Le calvaire des restaurants touristiques

 

Depuis la Révolution, ils souffrent le martyre mais en silence. Nul ne s’en préoccupe. Ils attendent la fin du calvaire, mais ne voient pas encore le bout du tunnel… Censés être un haut lieu de l’élégance et du raffinement, ces établissements sont devenus une cible pour plusieurs parties et attaqués de toutes parts. Gangrenés de plus en plus, abandonnés par leur clientèle, délabrés, beaucoup d’entre eux ont fini par mettre la clef sous la porte. Quant aux autres qui résistent encore, ils risquent aussi la fermeture pour les plus fragiles d’entre eux… De quoi souffrent-ils ? Quels sont leurs problèmes ? Zoom sur les déboires d’un secteur fragile. L’arrière cuisine des restaurants touristiques, celle que le public ignore et que les autorités font mine d’ignorer …

 

Manque terrible en main d’œuvre

Ceci n’est un secret pour personne mais les bons cuisiniers, voire même les cuistots ordinaires ne courent pas les rues. Les restaurants peinent énormément à trouver des professionnels dignes de ce nom et cela va en s’aggravant surtout avec la décadence du patrimoine culinaire et du patrimoine en général, la standardisation des aliments, le manque d’orientation scolaire vers les branches professionnelles… Mais ces établissements trouvent aussi beaucoup de difficultés à recruter du personnel dans d’autres spécialités singulièrement les chefs de rangs spécialisés.

La carence en main d’œuvre spécialisée est un des grands maux dont souffre le secteur. Derrière cette pénurie, se cache un véritable handicap pour son développement. Penser que c’est un problème anodin, comme le font certains, est faux, car derrière le service existe une transaction, c’est-à-dire un marché. A ce sujet, s’est organisée une conférence de presse au siège de la Centrale patronale, Jeudi 13 Mars 2014, tenue par la Fédération nationale des professions et métiers et la Fédération nationale de l’artisanat, relevant toutes deux de l’UTICA et dans laquelle le problème a été posé. Les deux fédérations ont confirmé la pénurie en main d’œuvre et surtout celle spécialisée et le manque de suivi du développement technologique dans plusieurs domaines.

 

L’enseignement professionnel

Depuis à peu près 25 ans, le marché de l’emploi, en ce qui concerne les métiers et professions n’arrête pas de se crisper à cause de mauvaises politiques d’orientation scolaires qui ont fait que politiciens, corps enseignant, parents et élèves se sont engouffrés dans une spirale de mépris de la formation professionnelle, mépris dommageable pour divers secteurs professionnels et on en paie aujourd’hui le prix.

Dans la conférence de presse du 13 Mars 2014, les deux fédérations ont préconisé une réforme radicale et immédiate du système de la formation professionnelle de base et de la formation continue en collaboration étroite avec les corps des métiers concernés dans l’élaboration des programmes afin de faire correspondre l’offre avec les besoins réels du marché et l’orientation des jeunes en adéquation avec les métiers. Cette conférence en dit long sur les lacunes à réparer et l’hiatus qui s’est installé. Il est plus qu’urgent  de réparer le système éducatif et valoriser l’image de l’enseignement professionnel.

En attendant de redorer l’image des professions et la réparation du système éducatif et l’émergence d’une génération de diplômés dans des métiers et professions apprises scientifiquement dans des établissements éducatifs spécialisés, le marché de l’emploi demeure handicapé par cette pénurie.

 

Le tourisme inclusif

Il s’agit de la formule « tout inclusif » ou « tout compris » qui a pénétré le marché tunisien depuis la fin des années 90. Selon cette formule, tous les frais sont inclus dans le prix : hébergement, boissons et repas et jusqu’à la location des équipements sportifs et l’installation de boutiques dans l’enceinte de l’hôtel : de l’épicerie à la boutique des produits artisanaux, en passant par le restaurant à la carte, le joaillier et la boutique du photographe…

Cette formule a conditionné psychologiquement le touriste pour le dissuader de sortir de l’enceinte de l’hôtel. Du coup, les restaurants dits touristiques et qui ont toujours tablé sur une clientèle de touristes n’ont plus de clients. A partir de là, leurs déboires commencent. Ils sont obligés de redoubler d’ingéniosité pour trouver une clientèle de substitution, essentiellement tunisienne mais malgré tous leurs efforts, le compte n’y est pas. Nombre d’entre eux ont mis la clef sous la porte, et ceux qui subsistent encore, grâce à un pactole qu’ils ont amassé des années fastes et une notoriété qu’ils se sont forgés des années 80 et 90, dans l’indifférence totale voire le cynisme du ministère de tutelle.

 

Le ministère de tutelle

En effet, le ministère du Tourisme ne s’est pas montré particulièrement soucieux du sort des petits intervenants dans les milieux du tourisme et n’a jamais pu contrecarrer l’hégémonie des tours opérateurs internationaux qui ont dicté, sans limites, ni contrepoids, leurs préférences aux États par le biais du système « tout compris ». Les hôtels qui sont, à la base, des hébergeurs se sont transformés en prestataires de services divers et ont fini par fournir une ville dans la ville au touriste étranger. Le ministère du Tourisme, qui est en principe, le ministère qui doit arbitrer dans les conflits d’intérêts de ce genre a laissé faire jusqu’à atteindre la triste symbolique de « ne plus voir de touristes dans les rues et ce bien avant les événements de 2011 » nous dit Mohamed Bouaoud, restaurateur et président du syndicat régional des cafés de troisième catégorie (ou restaurants touristiques) de Nabeul. Jadis, continue M. Bouaoud, « partout où nous allions, nous trouvions des cheveux blonds » … Allusion faite aux touristes occidentaux.

 

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

Considérés par le ministère des Finances comme des prestataires de services et non des artisans, les restaurants touristiques sont taxés à 18%. Les professionnels n’ont jamais arrêté de signaler audit ministère qu’ils sont des artisans et demandent en conséquence que soit révisé le taux d’imposition auquel ils sont soumis. Comme en France, ils réclament une taxe à 5.5% ou 7% au maximum pour pouvoir réinvestir, renouveler, améliorer et surtout recruter. Les restaurateurs disent que la baisse de TVA, combinée à une réforme de la formation professionnelle peut faciliter voire encourager et accélérer le recrutement. Malheureusement, l’État n’a jamais engagé, ni dialogue sur cette question, ni étude sérieuse concernant la corrélation entre la variabilité du taux d’imposition et ses retombées sur le recrutement.

Anis Somai

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