Entre le 1er et le 4 mai, la Tunisie a vibré aux rythmes syncopés des danses avec cette année un hommage appuyé à la « mère Afrique » sous l’intitulé « Danse, l’Afrique danse ! ». Envie de savoir ce qui s’y est passé ? Suivez le guide.
Au commencement était le pas…
C’est vraiment et réellement dans la rue que fut donné le coup d’envoi de « Tunis, Capitale de la danse » dans la rue. C’est ainsi que tout à coup, jeunes et jeunes de cœur ont dansé sur des tubes récents, de la musique traditionnelle tunisienne et même sur la musique liturgique « El Hadhra ».
Ce démarrage dans la rue, accessible et démocratique est à l’image de la démarche artistique de Syhem Belkhodja : rendre accessible l’art pour tous, faire en sorte qu’il ne soit plus cloisonné et limité à des classes sociales favorisées. « Démocratiser la culture » tel semble être le crédo de Mme Belkhodja, tenter de décloisonner l’art et le faire entrer dans les quartiers populaires et dans les rues
Démocratiser l’art sans le dévaloriser
Fidèles à ses habitudes, l’événement est gratuit. Oui, gratuit. Les organisateurs semblent avoir voulu prendre le parfait contre-pied de l’argument massue évoqué à chaque fois lorsque l’on évoque la pauvreté de l’activité culturelle en Tunisie : son inaccessibilité. La culture est donc, en Tunisie, un produit de luxe. C’est cette léthargie rassurante que semble vouloir combattre Syhem Belkhodja : l’art ne doit, en aucun cas, être un produit de luxe.
Dans la même logique, nous avons pu voir les « enfants » de Syhem danser aux heures de pointe et ce, durant la performance « Feu rouge ». Littéralement.
L’association « Ness el Fen » s’engage pour redonner à l’art l’essence même de sa vocation : celle de transmettre la joie de vivre en provoquant et en suscitant l’émotion. C’est ainsi que jeunes et moins jeunes ont dansé avec les “performers” sur des rythmes occidentaux et orientaux. Moment de joie, parenthèse de légèreté loin des affres du stress, de la haine, du malaise et du rejet de l’autre.
Une plénitude de la danse dans une désacralisation de l’élitisme et une sacralisation de la spontanéité, de l’élan et du mouvement.
Un programme pléthorique et éclectique
5 lieux culturels différents… la rue, des performances, des rencontres, des débats, des échanges… tout au long de 4 jours, le programme de « Danse, l’Afrique danse ! » (le sous-titre de l’évènement) donne le tournis : riche, dense et surtout varié.
L’Afrique est donc au cœur du processus créatif de cette nouvelle édition de « Tunis, capitale de la danse ». Nous vous proposons ainsi, parmi une programmation riche et éclectique, une sélection forcément subjective des spectacles qui nous ont marqués :
Mouvement boom, Jean-Robert Kiki
Vendredi 2 mai, 16h30 – Le Mondial
Lorsque Jean-Robert Kiki déboule sur la scène, à pas feutrés, c’est tout un périple d’un corps en mouvement qui explose. Ce que transmet le chorégraphe est l’image d’une rythmique qui exprime la tension de l’homme tiraillé entre la réalité et l’aspérité à un au-delà chimérique.
C’est sans doute la grande force de « Mouvement boom » : transfigurer et pousser le public à s’interroger sur sa propre existence. La scénographie est une matière aux songes : un rêve de danse, en somme.
Rue Princesse, compagnie N’Soleh
Vendredi 2 mai, 20h30 – Théâtre municipal
À Abidjan, dans le quartier de Yopougon, la rue princesse est fréquentée par des milliers de personnes chaque soir. La rue princesse est une des rues les plus remplies d’Abidjan, la capitale de la côte d’ivoire. Véritable « cour des miracles ivoirienne », elle est ici transfigurée dans cette mise en scène à la fois tendre et sans concessions. La compagnie N’Soleh prend un malin plaisir à nous faire danser sur des thématiques aussi variées que la folie, la boisson, la violence. Nous assistons ainsi à la mise en abyme magistrale sur la travail créatif, collectif et festif.
Dans les bars naît la conceptualisation de l’élan de la danse populaire et urbaine. Généreux dans sa conception, fou dans son élan Rue princesse fut une découverte aussi puissante que généreuse, tout cela pour une nuit.
Afro-dites, Germaine Acogny/Cie Jant-Bi Jigeen
Samedi 3 mai, 20h30 – Théâtre municipal
À l’instar de Rue rincesse, Afro-Dites est une œuvre traversée par un rire libérateur usant et rafistolant les us et coutumes de la vie quotidienne des Sénégalais. Tout en situations iconoclastes, la performance des danseurs croque le quotidien avec fougue mettant en exergue les antinomies inhérentes à la culture africaine entre modernité et nostalgie des traditions.
Afro-Dites évoque les bribes de la vie de femmes sénégalaises qui traitent pourtant de sujets, ô combien, pesants et polémiques : prostitution, l’immigration, polygamie, inceste mais aussi amour, fraternité, entraide, joie, bonheur…
Loin de s’apitoyer, ces femmes indiquent, dans un dédale de danse frénétique et sanguine, la voie à suivre : celle de décider seule de son destin. Ce qui fait la force de Afro-dites, c’est sa faiblesse…
Masu Kaino, Michel Kiyombo
Dimanche 4 mai, 17h – Le Mondial
Ce fut sans doute le spectacle le plus émouvant de ce « Tunis, capitale de la danse » édition 2014. Avant toute chose, il faut préciser que cette histoire qui mise en scène est celle du père de Michel Kiyombo.
Il nous raconte, sans pathos et de manière délicate les dernières années de la vie de cet homme que la maladie a emporté peu à peu. Sur scène, dans le recueillement et dans l’énergie viscérale, Michel Kyombo nous raconte cette souffrance qui ne dit pas son nom. Cette déliquescence du corps se retrouve atténuée par l’élévation de l’âme.
Avec deux amis, le chorégraphe date les évènements de cette maladie qui sépare la vie et la mort mais unit à jamais le fils au père. Ou comment la danse, sur la voix émue de la mère, évoque le silence, le départ et aussi, paradoxalement, la vie.
Bilan « subjectif »
Que dire de ce programme ? Il y a du bon, du très bon, du fluctuant et de l’excellent. Bien évidemment, un avis personnel ne saurait être considéré comme un avis général sur une manifestation culturelle qui aura su, et Dieu seul sait combien la Tunisie et les Tunisiens en ont besoin, redonner des couleurs à la rue tunisienne.
« Tunis, capitale de la danse » est symptomatique de la nouvelle approche relative à la culture : une culture abordable, populaire, de qualité et surtout ouverte à tous. Comme l’écrivait André Malraux « La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. » et nous serions tenté d’ajouter qu’à l’instar de la démarche de Syhem Belkhodja, de son association « Ness El fen » et de tant d’autres : elle doit irriguer les quartiers populaires car, de cette diffusion de la culture auprès de tous, sans distinction sociale, naîtra la tolérance, le pardon et l’amour… de l’art.
Farouk Bahri