“Le coup de poker de Macron”

Le coup de poker. « Le choc ». « Le coup de tonnerre ». « Le séisme ». Ce sont les titres des médias français au lendemain des élections européennes du 9 juin qui ont été marquées par la victoire historique de l’extrême droite, la dissolution, surprise, de l’Assemblée nationale par le président français et l’annonce d’élections législatives anticipées dès le 30 juin (7 juillet 2024 pour le second tour). Pour Macron, dont la décision engage le pays dans « l’inconnu » et lui fait courir le risque d’écourter son mandat, prévu jusqu’en 2027, la percée spectaculaire du Rassemblement national à l’échelle de l’Europe ne peut pas rester sans impact à l’échelle nationale et exige une décision courageuse pour « clarifier » les choses et respecter le choix des Français, qui ont été plus de la moitié à se déplacer pour choisir leurs 81 eurodéputés français, un autre record par rapport aux scrutins européens précédents.
En pleins préparatifs des JO 2024, la France s’apprête donc à affronter une étape cruciale de son histoire qui risque de la faire entrer dans une voie encore méconnue que les Français ont toujours tout fait pour éviter. En effet, le pays des droits de l’homme, des libertés, du tout Europe, jouera les 30 juin et le 7 juillet prochain son va-tout. Ça passe ou ça casse.
Sans doute que Macron s’attendait à la victoire du RN, tous les sondages effectués depuis plusieurs mois le donnaient gagnant avec un score autour de 30%. Mais, Macron ne s’attendait peut-être pas à un tsunami, l’extrême droite est en tête dans presque tous les départements français. RN, Reconquête (d’Eric Zemmour) et Les Républicains, ensemble, réunissent plus de 40% des voix françaises aux Européennes, loin devant la liste de la majorité qui n’a recueilli que 14% des votes. Ceci s’encadre parfaitement avec la montée de l’extrême droite dans toute l’Europe depuis quelques années déjà, et ce n’est que le début.
Les Législatives anticipées françaises risquent de confirmer la tendance et de changer pour un bon bout de temps le visage et l’identité, « Liberté, Egalité, Fraternité », de la France.
Le RN avait de grandes chances de remporter les Européennes et en a autant pour accéder au pouvoir en France. Jordan Bardella, tête de liste, un Franco-Italien de 28 ans, a été annoncé candidat au poste de Premier ministre dès le 9 juin au soir par son parti. Tous les sondages l’avaient prédit. Et pour cause : le discours de haine anti-immigré, anti-musulman, la guerre en Ukraine, la réforme des retraites, celle du chômage en cours d’examen… les Européennes font figure d’un référendum contre la politique générale de Macron. Tout le monde sait qu’une bonne partie des Français ne veulent pas faire la guerre en Ukraine, comme ils ont, violemment, contesté la réforme des retraites, en vain, pour ne citer que ces exemples.
La décision de Macron d’organiser des Législatives anticipées, dans un délai très court entraînant une campagne électorale éclair, était inattendue et risquée. Des partis politiques lui ont reproché de jouer avec le feu et d’autres l’accusent d’aider l’extrême droite à accéder au pouvoir. Le président français a répondu qu’il avait confiance en les Français, qu’ils feraient le bon choix pour leur pays et pour les générations futures lors des Législatives du 9 juin et du 7 juillet prochain. En attendant, il a appelé à l’union de toutes les forces nationales pour faire barrage à Le Pen et Bardella, sans l’extrême gauche (LFI). Le même appel a été lancé dans le camp de la gauche (PS, LFI, EELV et PCF), l’ancienne NUPES a espoir de faire aussi bien sinon mieux que les précédentes Législatives de 2022. Difficile cette fois de battre le RN, mais il sera « utile » de contrer son avancée. Un réservoir non négligeable de 48 à 49% de Français n’a pas voté le 9 juin. Si ces abstentionnistes sont recrutés par la gauche et vont voter le 30 juin et le 7 juillet, l’équation pourra se renverser contre le RN. Car il semble que le réservoir électoral du RN s’est totalement mobilisé le 9 juin, il ne représente que 31,5% et environ 40% pour la coalition de droite.
Les Européennes de 2024 ne vont pas influencer uniquement la politique et la vie quotidienne en France, des changements sont attendus, aussi, au sein de l’Union européenne si des alliances entre partis d’extrême droite sont formées au Parlement européen. Dans le cas échéant, l’immigration, l’Ukraine, les frontières nationales sont candidates à la révision.
Au chapitre de l’immigration, sujet essentiel de la campagne électorale de l’extrême droite française et de ses discours quotidiens développant «la peur de l’immigré», des changements vers plus de fermeté et de restrictions sont prévisibles si le RN et les partis alliés raflent la majorité absolue dans la prochaine assemblée nationale.  Les divisons entre les Français vont se creuser encore plus mais le plus important est de sauver la France de la dérive raciste, xénophobe et du discours de haine, car la France a besoin de ses étrangers comme ses étrangers ont besoin d’elle.
Le RN, en tout cas, est allé vite en besogne. Dès le lendemain matin, au démarrage de la campagne électorale, son porte-parole a fait savoir que le parti proposait l’abrogation des accords qui lient la France avec l’Algérie. Des propos qui respirent le néocolonialisme ancré dans les mémoires revanchardes. Parions que Le Pen va vite être confrontée à une autre réalité qu’elle aimerait occulter, celle qui fait qu’aucun pays ne peut avancer sans des accords avec les pays étrangers et ces accords ont souvent des contraintes qu’il faut malgré tout respecter, et cela change tout. Quant aux liens qui lient l’Algérie à la France, ils dépassent l’aigreur et la rancune qui sont restées en travers de la gorge de certains nostalgiques de la guerre d’Algérie.
Le Pen et Bardella pourront tourner encore plus la vis de l’immigration mais ils ne pourront rien changer au fait que la France et l’Europe ont besoin d’autres pays pour subvenir à leurs besoins entre autres énergétiques et de main-d’œuvre étrangère. L’Europe et la France peuvent puiser dans le réservoir européen mais elles auront toujours besoin de travailleurs d’autres contrées, notamment du Maghreb et d’Afrique.
Par ailleurs, Marine Le Pen et Jordan Bardella devront prouver qu’ils méritent de gouverner une fois qu’ils seront au pouvoir. Certains analystes français soupçonnent Macron d’avoir tendu un piège au RN, convaincu qu’ils ne sont pas prêts pour diriger la France. Bien que Marine Le Pen projette de se porter candidate à l’élection présidentielle en 2027 pour la troisième fois.

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