Le choix de tous les choix

Le pragmatisme l’a très largement emporté au sein du conseil de la Choura d’Ennahdha réuni le soir du 7 novembre dernier.
Le «peuple d’Ennahdha» est désormais libre de choisir en âme et conscience, parmi les candidats à la présidentielle, la «personnalité la mieux à même de mener à bien le processus démocratique et de réaliser les objectifs de la Révolution».

Après que des dirigeants de premier plan au sein du mouvement islamiste aient soufflé le chaud, en mobilisant les électeurs contre le Nida triomphant qu’ils disaient menaçant de monopoliser tous les pouvoirs et de restaurer l’ordre ancien, voici venu le moment de la douche froide, qui place théoriquement tous les candidats à égale distance, que chaque destinataire a loisir d’apprécier à sa convenance.

Cette réaction à multiples tiroirs amplifiant le sentiment de suspens a permis au mouvement d’occuper longtemps le champ médiatique et de créer l’évènement avant même qu’il ne se produise. Mais de suspense, y en-avait-il réellement ? Ennahdha pouvait-il prendre l’immense risque de soutenir un candidat qui n’est pas issu de ses rangs et dont le succès est loin d’être acquis ?

Chacun sait que ce parti a refusé son soutien à ses propres « enfants » et que le « soldat Marzouki » n’était plus «sauvable» du moment où il a imprudemment décidé de s’inscrire en faux contre le crédo consensuel devenu la nouvelle «religion» du mouvement islamiste.

La stratégie offensive et «révolutionnaire» du candidat Marzouki, devenu Président provisoire par la seule grâce d’Ennahdha, ne sied plus à la plupart des dirigeants de ce parti qui estiment désormais que, dans la conjoncture nationale et internationale actuelle, la logique d’Etat concordataire l’emporte sur les frivolités prétendument révolutionnaires. Au regard du repli d’Ennahdha sur cette position, la posture offensive de Marzouki le plaçait de facto « hors jeu ».

Néanmoins, il faut reconnaitre que la stratégie du Président-candidat est loin d’être irréfléchie. En s’adressant directement à ce qu’il a délibérément appelé «le peuple d’Ennahdha», il passe outre les dirigeants de ce mouvement – ce qu’ils n’ont guère apprécié – et entend capitaliser à son profit la grogne d’une bonne part de son électorat qui n’apprécie nullement la «mollesse consensuelle» de ses leaders. Fructifier les peurs, ce qui a bien réussi au Nida, souffler sur les braises de la fronde des régions et populations marginalisées, investir les angoisses identitaires et religieuses jusqu’à flatter la mouvance salafiste, peut s’avérer électoralement payant.

Ainsi, Moncef Marzouki semble ravir provisoirement la direction du mouvement Ennahdha à ses chefs légitimes et leur impose d’être les scrutateurs impuissants de ce «hold up». À défaut de le soutenir, les dirigeants islamistes n’avaient point d’autre choix que d’observer une neutralité qui lui offre la chance de se présenter seul à des électeurs nahdhaouis libres de toute consigne et qui seront nombreux à le soutenir, contrairement à une bonne part de leurs dirigeants qui ne le gratifieront peut-être pas de leurs suffrages individuels.

De ce point de vue, le Président provisoire obtient gain de cause contrairement aux autres candidats, tels Mustapha Ben Jaafar ou Ahmed Néjib Chebbi, qui ne jurent pourtant que par le «consensus» cher au mouvement islamiste et qui se trouvent, ainsi, livrés à eux-mêmes avec des chances de succès qui se réduisent comme peau de leur immense chagrin.

Satisfaire Marzouki tout en contentant Béji Caïd Essebsi, telle est la quadrature du cercle réussie par les dirigeants du mouvement Ennahdha. Le président de Nida Tounes ne pouvait guère espérer mieux. Priver M. Marzouki d’un soutien franc et assumé par la redoutable machine électorale nahdhaouie, tel est pour le président de Nida Tounes un incontestable succès.

Tout porte à croire que l’avenir des relations entre les deux mastodontes du paysage politique s’annonce prometteur. Et porteur d’une alliance gouvernementale ?

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