Le Budget de la discorde

 


Pourquoi tant d’intérêt pour le budget de l’Etat, alors que le secteur privé représente 60% de l’investissement total dans le pays ? Parce que le budget de l’Etat représente le tiers de l’économie tunisienne.
En outre, il trace la voie pour les autres acteurs économiques et donne l’orientation pour la politique du gouvernement. L’Etat est un grand employeur et par le biais de la loi de Finances, il conditionne toute la vie économique et sociale du pays.
Le budget doit être le miroir fidèle où doivent se refléter tous les objectifs assignés par le gouvernement à la politique qu’il entend mener dans le pays durant l’année qui s’annonce et même pour celles qui suivront. Or, le projet de budget pour 2017 a été préparé par le gouvernement Habib Essid au moment même où il savait qu’il devait quitter le pouvoir et ne pas avoir à concilier les contradictions et paradoxes qu’il recèle. Le gouvernement Chahed n’a pas eu le temps matériel, ni la volonté déterminée, de modifier le budget en profondeur : cependant, il assume les défis à relever, à la différence de taille près, qu’il a reporté pour 2019, les augmentations folles de salaires prévues pour les fonctionnaires en 2017 : réduction des dépenses de 2 milliards de dinars.
Ce budget est en fait sans âme, sans couleur, ni saveur : à vouloir suivre plusieurs objectifs à la fois, il ne risque pas d’atteindre un seul. C’est un budget préparé par les “grands commis du ministère des Finances” et non par les politiques au pouvoir, car il comporte une “foule de mesurettes”. Un saupoudrage : on a cherché à collecter un peu plus d’argent, là où le contribuable est contraint de payer, pour boucler le budget.
La pression fiscale s’est abattue sur tous ceux qui ne peuvent pas y échapper, faute de pouvoir toucher les privilèges protégés par des lobbies puissants, ceux qui gagnent beaucoup d’argent dont les 400.000 forfaitaires. C’est la solution de facilité.
Il y a un manque de courage et/ou d’imagination flagrant, chez les comptables du ministère, pour aller chercher l’argent chez ceux qui en ont le plus. Il ne s’agit pas du tout dans ce budget de grandes mesures-phares et courageuses, susceptibles d’activer les moteurs de la croissance, tels que la promotion de l’investissement et de l’épargne par exemple, ou encore, l’impulsion des exportations, le lancement de projets économiques avec création d’emplois massifs pour les jeunes dans les régions défavorisées.
Le projet de budget de l’Etat relatif à 2017 est celui des augmentations records de plusieurs de ses paramètres.
D’abord, le total du budget 2017 est de 32 milliards de dinars, soit une progression de 12,5% par rapport à celui de 2016 qui a atteint 29 milliards de dinars. Du jamais vu, alors que l’Etat manque de ressources pour faire face à ses dépenses.
Le déficit de ce budget s’élève à 6,5 milliards de dinars soit 6% du PIB. C’est beaucoup, alors qu’il est basé sur une hypothèse de croissance de 2,5%. A défaut d’augmentations salariales, d’où pourrait provenir cette croissance alors que le secteur phosphatier est en déconfiture depuis six ans et le tourisme en crise profonde et prolongée ? Il y a là un manque de crédibilité dans l’évaluation des impacts du budget sur la croissance. Alors que l’endettement extérieur de l’Etat a atteint 64%, le budget prévoit des ressources d’emprunt de 9,6 milliards de dinars en 2017, sinon 8,4 MD si jamais le Qatar accepte le report de l’échéance de remboursement de son prêt de 1,2 milliard de dinars (500 M$).
Compte tenu de la notation de notre pays par les agences internationales, le taux d’intérêt serait de 7% par an. Prohibitif.
Encore faut-il que nous puissions rembourser les échéances de la dette prévues en 2017, soit 8 milliards de dinars.
Il y a une inadéquation profonde entre les objectifs recherchés tels que cités dans l’exposé des motifs introduisant le projet de budget et les mesures parcellaires et de replâtrage préconisées dans la loi de Finances pour les atteindre.
Incapable d’oser proposer un impôt sur les grosses fortunes qui pourrait s’appliquer sur les patrimoines qui dépassent 2 millions de dinars au taux de 10% par an par exemple, on se contenterait d’une taxe de 1000 D sur les piscines, une consolation à offrir aux modestes salariés qui alimentent par leur retenue à la source 80% des recettes fiscales. Seulement voilà, cela gênerait, les intérêts personnels des plus riches, ceux qui ignorent l’impôt.
Il faut dire que le Budget de l’Etat, tel qu’il a été présenté, est plombé par la flambée indomptable des salaires et des frais de fonctionnement de la machine administrative qui accapare plus de 45% du budget, soit 13,7 milliards de dinars des 32 MD. Le gouvernement est incapable de maîtriser la montée de la masse salariale de la fonction publique, tandis que 37% sont absorbés par le service de la dette, par la Caisse de compensation des produits de base, et par diverses subventions indispensables tel le déficit des caisses sociales et entreprises publiques, vitales à combler.
Il ne reste plus que 17% du budget de l’Etat à consacrer au développement et à l’investissement public, soit 6,2 milliards de dinars, soit peu de chose pour relancer une croissance en panne depuis six ans. Il y a des gisements de recettes fabuleuses à engranger par le Trésor public, si jamais le gouvernement avait l’audace, la volonté et le savoir-faire nécessaires pour faire appliquer la loi et la réglementation en vigueur.
D’abord, la vente des biens confisqués qui se chiffrent par centaines de millions de dinars, ensuite les 8 milliards de dinars de pénalités douanières à recouvrer auprès des importateurs-fraudeurs pris en flagrant délit, enfin les 6 milliards de dinars de redressements fiscaux en mal d’exécution.
Même si la totalité de ces sommes n’est pas recouvrable, la moitié seulement suffirait pour dégager un budget en équilibre, sans endettement. Ne parlons pas des recettes probables de la lutte contre la corruption et la contrebande.
Il manque à ce budget l’essentiel, le fondamental et le rationnel : la rassemblement de tous les partenaires autour des mêmes objectifs L’essentiel, c’est la vision et la cohérence de la stratégie à suivre pour atteindre des objectifs consensuels choisis par tous les partenaires sociaux.
Le fondamental, c’est la promotion de la croissance économique comme prélude à un développement équilibré de toutes les régions du pays. Le rationnel, c’est l’économie des dépenses de l’Etat et la répartition égalitaire des sacrifices entre toutes les catégories sociales en mettant en œuvre les différentes réformes.
Ce budget a réussi à provoquer la discorde avec l’UGTT à propos du report de l’augmentation des salaires et avec l’UTICA au sujet de la taxe exceptionnelle de 7,5% sur les bénéfices.
La réussite du gouvernement de Youssef Chahed sera évaluée en fonction de son audace dans la lutte contre la corruption, la contrebande ainsi que l’évasion et la fraude fiscales.

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