Le compromis et la compromission

Drôle de situation dans laquelle se trouve embourbée la Tunisie en cette fin d’année 2016, tumultueuse et annonciatrice de toutes les incertitudes. De plus en plus, la Tunisie reflète l’image d’un pays en panne de projets, d’idées et d’hommes, capables de transcender leurs différences et de dialoguer en toute responsabilité et sérénité. Plus le temps avance, plus le fossé de la discorde se creuse  comme le montrent  les dissensions qui risquent de nous  précipiter dans les abysses de l’inconnu.
Depuis plus d’un mois, on a l’impression que tout le monde est en train de fourbir ses armes pour achever ce qui reste du «  patient tunisien »,  affaibli et résigné à son triste sort, par l’incohérence de son élite et la montée d’un corporatisme qui bloque toute velléité de réforme et de changement.
Le résultat le plus palpable se traduit par le cafouillage monstre qui prévaut dans tous les domaines,  par un aveuglement collectif qui nous laisse  peu prompt au dialogue et au compromis.
Les avocats qui, d’une protestation à une grève,  rechignent à se considérer comme des citoyens redevables et à se conformer à la transparence quand il s’agit de s’acquitter  de leur devoir fiscal, préférant  la fuite en avant et les faux-fuyants. Étonnant de la part de l’une des ailes de la justice,  qui s’obstine dans un refus improductif en versant facilement dans les polémiques stériles et les combats perdus. Jouer à fond la carte de  la tension et appeler à  la mobilisation pour  se soustraire d’un devoir et réclamer, in fini,  le départ de la ministre des Finances, ne peut être innocent.
A qui peut profiter d’achever le patient tunisien? A priori, personne n’en sortira grandi, ou vainqueur !Accentuer la pression, jouer la carte de la rue  au moment où le pays n’a pas réussi à reprendre son souffle ou profiter du moindre répit, peuvent-ils légitimement servir des intérêts?
Pour le  syndicat de l’enseignement secondaire, les mêmes causes produisent chaque année les mêmes effets. Les frasques et les dérives  de ce syndicat, dont l’action d’un autre âge, ne cessent d’empester la vie des Tunisiens et de provoquer leur ire. Après le stratagème auquel il a pris le pli de bien jouer à chaque fin d’année pour prendre en otage les examens,  cette fois- ci, il  fait de la mobilisation une arme pour provoquer le départ  du ministre de l’Education,  coupable de vouloir changer les choses et sortir le système, malade et en mal de réformes  depuis des année, de sa léthargie.
Même si la réforme est un projet encore inachevé et tout le temps combattu par ceux-là mêmes qui n’avaient pas fini de la réclamer,  le dérapage syndical permanent est porteur d’un refus de tout changement et de toute amélioration.
Enfin,  l’annonce de la grève générale dans la fonction publique,  le 8 décembre prochain,  et l’action de mobilisation entreprise par l’UGTT laissent  croire  que le pays est sur pied de guerre. Quand le jusqu’auboutisme et  le bras de fer sont utilisés  à tout bout de champ  et à doses incontrôlées comme arme pour  faire plier  le gouvernement  et le pousser vers ses derniers retranchements, le résultat final ne peut que participer  à hypothéquer les intérêts et la sécurité du pays  sans apporter de solutions pérennes. Depuis qu’ on a pris le pli de jouer la politique du bras de fer pour bénéficier  des augmentations salariales que, ni le contexte ni les moyens du pays ne justifient, la courbe du chômage n’a fait que  monter, la croissance fléchir, la productivité tomber et le  pouvoir d’achat s’éroder. Reconnaître que le pays est en crise et se résoudre à le basculer dans le chaos semble hasardeux,  intolérable.
L’action syndicale n’a  jamais été une  quête incessante pour affaiblir l’Etat, ni pour accélérer  la disparition  des entreprises et encore moins pour plonger le pays dans le doute ou la tension. Malheureusement, ce qui se passe actuellement chez nous  pousse à un questionnement douloureux, puisqu’au moment où le pays essaie par  tous les moyens de relever la tête, de créer les conditions adéquates pour restaurer la confiance et soutenir son développement, la levée de boucliers des acteurs sociaux et d’autres corporations, ne peut qu’aggraver une situation plus que difficile.
Ce qui dérange, c’est le fait que collectivement et un peu inconsciemment, les Tunisiens daignent oublier une évidence, tournant le dos à tout ce qui construit et permet d’avancer.Le compromis devient une épreuve de  force continue et une manœuvre pour imposer le fait accompli. Pourtant, dans certains pays développés,  il est consubstantiel à leur modèle de développement, parce qu’ils distinguent parfaitement entre le compromis  et la compromission.

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