Il aura fallu que le chef de l’Etat fasse le travail du délégué régional du ministère de l’Agriculture à Sfax pour que l’on découvre, de visu, le sort macabre qu’a connu l’Oliveraie Châal, la deuxième mondiale en termes de superficie après celle de l’Etat de Californie (USA), et que l’on se rende compte de l’ampleur des dégâts causés à ce précieux héritage agricole et ancienne richesse nationale.
Il aura fallu que le chef de l’Etat fasse le travail de la déléguée régionale au patrimoine relevant du ministère de la Culture pour braquer les projecteurs sur l’état de délabrement et d’abandon dans lequel se trouvent les bassins des Aghlabides, monument datant du IXe siècle, un pan de la mémoire culturelle.
Il aura fallu que le chef de l’Etat fasse le travail du maire de la ville de Tunis pour faire renaître de ses cendres la piscine municipale du Belvédère, un vestige urbain d’une époque dynamique, démontrant ainsi que quand « la volonté politique va, tout va » et que tout ce qui « ne marche pas » ou « ne se fait pas » est dû à la défaillance de l’Etat, à la mauvaise gouvernance, à la corruption. Il y a eu aussi, récemment, la restauration du Palazzo Disegni, un édifice architectural unique créé en 1908, avec un financement d’une banque privée ; et on en redemande encore des partenariats constructifs comme celui-ci. Il y aura d’autres résurrections de ce type, a promis Kaïs Saïed, pour sauver le riche patrimoine culturel et urbain tunisien du « crime » de l’abandon et de l’oubli contre les richesses immatérielles de la Tunisie afin de ressusciter sa riche histoire et honorer la mémoire de ses premiers bâtisseurs.
Il n’y a pas une seule région, ville ou quartier qui ne souffre de dégradation, de décrépitude. La décennie post-révolution a tout balayé sur son chemin : le charme légendaire des rues, des banlieues, des parcs urbains, des monuments historiques, de Carthage, des sites touristiques, culturels, sportifs, des hôtels de quartiers, de la médina, de l’odeur du jasmin.
Tunis, pour ne citer que la capitale, a été enlaidie, salie, dégradée. La tornade «démocratique» qui a soufflé sur la Tunisie a tout emporté, au nom d’un idéal de liberté. Une chimère.
Aujourd’hui, tout est à reconstruire. L’œuvre est colossale et onéreuse. Une gageure avec des caisses de l’Etat presque vides et une dette publique très lourde. Il faudra pourtant trouver les moyens « propres » et accroître la productivité et le rendement au travail pour que la Tunisie puisse franchir les pas salvateurs de la crise.
Il s’agit là d’un impératif qui échoit à tous les Tunisiens, car il faut retaper, réparer, nettoyer, bâtir, développer, numériser, pour les générations futures. C’est là un devoir national et non un choix personnel. « Après moi le déluge », n’est autre qu’un crime de lèse-majesté.
Faut-il attendre que le chef de l’Etat fasse encore le travail de président de municipalité pour faire disparaître les monticules d’ordures qui jonchent les rues, les trottoirs, les places publiques, pour boucher les trous des chaussées, couvrir les bouches béantes des canalisations de l’Onas, colmater les trottoirs défoncés et restaurer les jardins publics et les parcs urbains ? Peut-être faut-il aussi qu’il remplace l’agent municipal, l’employé et le responsable administratifs, l’agriculteur, l’ouvrier, le technicien, le paysagiste, le planificateur, l’ingénieur concepteur de l’aménagement du territoire.
L’opposition réfute et milite par le biais de la contestation contre le statut de président omnipotent et omniprésent mais elle est totalement absente de l’espace public de la construction et de l’édification. Jusqu’à quand devrons-nous subir les pressions des lobbys sur le blocage des projets publics et de l’administration et celles de la spéculation et du monopole sur les produits de consommation et sur les prix ?
Ce n’est un secret pour personne que des forces d’inertie tirent le pays vers le bas, des forces de résistance au système, en effet, « fermé, contrôlé », succédant au coup de force du 25 juillet 2021. Pour Kaïs Saïed, c’est, sans doute, le seul moyen de parvenir à assainir les méandres de l’Etat et à libérer la Tunisie des dérives politiques et économiques de la décennie post-révolution dont les conséquences handicapent les ambitions de croissance économique. A-t-il tort ou raison ? Cela va dépendre de quel côté de la barrière on va se placer. Pour certains, inscrits dans la négation de tout, on inscrira cela dans le registre du populisme. Il faut reconnaître que, depuis la révolution, un nouveau sport national a vu le jour et est devenu quasi généralisé : «le Tanbir». Pour d’autres, et ils sont nombreux, ces actions sont salvatrices et si le président ne s’en occupe pas, personne ne le fera. Et quoi qu’on en dise, la régénérescence de la place Pasteur et de la piscine du Belvédère a donné le La à la re-naissance de certains lieux mythiques de la Capitale.
Il est, toutefois, clair que plus le bras de fer entre les forces d’inertie et Kaïs Saïed durera, plus le tour de vis se renforcera. Certes, 70% des électeurs tunisiens n’ont pas été aux urnes, pour diverses raisons, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas concernés et impactés par la cherté de la vie, par les problèmes de l’école, de l’hôpital, de la commune, de l’administration, de l’économie nationale, etc.
S’opposer au pouvoir politique en place n’empêche pas de souhaiter le meilleur pour le présent et pour l’avenir de nos enfants et celui de la Patrie parce que le temps qui passe est irrécupérable. L’Etat ne peut pas tout faire, seul, surtout quand les caisses sont vides et que la dette publique est colossale. Ceux qui parient sur l’incapacité de la Tunisie à sortir du goulot d’étranglement pour revenir aux commandes de l’Etat sous-estiment la vigilance et la prise de conscience des Tunisiens.
Comme tous les peuples émancipés, ils sont épris de liberté, de progrès, de justice et d’ouverture, mais l’amour de la Patrie est une ligne rouge, un dénominateur commun, une immunité contre tous les abus.
A partir de là, tout est discutable.