Six ans après, les objectifs de la Révolution qui étaient à l’origine d’un mouvement de contestation sans précédent guidé par une jeunesse excédée, exclue et désespérée, paraissent encore loin de portée, difficilement réalisables à court ou même à moyen terme.
Malgré les espoirs qu’avait suscités la chute d’un régime qui a duré plus de 23 ans, un sentiment d’inachevé se perçoit, et de frustration également. La Révolution de la liberté et de la dignité, qui était un mouvement spontané, une expression de dépit et une manifestation d’un ras-le-bol collectif, qui n’avait ni chefs ni coloration politique, a été rapidement récupérée et prise en otage par le calcul égoïste des uns et l’incompétence manifeste des autres. Les forces politiques qui ont émergé, cherchaient le pouvoir, un plus grand positionnement dans l’appareil de l’Etat, parfois même la revanche, plus que d’aller de l’avant sur la voie du renforcement de la construction de la démocratie, des libertés, du développement inclusif, du renforcement de la paix sociale, de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, la corruption et les inégalités.
Hormis la consécration de la liberté d’expression, de l’alternance pacifique au pouvoir, à travers deux élections libres et transparentes, les avancées accomplies sur le plan politique ont été largement altérées par le dysfonctionnement des institutions, l’affaiblissement du rôle de l’Etat, les divisions et les luttes intestines qui ont gangrené l’action des partis politiques et la perte de crédibilité en une classe politique qui s’est montrée incapable d’encadrer les Tunisiens, d’orienter le débat public vers les questions et les dossiers qui interpellent et touchent les Tunisiens dans leur quotidien.
Des acteurs politiques qui se sont montrés incapables de parachever la mise en place des institutions constitutionnelles, à l’instar du Conseil supérieur de la magistrature et de la Cour constitutionnelle, aujourd’hui objets de surenchères très peu productives, d’une guerre de positionnement larvée entre des parties qui clament l’indépendance de la justice et qui font tout pour maintenir le statu quo. Dans le cas d’espèce, comme pour d’autres où le pays a besoin de sagesse, de concertation et de consensus, ce sont les calculs qui prennent le dessus et toutes les parties s’évertuent à préserver leurs intérêts, à résister au changement plus qu’à permettre au pays d’avancer et aux réformes d’aboutir. Des résistances couvertes par des surenchères stériles entretenues qui nous éloignent, chaque jour un peu plus, des ambitions nourries par les Tunisiens, de leurs espérances et de la consécration effective de la pratique démocratique.
Le délitement de la vie politique et les dérives constatées, dans une sorte d’impuissance, se traduisent, aujourd’hui, par le renvoi aux calendes grecques des élections municipales, pourtant considérées essentielles pour améliorer les conditions de vie dans nos villes et mettre la première pierre dans la mise en place d’une véritable démocratie locale.
Six ans après, le laxisme de certains, la connivence d’autres, ont fait que le terrorisme s’est invité dans notre pays, devenant un péril de plus en plus difficile à combattre et à extirper ses racines profondes. Des terroristes qui ont semé la mort et la désolation dans les zones de conflit et dont le retour pose aujourd’hui problème. Tout le monde craint de voir ces groupes, ennemis jurés de l’Etat civil, de la démocratie et de la liberté, se reconstituer pour faire capoter la jeune expérience démocratique dont ils se déclarent les plus pires ennemis.
Sur le plan économique, le développement du pays, la mise en œuvre des réformes essentielles, la refonte d’un modèle de développement ne font pas l’objet d’un consensus, ni d’une convergence des positions même des alliés au pouvoir.
Par la force des choses, tous les acteurs politiques et sociaux ont fini par perdre le sens du compromis, de l’intérêt général. En lieu et place, on s’est fourvoyé dans des luttes et des conflits qui sont en train de compromettre toute possibilité d’avancer, mettant à mal les fondements de l’Etat, les règles du jeu politique, les équilibres de l’économie et la paix sociale.
Les tensions sociales, la corruption, la faiblesse de l’Etat et l’instabilité sociale constituent la face apparente de cette marche difficile qu’a connue le pays depuis six ans. Une marche qui a été bloquée par la résistance au changement, les calculs étriqués, la course effrénée au pouvoir et le déficit du dialogue qui a, pourtant, été l’acte salvateur en 2012 du processus démocratique du péril obscurantiste et des dérives qui auraient pu précipiter la Tunisie dans une spirale dont personne ne pourrait imaginer les conséquences néfastes.
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