Quand les conditions exigées pour l’accès à la magistrature suprême manquent de cohérence et de clarté, la voie devient libre aux caprices des candidats qui auront la latitude de tout faire pour créer le buzz et participer, à leur manière, à la clochardisation de la vie publique. Dans cette course dominée jusqu’ici par les amateurs de l’infiniment insignifiant, on perçoit le vrai profil de certains prétendants dont les prétentions démesurées sont trahies par des déclarations d’une insoutenable légèreté et d’une inaptitude sans égale, à saisir le vrai sens des missions qu’assume le chef de l’Etat .
Le philosophe canadien Alain Denault n’a-t-il pas raison en soutenant que « la médiocratie désigne l’ordre médiocre érigé en modèle » ! Pour ce penseur, ce terme « ne désigne pas tant la domination des médiocres que l’état de domination exercé par les modalités médiocres elles-mêmes».
Au regard de ce qui se passe actuellement en Tunisie, au lendemain de l’ouverture des candidatures à la présidentielle anticipée du 15 septembre prochain, tout donne à croire que le pays est en train d’avancer à pas sûrs vers l’ordre médiocre.
Manifestement, la multiplication dès le premier jour des candidatures fantaisistes est symptomatique des maux politiques qui frappent la Tunisie. Elle est le témoin de la perversion de la vie publique dans un pays où les institutions sont tournées en dérision, condamnant les Tunisiens à subir pendant cinq ans les lubies, l’inexpérience et l’improvisation d’une classe politique inapte au pouvoir et incapable de conduire le changement.
Pour cette raison évidente, l’élection présidentielle anticipée se présente comme une course de haute voltige, l’expression d’une épreuve dont l’issue est indécise dans la mesure où elle met aux prises une multitude d’adversaires prêts à tout pour le pouvoir, mais dont il est difficile de discerner les différences, la consistance du programme et encore moins la cohérence du discours.
Cela fait que ce scrutin, qui s’annonce à la fois serré, indécis et propice à toutes les intrigues et manœuvres, va mettre les prétendants, à la faveur de l’inversion du calendrier et du brouillage de toutes les cartes, devant une situation aussi inconfortable que périlleuse. Le décès du Président Béji Caïd Essebsi a été le catalyseur d’une nouvelle donne, qui impose à tous les prétendants à la course de relever une multitude de défis.
Le défi du résultat, en premier lieu, revêtira une importance cruciale et tous ceux qui se sont engagés craignent son effet redoutable. Pour les candidats des partis, ainsi que pour les indépendants, la présidentielle anticipée aura une valeur de test, d’épreuve pour jauger leur crédibilité. C’est de la qualité du score qu’ils vont réaliser que dépendront largement leurs chances d’affronter les législatives, fixées un mois plus tard, avec plus de confiance.
Avec une redistribution des cartes, tous les calculs établis initialement se trouvent faussés, et chacun va essayer, à travers le score à la présidentielle, de se positionner dans la course aux législatives et de mesurer sa cote de popularité. Cela confère au scrutin du 15 septembre prochain une dimension toute nouvelle nécessitant de tous de prendre en considération plusieurs facteurs objectifs.
Il y a, d’abord, l’écueil du nombre des candidats dont certains viennent parfois du même camp et qui vont se livrer une bataille féroce. Il y a, ensuite, l’écueil du temps. Il va falloir à tous ceux qui sont inscrits dans cette course d’obstacles réussir à convaincre en 10 jours, au lieu de 22 jours en 2014, un corps électoral désabusé et qui a montré, depuis les Municipales de mai 2018, sa désaffection de la politique.
En effet, le calendrier électoral, serré et astreignant, comporte des risques de chevauchement entre deux campagnes électorales, dont chacune revêt une importance cruciale, et des surprises pour une classe politique qui est en train de perdre ses repères et ses certitudes.
L’autre écueil a trait à la réaction des électeurs qui vont se trouver devant un véritable dilemme au moment du choix du futur locataire de Carthage.
L’inflation des candidats, l’inexistence d’une machine électorale derrière la plupart des prétendants à la magistrature suprême, leur inexpérience et, surtout, leur faible empreinte dans le débat public vont beaucoup peser. Le successeur de Béji Caïd Essebsi devra objectivement trouver les bons arguments pour convaincre, séduire et mobiliser des électeurs indécis et gagnés par le doute.
L’entreprise ne sera pas aisée, loin s’en faut. Un candidat qui possède un charisme, qui est consensuel, qui présente une vision et un programme, ne court pas encore les rues chez nous. Dans la configuration actuelle de l’échiquier politique, cela équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin.
Avec l’inflation des partis politiques et le poids pris par les indépendants, il est difficile d’avancer des jugements ou de faire des pronostics. Il est même fort à redouter que le pays soit gagné par le vent populiste, à l’origine de bien des surprises désagréables dans nombre de pays.