Ce mois de janvier s’annonce particulièrement agité et risqué aussi bien pour le pouvoir en place que pour l’opposition, pour les affaires et même pour les simples citoyens.
C’est le contexte, explosif : un 2e tour de scrutin législatif contesté, après un premier tour largement boycotté, concomitant à des manifestations appelant à l’annulation totale du scrutin et à la démission de Kaïs Saïed, ainsi qu’à des grèves et des sit-ins sectoriels et même à une grève générale que l’Ugtt menace de décréter.
Un mélange explosif de colère politique et sociale dans un contexte de crise économique et financière inédite.
Sur le plan politique, la crise perdure, le bras de fer entre le président et ses adversaires durcit et le deuxième tour des élections législatives risque de sonner le glas du pouvoir en place ou celui de l’opposition. « Ce deuxième tour ne doit pas avoir lieu », ne cessent de clamer partis politiques, organisations nationales et société civile.
La conjoncture est mauvaise pour tous. Le président Kaïs Saïed joue son va-tout, en continuant à faire la sourde oreille tandis que la scène politique est en pleine ébullition pour mettre au point des initiatives visant une sortie de crise. Des scénarios lui seront suggérés dans les prochains jours, et il aurait intérêt, cette fois, à ne pas les ignorer ni à snober leurs auteurs, surtout les plus sérieux d’entre eux, et à ne pas reproduire l’humiliation faite au doyen Sadok Belaïd et au constitutionnaliste Amine Mahfoudh.
Les partis d’opposition risquent de leur côté de perdre totalement la face et leur crédibilité auprès des Tunisiens si le deuxième tour des Législatives est mené à bien, que le taux de participation grimpe et que le parlement est installé.
Par ailleurs, la Tunisie risque la faillite et l’explosion sociale si des solutions ne sont pas trouvées dans les plus brefs délais et adoptées de manière consensuelle par tous les groupes de pression. La situation économique, financière, sociale et politique de la Tunisie est devenue si critique que les élites tunisiennes de tout bord ne peuvent plus se contenter de critiquer et de donner des leçons, elles doivent aussi réfléchir et aider à trouver des solutions. C’est là leur responsabilité en tant qu’élites, tout comme celle des hommes et des femmes qui sont aux commandes du pays. Il y a certes un problème, il s’appelle Kaïs Saïed. Mais au fait, pourquoi est-il devenu un problème ? Pour qui ? Pourquoi s’est-il doté des pleins pouvoirs ? Les utilise-t-il pleinement ? Et s’il n’était pas le seul coupable de la situation actuelle du pays ?
Le coup de force du 25 juillet 2021 a tourné la page d’une époque courte d’à peine une dizaine d’années mais lourdement chargée de hauts faits politiques libérateurs pour certains, et honteux pour d’autres, comme les assassinats et les attentats. Cette page est en train d’être difficilement tournée par le biais de la reddition des comptes judiciaire. Des dirigeants politiques de premier rang sont dos au mur. Sans l’Etat d’exception, des dossiers brûlants auraient continué de moisir dans les tiroirs des tribunaux et les comptes jamais réglés. C’est ce que les adversaires politiques de Kaïs Saïed ne lui pardonnent pas. Alors, il s’isole et n’a confiance en personne. Il accuse ses détracteurs d’être derrière les pénuries, les grèves sauvages et tout ce qui à terme, aura raison de la patience du citoyen. Pour lui, la Tunisie ne réussit pas à remonter la pente à cause d’eux. Lui aussi accuse, menace et sème la graine de la division.
Tout cela doit cesser, le pays est au bord de la crise de nerfs. Sinon, ce sera l’embrasement.
La Centrale syndicale, qui a tenté jusque là de jouer la carte de l’apaisement, a promis qu’elle ne resterait pas les bras croisés devant la dangereuse dégradation de la situation socio-économique et la dérive du pays vers l’inconnu. L’Ugtt agite la menace d’une grève générale, c’est-à-dire la panne générale pour un pays à genoux, en riposte à l’entêtement de Saïed et de Bouden d’agir en solitaires, sans concertations. Des secteurs entiers annoncent eux aussi des grèves et diverses autres actions militantes pour protester contre le gel des recrutements, le non-respect des accords sociaux conclus, la dégradation du pouvoir d’achat, les pénuries, etc. Or le gouvernement Bouden n’a pas les fonds nécessaires pour satisfaire toutes ces demandes, ici et maintenant. Même un accord avec le FMI ne suffira pas. Sans oublier que la loi de Finances 2023 a soulevé des montagnes de contestations et des menaces de désobéissance fiscale proférées par certains corps de métiers, dont celui des avocats.
En prévision de ces mouvements de contestations convoqués à l’occasion du douzième anniversaire du 14 janvier, l’état d’urgence a été prolongé d’un mois sur tout le territoire à partir du 1er janvier 2023. Cette date symbolique de la liberté retrouvée a été mise en veilleuse par Kaïs Saïed une fois élu président, au profit du 17 décembre 2010, date du déclenchement du soulèvement contre le régime de Ben Ali. Ses adversaires cherchent à ressusciter cette date pour réveiller les démons de la contestation et de la colère populaire par défi et dans l’espoir de le faire tomber, comme Ben Ali.
Après la désertion des urnes par les électeurs le 17 décembre dernier, ils souhaiteraient voir cette célébration du 14 janvier renforcer le désaveu populaire de Kaïs Saïed et activer son départ. Sauf si les partisans du président s’en mêlent…
31