Le crédit à l’Etat fait augmenter la masse monétaire

Par Mohamed Ben Naceur

La théorie économique nous enseigne qu’il y a une relation étroite entre l’évolution de l’offre de monnaie (la masse monétaire au sens de M3) et le PIB. Ceci résulte du concept de la courbe de demande de monnaie, largement connu chez les économistes. D’une manière simple, cette courbe de demande, un peu différente de la théorie quantitative de la monnaie, indique l’élasticité de la masse monétaire par rapport au PIB (souvent inférieure à l’unité). D’une manière générale, on s’attend à ce que la hausse de la masse monétaire soit le résultat d’une hausse des crédits à l’économie, d’où l’impact sur l’activité.
Voyons si cela s’applique au cas de l’économie tunisienne. Evaluée à 128,4 milliards de dinars par la BCT à fin septembre 2024, la masse monétaire (M3) a connu une croissance en rythme annuel moyen de 10,7% cette année contre une moyenne de 9% durant les 5 dernières années. Mais en même temps, la croissance économique ne serait que de 1% cette année. D’où la question : à quoi a servi cet argent nouvellement créé ? Selon les dernières statistiques de la BCT, il s’avère que c’est l’Etat qui en est le grand bénéficiaire.
Concrètement, la masse monétaire (au sens de M3) a augmenté de +10,7% en glissement annuel au cours du troisième trimestre, sachant que la moyenne de 2016 à 2023 est de 9%. La composante billets & monnaies en circulation a augmenté de +10%, presque au même rythme que celui de la masse monétaire, ce qui témoigne de l’évolution de l’utilisation du cash dans l’économie.
Du côté actif de la masse monétaire, c’est-à-dire la contrepartie de la monnaie, la hausse de la masse monétaire serait le résultat, pour une large partie, de la hausse des crédits accordés par la Banque centrale à l’État. En effet, les créances nettes sur l’État ont enregistré une hausse de 36,9% à fin septembre sur un an. Cependant, les crédits à l’économie poursuivent leur tendance baissière pour s’établir à 2,9% à fin septembre. Un niveau trop bas de financement de l’économie, expliquant ainsi le faible investissement et donc le rendement de l’activité économique. Finalement, c’est le financement qui détermine le comportement de consommation des ménages et des intentions d’investissement des entrepreneurs. Il est possible, voire très probable, que l’effet d’éviction soit assez important dans la mesure où le financement qui devrait être accordé au secteur privé (ménages et entreprises) s’est orienté en partie vers l’Etat pour couvrir les besoins de financement.
D’ailleurs, en termes de distribution, la part du financement à l’économie est passée de 87% fin 2015 à 70% en mars 2024, alors que le financement accordé à l’Etat est passé de 13% à 30% confirmant la présence d’un effet d’éviction. Ce dernier pourrait s’amplifier dans les prochains mois du fait du financement direct de la BCT, d’où l’assèchement des crédits à l’économie.
Autre fait marquant durant les trois premiers mois de l’année, la baisse des actifs extérieurs nets d’environ 15% depuis le début de l’année dont une large partie est due à la baisse des actifs extérieurs nets de la BCT. Il y a lieu de noter que les engagements extérieurs des banques commerciales envers l’extérieur ont fortement augmenté et peuvent exercer une forte pression sur le dinar dans la mesure où ils sont constitués d’engagements de court terme.
En définitive, l’évolution de la situation monétaire au début de l’année semble suivre une tendance non soutenable, marquée par une baisse des actifs extérieurs nets (diminution des réserves en devise) et une hausse remarquable des créances nettes sur l’Etat au détriment des crédits à l’économie. g

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