Diabolisé, passé sous silence, le concubinage est montré du doigt. Péché et trahison suprême, il a souvent été assimilé à l’adultère, à l’interdit, à l’amour anticonformiste. Une union réprouvée par la morale et par la religion. Faut-il passer par la mairie pour s’aimer librement ? Le concubinage est-il puni par la loi tunisienne ? Est-il un « arrangement sexuel » ou une façon de protéger l’amour ? Les réponses sont très variées.
Vivons heureux, vivons cachés
« Je vis avec mon conjoint depuis 7 ans à Tabarka dans un appartement. Bien sûr, les voisins pensent que nous sommes mariés, le propriétaire aussi. Il n’y a que nos amis et notre famille proche qui le savent. Ça reste un sujet tabou, car c’est « une honte », dit-on ».
En Tunisie, de plus en plus de couples ont choisi de vivre leur union en toute simplicité… sans contrat sauf celui de leur amour. Difficile de savoir combien vivent dans cette situation. Aucune étude n’a été faite officiellement à ce sujet.
Il existe pourtant, dans chaque grande ville, dans chaque quartier, des tourtereaux qui vivent leur amour secrètement, loin de la mairie, et de toute conformité « sociale ».
La plupart des couples interrogés, préfèrent rester anonymes. Discrétion, maître mot chez la plupart des concubins qualifiés souvent de « provocateurs » par les plus conservateurs.
Anticonformisme ?
« Nous ne cherchons, ni à provoquer, ni à être différents, mais c’est comme ça que nous sommes heureux. Nous ne craignons pas le divorce, ça coûte moins cher sur tous les plans. Le jour où ça ne va plus, chacun s’en va de son côté sans trop de dégâts et avec la possibilité de reprendre. La relation reste saine puisque l’amour c’est l’affaire de deux personnes, pas besoin de témoins, et de toute la galerie… », nous confie Inès.
Difficile pour certains d’imaginer que sans aucune mauvaise expérience et au-delà de tous les échecs, beaucoup de couples choisissent de vivre ensemble de plein gré. « Ce n’est pas par défaut, c’est par choix que nous avons opté pour le concubinage, c’est notre droit le plus absolu, nous sommes libres de faire ce que l’on veut de notre vie tant qu’on ne fait de mal à personne. »
Une façon de vivre qui choque plus d’un. Samia, médecin, 40 ans, nous dit « jamais je n’accepterai que ma fille vive en concubinage, je suis ouverte d’esprit, je peux comprendre beaucoup de choses mais cela ne nous ressemble pas, c’est contre notre culture et nos principes et le mariage c’est une sécurité pour tous. Pourquoi faire les choses de travers, il faut s’adapter et vivre en cohérence avec la société et le pays dans lequel on a choisi de vivre. »
Légal ou pas légal ?
S’il est arrivé que certains concubins finissent devant le tribunal, ce sont souvent suite à la « délation » des voisins. Il n’existe pas de lois interdisant directement le concubinage. Il y a donc un vide juridique. La colocation est autorisée. La loi punit en revanche les relations sexuelles hors mariage. S’il est prouvé que deux personnes ont une relation sexuelle hors mariage, dans le cas de « flagrant-délit », le couple peut être passible de prison sauf s’ils se marient, nous explique un avocat.
« Le concubinage, lui aussi, a été corrompu par le mariage», disait Friedrich Nietzsche
« C’est un phénomène incroyable, je l’aime, je l’aimais passionnément, et pendant des années… 4 ans d’amour fou. Et un jour, nous avons décidé de céder face à la pression familiale, nous nous sommes mariés. Je ne comprends pas ce qui s’est passé, tout a basculé. De jour en jour, elle devenait presque mon ennemie, je ne voulais même plus rentrer à la maison ! C’est là que nous avons divorcé. Consentants, à l’amiable, sans aucun problème sauf nos familles qui s’entêtaient à nous en dissuader. Rien à faire, notre décision était prise. Il fallait sauver ce qui nous reste d’estime l’un pour l’autre. Nous sommes restés amis, et puis nous sommes carrément retombés amoureux l’un de l’autre après le divorce et depuis, nous revivons ensemble et tout se passe bien. Enfin, nous nous aimons… »
De nombreux divorcés, déçus par le mariage ont trouvé une parfaite symbiose dans le concubinage. Une façon de vivre leur amour sans aucune pression sociale, aucun « devoir conjugal ». Tout est fait uniquement par plaisir ou par amour. «Je ne dois rien au nom de la loi ou du mariage à ma partenaire. Et si je suis près d’elle, si je rentre à la maison tous les soirs, ce n’est pas parce que j’ai peur de décevoir ma mère ou par peur du qu’en dira t-on… Je le fais simplement parce que je l’aime et personne n’est obligé de jouer aux hypocrites parce que l’on est marié», explique Rachid.
Le mariage Orfi, un concubinage « halal »
Si l’on attribue souvent aux « mécréants », aux « athées », aux immoraux et j’en passe, il est une nouvelle tendance chez les plus fanatiques. Bien avant le vin halal et la bière sans alcool, la tendance est au mariage « orfi ». Une alternative au concubinage, un concubinage approuvé par un Cheikh. Souvent, il s’agit d’un deuxième mariage, d’un adultère halal !
Dans le milieu estudiantin, beaucoup de jeunes filles et pour la plupart d’entre elles portant le voile intégral ont choisi cette formule. Des relations sexuelles approuvées par Dieu selon elles.
Yasmine Hajri