La course au « buzz » est devenue la règle d’or dans le journalisme en Tunisie depuis le 14 janvier 2011, au point de mettre à mal un concept fondamental du domaine et, surtout, sacré : l’information. Dans cette optique, Moez Ben Gharbia, propriétaire d’Attessia TV, a fait « un excellent travail » mardi 10 janvier courant, en invitant, par Skype, le gendre de l’ancien président de la République Zine Abidine Ben Ali, Belhassan Trabelsi.
« Le buzz n’a pas de limite », a clamé haut et fort Moez Ben Gharbia à deux reprises : dans un entretien téléphonique accordé à la chaîne Alarabi Alyawm, et dans son émission Attessia Massa’an du jeudi 12 janvier. « Nous n’avons jamais appris à l’université que l’on n’avait pas le droit d’interviewer des repris de justice ou des hors la loi », a-t-il encore souligné.
Il faut rappeler, tout d’abord, que l’animateur parle d’une formation dont il n’a jamais bénéficié, à savoir celle qui est proposée par l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI), qui est le berceau du journalisme tunisien dans toute sa splendeur malgré sa perte de vitesse. Ben Gharbia est plutôt diplômé de l’École nationale des sciences de l’informatique.
Ensuite, que sait-il de la déontologie du journalisme ? Ce n’est pas sans rappeler ses dépassements successifs qui ont violé les règles fondamentales de l’éthique journalistique. En 2015, il avait publié une vidéo dans laquelle il avait affirmé détenir des informations sur les assassins de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi. Chose qu’il avait ensuite nié en bloc. Son entourage a affirmé qu’il souffrait de troubles psychologiques.
Le feuilleton Ben Gharbia ne s’était pas arrêté là : on se souvient, aussi, de l’interview avec Moncef Marzouki, ancien président intérimaire de la République. Le hic, c’est que plusieurs accusations ont fait savoir que la présidence de la République aurait fait pression sur le présentateur pour empêcher la diffusion de l’entretien. Des accusations, dans un premier temps, confirmée, puis rejetées par Moez Ben Gharbia.
L’épisode de Belhassan Trabelsi constitue, finalement, le troisième volet de la Saga d’Attessia. Dans l’attente des prochains épisodes, car ce n’est pas fini ! De fait, à en croire ce que Borhane Bsaies a annoncé jeudi 12 janvier, deux entretiens sont au programme avec Bachar Al-Assad et Recep Tayyip Erdogan.
En somme, le patron de la chaîne doit savoir qu’on ne peut affirmer que le buzz n’a pas de limite. On ne peut se permettre d’inviter des sanguinaires, des voleurs ou des contrebandiers, sous prétexte qu’ils ont des vérités à livrer au peuple et que ce dernier a le droit de savoir. Il est vrai que le peuple a le droit de savoir mais pas en le mettant face à ses bourreaux et à des criminels. C’est, en fait, le travail de la Justice et non pas des « coureurs au buzz »… Et puis, on ne peut que déplorer l’absence de réaction de la part de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA), qui aurait dû agir dans l’immédiat à ce brouhaha médiatique incessant…
En d’autres termes, ce n’était pas à Moez Ben Gharbia « d’auditionner » Belhassan Trabelsi, mais à la Justice qui peine encore à mettre la main sur lui.
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