«  Le cadre pour une première émission d’obligations vertes est prêt»

Néjia Gharbi, la Directrice générale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a déclaré que la performance économique ne peut pas se dissocier d’une prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux. Son engagement en faveur du développement durable s’inscrit dans une vision globale et responsable contribuant au développement du pays. Interview.

Propos recueillis par Khadija Taboubi 

Quelle place occupe la CDC dans le pays, en termes de contribution à l’investissement public, à l’emploi et au développement régional ?
Depuis sa création en 2011, la CDC s’est imposée comme acteur économique majeur en Tunisie. Avec plus de 26 fonds d’investissement et un total bilan de 10 592 MDT, la CDC a clôturé l’année 2022 avec un résultat bénéficiaire de 119 MDT.
Son rôle d’investisseur public s’illustre par son soutien aux politiques de l’Etat dans des domaines stratégiques tels que l’infrastructure, le développement régional, les transformations digitales, numériques et technologiques, les transformations écologiques et énergétiques et le développement durable du pays. La CDC est un moteur essentiel de la croissance économique et de la création d’emplois en Tunisie.

Quel bilan peut-on tirer des participations de la CDC à des fonds de placement et d’investissement ?
Les participations de la CDC à des fonds d’investissement ont joué un rôle déterminant dans la dynamisation de l’économie tunisienne. En effet, ces investissements ont permis de soutenir la création et le développement de plus de 188 projets, mobilisant 364 MDT d’investissements. Cette implication de la CDC a contribué à la naissance de nouvelles sociétés de gestion et de fonds d’investissement, renforçant ainsi le marché du Private equity en Tunisie.
De plus, les participations de la CDC ont ciblé des entreprises innovantes à fort potentiel de croissance, favorisant l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs dynamiques et porteurs de valeur ajoutée pour l’économie nationale.
L’engagement de la CDC dans les fonds d’investissement s’est traduit par un impact positif et significatif, stimulant l’activité entrepreneuriale, créant de la valeur et contribuant à la croissance économique de la Tunisie.

Les financements de la CDC sont généralement consacrés aux investissements de valeur productive dans des projets économiques durables. Est-ce vraiment le cas de tous les projets de la Caisse ?
La CDC s’affirme comme un acteur engagé dans le développement durable de la Tunisie. Son implication se traduit par des actions concrètes et ciblées, telles que la création du Fonds Impact, doté d’une enveloppe de 100 MDT, dédié au financement de projets à impact socio-économique et environnemental positif.
La CDC se positionne également comme un fervent promoteur des financements durables, en encourageant l’émission d’obligations vertes (Green Bonds) et en soutenant la mise en place d’un cadre réglementaire favorable à ce type d’investissement.
Son engagement se manifeste également dans son implication dans des projets d’infrastructures respectueux de l’environnement. Par ces actions, la CDC démontre sa responsabilité sociétale et environnementale et sa volonté de contribuer à la construction d’un avenir durable pour la Tunisie.
La CDC a bien compris que la performance économique ne peut pas se dissocier d’une prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux. Son engagement en faveur du développement durable s’inscrit donc dans une vision globale et responsable contribuant au développement du pays. 

Parmi les principales missions allouées à la CDC, celle d’être le bras financier des PME. La Caisse a-t-elle bien joué son rôle aujourd’hui à ce niveau ? Y a-t-il des chiffres ?
La CDC s’impose comme un véritable pilier du soutien aux PME et aux startups en Tunisie, offrant un éventail de solutions et d’opportunités pour stimuler leur croissance et leur contribution à l’économie nationale.
Au cœur de ce dispositif se trouve le projet “Startups et PME innovantes», principalement financé par la Banque mondiale pour 75 millions de dollars. Ce projet renforce la dynamique holistique de soutien aux startups et PME innovantes en finançant des investissements en fonds propres ou en quasi-fonds propres. Il aide également les acteurs de l’écosystème entrepreneurial, notamment les incubateurs et les accélérateurs d’entreprises, à améliorer et étendre la portée de leurs programmes. Une attention particulière est portée aux startups et aux PME dirigées par des femmes ou situées dans les régions de l’intérieur du pays. Outre le financement de la BM à hauteur de 8 millions de dollars, l’appui à l’écosystème est également financé avec un montant de 2 millions d’euros de la GIZ, et la KFW a aussi réservé 4 millions d’euros pour l’appui à Smart Capital.
ANAVA, le premier fonds de fonds en Tunisie, reflète cette volonté de soutien. ANAVA vise à soutenir les startups et les investissements du secteur privé sur une période de dix ans, en lançant plusieurs “Child Funds” dédiés aux startups tunisiennes, investissant à chaque stade de développement, de l’amorçage à la croissance. La souscription au fonds de fonds inclut 45 millions de dollars de la Banque mondiale et 20 millions d’euros de la KFW, soit une taille de 60 millions d’euros à ce jour.
En outre, la CDC met à disposition des fonds d’investissement spécifiques adaptés aux besoins des PME et startups. Elle a également mis en place une marketplace en private equity, JoussourINVEST, la première plateforme digitale de Private equity en Tunisie qui facilite la mise en relation entre les investisseurs et les PME à la recherche de financement en capital pour engager une restructuration financière ou renforcer et soutenir leur croissance. À ce jour, JoussourINVEST compte 67 investisseurs actifs sur 128 inscrits, 3107 PME provenant de toutes les régions de la Tunisie, 526 startups inscrites (dont 135 labellisées), 527 demandes d’investissement en capital déposées, et 37 clôtures positives totalisant 125,844 MDT.
Soucieuse de l’inclusion et de l’autonomisation des jeunes et des femmes, la CDC lance des initiatives ciblées comme le programme FAST, financé par l’Agence française de développement (AFD) avec un budget de 4,6 millions d’euros et bénéficiant du soutien technique d’Expertise France. Ce programme offre un accès privilégié à des financements, un accompagnement personnalisé et des formations adaptées, permettant aux jeunes et aux femmes de surmonter les obstacles et de libérer leur potentiel entrepreneurial.
Grâce à ce soutien multidimensionnel, les PME et startups tunisiennes bénéficient d’un environnement propice à leur développement et à leur contribution à la dynamique économique du pays. La CDC joue ainsi un rôle crucial dans la construction d’un tissu entrepreneurial solide et résilient, moteur de la croissance et de la prospérité de la Tunisie. 

Les investisseurs considèrent très souvent l’accès au financement comme le principal obstacle qui entrave le développement de la PME. Est-ce vraiment le cas, surtout devant la multiplicité des fonds de financement ?
L’accès au financement est souvent cité comme un obstacle majeur par les PME tunisiennes. En effet, les enquêtes confirment que plus de la moitié d’entre elles rencontrent des difficultés à obtenir des financements bancaires.
Cependant, il est important de nuancer ce constat. La Tunisie dispose d’un paysage de financement des PME relativement riche, avec des fonds d’investissement, des structures de microfinance et des programmes et structures gouvernementaux de soutien.
Néanmoins, l’accès à ces financements n’est pas toujours aisé pour les PME, en raison de procédures complexes, d’exigences élevées et d’un manque de communication.
Si l’amélioration de l’accès au financement est cruciale, il ne s’agit pas du seul défi à relever pour le développement des PME tunisiennes. D’autres obstacles, tels que l’accès au marché, le manque de compétences et l’instabilité du contexte économique, doivent également être pris en compte.
Une approche multidimensionnelle est nécessaire, combinant les efforts du gouvernement, des institutions de financement et du secteur privé pour créer un environnement propice à l’émergence et à la croissance d’un tissu entrepreneurial dynamique et performant en Tunisie.

Récemment, vous avez annoncé le lancement du Fonds Impact. Pour quelles missions et pour quels objectifs ?
Le Fonds Impact, doté d’une enveloppe de 100 MDT, s’affirme comme un levier crucial pour le développement durable en Tunisie. Son action se concentre sur le financement de projets à fort impact socio-économique et environnemental, contribuant ainsi à la création d’emplois, à l’amélioration des conditions de vie des populations et à la préservation de l’environnement.
Le fonds cible notamment les zones défavorisées, stimulant l’activité économique locale et renforçant les infrastructures régionales. Il encourage également l’innovation et la création d’emplois décents et durables en soutenant des entreprises à fort potentiel de croissance.
La stratégie d’investissement responsable du Fonds Impact se distingue par sa conciliation des aspects financiers avec les aspects sociaux et environnementaux. La transparence et la mesure des impacts réels sont priorisées, avec une gestion active pour optimiser les retombées positives sur les différentes régions.
Le Fonds Impact s’inscrit dans une dynamique de développement du marché du capital-investissement en Tunisie, ayant contribué à la création de nouvelles sociétés de gestion et à l’augmentation des actifs sous gestion. Il s’attaque également aux problèmes majeurs auxquels sont confrontées les PME tunisiennes, en leur apportant des solutions de financement adaptées.

Le marché des obligations vertes a connu une forte croissance à l’international contrairement à la Tunisie. Pourquoi n’arrive-t-on pas aujourd’hui à aller plus loin avec ces émissions ?
Dans le cadre de ses activités de veille, la CDC ayant observé l’évolution du marché des obligations vertes à l’international, a réalisé une étude d’examen du potentiel du marché de l’investissement vert et plus particulièrement de développement des obligations vertes.
En outre et malgré une croissance fulgurante à l’international, le marché des obligations vertes n’a pas encore été amorcé en Tunisie. Plusieurs facteurs expliquent ce retard :

  • Les investisseurs et les entreprises tunisiennes ne sont pas conscients de l’importance de ce mode de financement et de ses avantages. L’absence d’un cadre réglementaire clair et adapté crée un climat d’incertitude. Des définitions harmonisées et des coûts d’émission réduits sont nécessaires pour favoriser l’émission d’obligations vertes.
  • Le nombre de projets verts bancables et répondant aux critères d’éligibilité est limité. Un pipeline de projets verts bien structurés et attractifs est crucial pour stimuler l’intérêt des investisseurs. Le marché secondaire des obligations vertes doit être aussi développé afin de permettre aux investisseurs de céder ultérieurement leurs titres.
  • Le manque de taxonomie locale et de mécanismes robustes de suivi et d’évaluation des impacts environnementaux et sociaux des projets financés par des obligations vertes crée des incertitudes pour les investisseurs. Des outils et des indicateurs clairs et transparents sont nécessaires pour renforcer la confiance dans ce domaine. 

La CDC ayant eu un rôle précurseur pour prospecter le potentiel du marché des obligations vertes, pourquoi n’a-t-elle pas encore enclenché une émission de ses titres sur le marché tunisien ?
La CDC joue certes un rôle de catalyseur pour libérer le potentiel de l’investissement du marché financier, mais demeure tenue par l’obligation de préserver les fonds mis à disposition. C’est pour cette raison que la CDC ne peut pas s’engager dans une émission d’obligations vertes avant d’avoir réalisé l’évaluation du potentiel du marché de l’investissement vert.
Le constat est que le potentiel est très important, ne serait-ce que par les engagements nationaux en termes de réussite de la transition énergétique et écologique. Cependant, pour un investisseur rationnel, l’engagement financier ne peut être pris que sur la base de projets matures et soutenables. C’est pourquoi la CDC ne passera à une phase transactionnelle d’émission qu’une fois le portefeuille à investir par les ressources levées par des obligations vertes est constitué.
Aujourd’hui, le volume de projets éligibles identifiés par la Caisse n’est pas encore suffisamment important pour justifier le recours au marché pour la levée des fonds.
La CDC a préparé son cadre d’émission et de suivi des Green Bonds, étant actuellement à la recherche active, avec tous les partenaires publics et privés, de projets verts soutenables pour constituer un portefeuille d’actifs à investir en recourant à une première émission d’obligations vertes.

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