cet effort consiste pour lui à abandonner le concept de charia malgré le fait qu’il ait souligné qu’il en avait une conception personnelle, encore une autre interprétation de la charia qui est la porte ouverte à tous les abus selon la lecture qui en est faite. On a envie de dire à ce brave homme de penser à sauver son âme avant de sauver celle des autres et cela vaut pour tous les islamistes qui veulent nous gouverner. Qu’ils acceptent enfin les lois de la République, votées par le peuple comme les seules opérantes et surtout que tous ces « modérés » comprennent que la laïcité est la seule voie pour une démocratie pacifique et respectueuse des droits de chacun si on veut épouser le sens de l’Histoire.
La séparation entre le spirituel et le temporel, autrement dit la laïcité, est effective dans tous les pays démocratiques dignes de ce nom et, si cela est, c’est qu’on a compris qu’il ne peut y avoir de démocratie sans laïcité. Si on veut changer les règles et si on veut intégrer la charia, appelons ce type de régime politique autrement, car la démocratie repose essentiellement sur la volonté du peuple en ce qui concerne l’organisation de la vie de la cité et non sur la volonté de Dieu. Cela a été une grande évolution de la conscience, qui ne s’est pas faite sans mal, que d’accepter que les affaires strictement humaines soient gérées par les hommes et de comprendre que Dieu n’avait rien à faire de la folie des hommes.
Au vu donc de cette émission, on n’est pas donc à l’abri d’une autre opération politique d’envergure menée par les stratèges nahdhaouis pour nous annoncer une rupture au sein de leur parti, même si cette hypothèse est hautement improbable mais les propos ont bien été tenus.
Le principal est de comprendre que tant qu’Ennahdha n’aura pas résolu la problématique de l’après Troïka et de son maintien au pouvoir, ce parti ne quittera pas le pouvoir. Cette problématique conditionne la vie politique de notre pays. Ce parti utilisera tous les artifices pour cela et ils sont nombreux : de la rédaction de la Constitution que l’on peut retarder indéfiniment jusqu’au référendum qui remettrait les compteurs à zéro, on peut même créer artificiellement un climat d’insurrections rendant impossible la tenue d’élections en utilisant l’épouvantail salafiste… Tous les scénarii sont possibles. On est obligé de nourrir ces noirs présages car on ne voit rien venir du côté de ce pouvoir et on se met à parler d’élections pour 2014, voire 2015, il y a de quoi désespérer. L’avenir nous le dira.
Artiste-peintre et portraitiste
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