Les restrictions prises pour lutter contre le coronavirus ont logiquement eu un impact sur toutes les maladies saisonnières, mais le cas de la grippe est très particulier.
Depuis plus d’un an, le coronavirus fait tellement partie de notre vie qu’on en oublierait presque les virus bien plus classiques, qui accompagnent l’espèce humaine depuis des décennies, voire des siècles.
Il y a une raison à cela: cet hiver, les maladies saisonnières sont aux abonnés absents. Des cas de bronchiolite et de gastro-entérite existent encore, évidemment, mais en nombre extrêmement réduit.
La grippe, elle, est un peu particulière. Il n’y a pas juste “moins” de malades de la grippe cet hiver, alors que le Covid-19 fait des ravages. Il n’y en a quasiment aucun. “Un hiver sans épidémie grippale, c’est du jamais vu”, explique au HuffPost le médecin Thierry Blanchon, responsable adjoint du réseau Sentinelles, qui traque depuis 30 ans les épidémies saisonnières. Et pourtant, c’est ce qui semble se profiler.
Ce cas particulier de la grippe est un mystère pour les chercheurs. Et s’il n’y a pas de réponse claire, il y a des pistes à explorer.
*Des chiffres édifiants
Pour suivre à la trace les différents virus saisonniers, les scientifiques et médecins font des prélèvements similaires à ceux réalisés pour le coronavirus, à la fois en médecine de ville et en hôpital. Cette année, il y en a eu beaucoup moins, mais les chiffres restent éloquents. “Sur les 802 prélèvements pour la grippe réalisés par le réseau Sentinelles, nous n’avons trouvé que deux cas positifs”, explique Thierry Blanchon.
Les analyses provenant des hôpitaux ne font pas beaucoup mieux: sur la même période, seulement 19 cas positifs. Lors d’un pic saisonnier de contaminations, le virus de la grippe est trouvé dans 70% des échantillons en moyenne.
Mais l’épidémie ne pourrait-elle pas démarrer tardivement? Après tout, l’hiver n’est pas fini. Possible, mais peu probable, estime le médecin: “le réseau Sentinelles existe depuis 1984. L’épidémie la plus tardive observée a eu lieu mi-mars, mais c’était exceptionnel.”
Comment expliquer cette disparition? “Il est certain que les restrictions et mesures barrières mises en place pour lutter contre le Covid-19 jouent un rôle”, rappelle Thierry Blanchon. Mais alors pourquoi le coronavirus circule-t-il autant?
Il faut rappeler que le taux de reproduction (le nombre de personnes infectées par un malade) est plus élevé pour le Sars-Cov2 que pour le virus de la grippe. De plus, au début de l’épidémie, tout le monde était susceptible d’être infecté (aucune immunité passée), ce qui n’est pas forcément vrai pour la grippe.
*Bronchiolite et gastro divergent
Mais cette explication est probablement insuffisante. Car la grippe a un statut très particulier ici. Les chercheurs du réseau Sentinelles ont également analysé l’évolution des autres maladies saisonnières. Avec des résultats très intéressants, qui ont été soumis à une revue scientifique et devraient être publiés sous peu.
Sur la varicelle par exemple, extrêmement contagieuse mais grandement limitée aux jeunes enfants, “il y a eu une forte chute lors du premier confinement, avec une circulation extrêmement basse tout l’été”, explique Thierry Blanchon. “En septembre, on a regagné les niveaux habituels annuels”. La preuve de l’impact des restrictions: les écoles étaient fermées de mars à mai en France, mais sont restées ouvertes depuis.
Sur les gastro-entérites également, on a vu une chute drastique en mars et, depuis, des niveaux de circulation extrêmement bas, preuve que les gens se lavent beaucoup les mains et touchent moins d’objets communs.
Pareil pour les bronchiolites. Sauf que ces virus continuent de circuler. Bien moins que lors des hivers précédents, mais tout de même. “Nous avons également montré que d’autres virus respiratoires comme les rhinovirus et les metapneumovirus continuaient de circuler à minima”, détaille Thierry Blanchon.
En clair, la situation bien particulière, censée réduire la circulation du Sars-Cov2, impacte bien les autres virus. Mais cela ne suffit clairement pas à expliquer cette quasi-absence de la grippe. “Au niveau européen, la grippe ne circule pas non plus. Et cet été, qui était l’hiver dans l’hémisphère sud, dans des pays comme l’Australie avec un suivi efficace, aucune épidémie n’a été détectée”, rappelle le médecin. “La grippe a clairement une dynamique différente des autres maladies”.
Mais pourquoi? Difficile à dire. Thierry Blanchon se demande si le coronavirus ne serait pas rentré en compétition avec le virus de la grippe. En clair, le coronavirus occuperait le terrain, empêchant influenza de se répandre.
Une telle hypothèse peut sembler étrange, mais on a vu des phénomènes similaires entre plusieurs souches grippales, lors de grandes pandémies. “On a observé de façon surprenante que quand a émergé un nouveau virus grippal au cours du XXe siècle, il a chassé le précédent”, explique Thierry Blanchon. “Pour les virus de type A, il y a eu 3 pandémies grippales. À chaque fois, le virus émergeant a fait disparaître le virus existant.”
Une autre piste serait la diminution drastique des échanges internationaux, selon l’épidémiologiste Richard Webby interrogé par Nature. Il rappelle que certains pays qui n’ont pas mis en place de mesures strictes ont également vu une diminution de la grippe saisonnière. Comme les épidémies de grippe se répandent sur le globe en fonction des saisons, cela pourrait être dû aux flux de voyageurs. Moins de déplacements entre pays entraîneraient donc une moindre circulation mondiale de la grippe.
Ce qui est certain, c’est que la quasi-disparition de la grippe est très mystérieuse. En comprendre les causes permettra peut-être de mieux maîtriser cette maladie saisonnière qui entraîne environ 10.000 à 15.000 décès par an en France.
(HuffPost)