Un morceau de plastique sur le dos pour se protéger de la pluie battante et glaciale en ce 29 janvier 2024, le bruit des tirs des armes à feu s’entend à quelques mètres, les déplacés errent dans les rues en ruine de Gaza sans nourriture, sans eau, sans abri, sans endroit sûr pour s’y réfugier. La quarantaine, un de ces damnés de la terre que le monde entier a oubliés, s’étonne qu’un journaliste, un des derniers des Mohicans, encore en vie, continue de filmer l’errance des familles gazaouies et l’horreur de Gaza. « Pourquoi êtes-vous encore là ? Pour qui filmez-vous ? Qui vous a entendu ? Qui nous a vus ? Cela fera bientôt 120 jours. Qui a vu comment on vit, qui se soucie de nous ? Tout ce que nous souhaitons est un refuge pour nous y abriter. Personne ne prend au sérieux ce que vous filmez, ce que vous dites. Personne ne cherche après nous, ni pays, ni gouvernement, ni agence (UNRWA, ndlr), ni Croix rouge, personne n’entend nos plaintes. Rentrez chez vous, allez rejoindre vos enfants et vos familles, partez, sinon vous allez mourir, laissez-nous mourir et rentrez chez vous ».
Le cri de ce quadragénaire palestinien ne sera pas, bien sûr, entendu, le douloureux sentiment d’abandon qu’il exprime est une réalité, il ne le partage qu’avec les autres Gazaouis, dont des femmes et des enfants, qui le regardent et l’entendent crier leur douleur, en silence. La crise humanitaire qui frappe les Palestiniens de Gaza est inédite, historique. L’horreur n’est pas que dans les massacres des civils, en majorité des enfants, et dans la stratégie sioniste d’affamer, d’assoiffer et de déporter plus de deux millions d’habitants de Gaza, elle est aussi dans la passivité et la froideur des plus grands dirigeants de ce monde face aux risques d’extermination de tout un peuple, colonisé depuis 75 ans. Le monde aurait-il enterré sa conscience et la morale pour un lopin de terre, spolié ? Les Palestiniens meurent et se laissent mourir dans leurs terres, parce qu’ils ne sont chez eux qu’en Palestine, malgré l’occupation et ses crimes.
Bientôt quatre mois que le Conseil de sécurité est plombé par un bras de fer entre les Etats-Unis et Israël d’un côté, et le reste de monde, de l’autre. A chaque vote pour un cessez-le-feu humanitaire ou durable, les Etats-Unis usent de leur veto pour permettre à l’armée israélienne de continuer de tuer des civils, de bombarder Gaza, de détruire les maisons et les infrastructures vitales, et de faire endurer les souffrances des Gazaouis pilonnés à bout portant par les avions et les chars israéliens. La fureur de l’armée israélienne ne s’est pas contentée seulement de Gaza, elle a, également, traqué et tué les Palestiniens en Cisjordanie et à Al Qods occupées.
Le monde entier est témoin du blocage des aides humanitaires au passage de Rafah à la frontière avec l’Egypte, des exécutions sommaires des Palestiniens par les colons armés, de la destruction des hôpitaux et des centres pour réfugiés de l’UNRWA, du déterrement des cadavres de leurs tombes, du blocage des ambulances empêchées de secourir les blessés, etc. Le monde entier est témoin de ce qui peut être qualifié de génocide contre les Gazaouis. Pour beaucoup moins que cela, la Russie et Poutine ont été condamnés et sanctionnés à cause de l’agression de l’Ukraine. A cause de l’attaque du 7 octobre, des sanctions européennes ont été prises contre Hamas. Pour avoir coupé les voies maritimes au niveau du détroit Bab Al Mandeb, les Houthis ont été introduits dans la liste américaine des organisations terroristes. Pour beaucoup moins que cela, les Etats-Unis sont offensés quand ils sont la cible d’une agression. Pour la mort de trois militaires de la base positionnée en Jordanie dans une attaque au drone revendiquée par la résistance islamique pro-iranienne en Irak, le président américain a promis de se venger. Pourquoi Israël doit-il rester impuni pour tous les crimes commis en Palestine depuis plus de sept décennies ? Quel enjeu vital pour les Américains représente Israël dans la région du Moyen-Orient ? N’auraient-ils pas confiance en leurs « fidèles » partenaires arabes de la région du Golfe ? Pourtant, ils ont bien prouvé que les Américains peuvent compter sur eux pour la sécurité d’Israël, chère à la Maison Blanche, la guerre contre Gaza l’a prouvé. En outre, « les affaires » marchent bien, la normalisation également. Ce sont les Américains qui ne sont pas en sécurité dans la région tant que les Palestiniens ne connaîtront pas la paix, tant qu’ils n’auront pas leur Etat indépendant aux frontières de 1967 et avec Al-Qods Est comme capitale. La résistance islamique au Liban, au Yémen, en Irak, en Syrie est à l’œuvre depuis le déclenchement de la guerre à Gaza et tant que le cessez-le-feu ne sera pas décrété à Gaza. Il reste à craindre à présent que le foyer de la guerre ne s’étende à l’Iran, accusé de militariser la résistance islamique dont la branche irakienne a attaqué la base militaire US de Jordanie, tué trois soldats et blessé une trentaine.
Une erreur stratégique est en train d’être commise par les Etats-Unis, d’habitude plus pragmatiques, et leurs alliés occidentaux, celle de donner des valeurs différentes aux vies humaines selon leurs origines, faisant craindre l’exacerbation de la haine et du racisme chez les peuples et contre les Etats-Unis.
Le pays de l’Oncle Sam aurait gagné en respect dans le cœur de la communauté arabe et en hégémonie dans la région s’il avait su se faire respecter et se faire adopter. Il faudrait pour cela qu’il commence par entendre les cris des Palestiniens, ceux notamment des enfants blessés, affamés, assoiffés, déplacés.