Le diable niche dans les détails…

Le dialogue national connait un blocage sur plusieurs plans. En premier lieu, les partis politiques ne se sont toujours pas mis d’accord sur le nouveau chef du gouvernement. Mais de plus le blocage existe depuis un certain moment à d’autres niveaux.
L’on dit à juste titre que le Diable niche dans les détails. Et c’est effectivement sur un plan juridique et technique, l’une des conditions de la feuille de route, que l’obstacle se dresse aujourd’hui.
La mise en place de l’ISIE, de la loi électorale et le choix des dates des prochaines échéances sont des conditions fixées par la feuille de route proposée par le quartet. Une semaine de délai fixe le choix des membres de l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) et la mise en place de cette instance. L’élaboration et l’adoption du Code électoral ont été limitées à deux semaines à compter du début du dialogue national et le calendrier fixant la date des échéances doit également être mis en place dans un délai de deux semaines à partir de l’installation de l’ISIE.

C’est seulement mercredi 30 octobre que le choix des 36 candidats à partir desquels on doit élire 9 personnes pour la prochaine ISIE a été fixé par la commission de tri et on accuse déjà du retard. Quelles causes ? Certaines erreurs commises et failles constatées…

Choix des candidats
Rappelons que la commission de tri, constituée de 22 membres, avait déjà choisi 36 candidats qui devaient passer pour élections devant la séance plénière. Une première crise a eu lieu ; certaines personnes ont fait appel auprès du tribunal administratif qui a bloqué les résultats. L’échelle d’évaluation utilisée par la commission a été jugée invalide par le tribunal. Cette première crise a été dépassée en fixant une nouvelle échelle d’évaluation qui a permis le choix de 36 candidats. Le vote a eu lieu en séance plénière et chaque candidat devait recevoir 145 voix pour être élu. Neuf tours ont été nécessaires et 8 membres sur les 9 exigés pour constituer l’ISIE 2 ont été élus. Un des membres a démissionné… Ils ne sont désormais plus que 7.
La loi organisant les votes stipule que la séance plénière devait étudier 4 candidatures de chaque profession. Le démissionnaire étant avocat, la séance plénière ne peut étudier son cas sans que la commission choisisse quatre personnes de la même profession. Chaque candidat doit obtenir 17 voix sur les 22 ; or une deuxième crise a eu lieu…
En effet, la deuxième crise est survenue en été, à l’assassinat de Mohamed Brahmi, ancien décideur de la commission de tri. Sur les 21 restants, 6 se sont retirés suite à la crise politique. Il ne restait plus que 15 membres, d’où l’impossibilité d’obtenir les 17 voix.
Les 36 candidats déjà choisis ont été par ailleurs réfutés par le tribunal administratif le 19 septembre dernier, les procédures n’ayant pas été respectées pas plus que l’échelle d’évaluation.
La commission a procédé au tri en séance fermée et n’avait pas élaboré de procès-verbal. Nul ne sait alors ce qui s’est véritablement passé, mais leur décision est nulle et non avenue sur le plan juridique, puisque le procès-verbal ne témoigne que de ce qui s’est passé lors des séances de tri. Retour à la case départ…
Chaouki Gdès, spécialiste en droit constitutionnel s’étant exprimé sur ce sujet, parle de trois solutions possibles «Revenir à l’ISIE 1 ; or cette solution n’est pas possible, car la loi stipule qu’il faut une deuxième ISIE. La deuxième solution pourrait être une validation législative via un texte de loi. Seulement il faut une Constitution et un juge constitutionnel derrière la validation, ce dont on ne dispose pas. D’un autre côté, il n’est pas logique qu’une autorité ayant commis une erreur procède elle-même à la correction de l’erreur. L’ISIE 2 créée dans ces conditions ne sera pas crédible et n’aura pas la confiance des Tunisiens. La troisième solution qui s’impose : continuer le processus et donc retour à la commission de tri qui devrait refaire son choix en respectant les procédures.»
Même cette troisième solution a connu un blocage puisque la commission de tri ne contient plus que 15 membres, du moins jusqu’à la résolution de la crise politique…
 
Révision de la loi portant sur l’ISIE
Après résolution de ces différentes crises et blocages, une autre étape s’est imposée: la révision de la loi sur l’ISIE. Trois jours ont été accordés au tribunal administratif pour y procéder. Il dit juger, définitivement, en premier et dernier ressort, sans possibilité d’appel. Délai qui a été jugé par Sami Ben Abderrahman, juge au tribunal administratif «une violence faite au tribunal administratif, car on lui interdit ainsi d’appliquer toute la procédure requise. L’instruction de la procédure dans les séances est compromise, ainsi que les convocations et les plaidoiries.»
Il nous explique par ailleurs où la loi à réviser poserait problème…
La loi à réviser était la loi 23/2012. Elle a été révisée dans le sens de l’interdiction des recours dans un sens limitatif, en limitant le recours aux intéressés directement, à savoir les candidats à l’ISIE 2 et ceux qui y sont directement liés, comme les membres de la commission de tri.
Avant la révision, le recours était ouvert aux associations pour faire appel contre les décisions prises par le président de l’ANC en tant que président de la commission de tri. Par le passé, l’ATIDE par exemple avait pu déposer un recours et leur appel avait été accepté, car le tribunal administratif a jugé que la condition de recevabilité était remplie puisqu’il s’agissait d’un problème d’intérêt national. Aujourd’hui, la loi est venue limiter l’intervention d’associations ou une tierce personne dans le recours.
Elle stipule aussi que le tribunal administratif doit juger de toutes les affaires pendantes dans un délai de trois jours à partir de l’adoption de la loi par l’ANC. Or, cela pose beaucoup de problèmes.
Dans une lettre adressée à l’ANC, le tribunal administratif  explique que pour appliquer une loi, il faut qu’elle existe ; or la condition d’existence de la loi n’est pas remplie, car la condition de la promulgation de la loi par le président, nécessaire pour faire entrer la loi dans l’ordonnancement juridique, n’a pas été respectée. Le fait de faire entrer cette loi en vigueur depuis l’adoption par la séance plénière est contradictoire aux dispositions de la loi.
Le tribunal administratif n’a alors pas jugé de la constitutionnalité de la révision de la loi, mais a cherché tout d’abord son existence ou pas au sein de l’ordonnancement juridique.
L’importance de la promulgation en premier lieu réside dans son authentification du texte. C’est le président qui contrôle, lors de la promulgation, si le texte approuvé par l’ANC est conforme, ou pas, au texte promulgué et publié et ce n’est pas une simple figure théorique puisqu’il existe des textes déjà publiés qui ne sont pas conformes aux textes proposés par l’ANC, comme le texte de l’ISIE qui a connu des changements de fond.
Quant à l’annulation de l’échelle de l’évaluation par le tribunal administratif, Sami Ben Abderrahman nous explique que le critère de l’âge dans la loi 23/2012 conditionne le choix à 35 ans et plus. Néanmoins, la commission de tri a établi différentes valeurs : entre 35 et 45, 45 et 55 et 55 et plus. Le fait d’ajouter des conditions nouvelles aux conditions déjà existantes dans la loi constitue déjà une infraction.
Le tribunal administratif a en outre annulé le critère du diplôme pour la nouvelle échelle et a instauré à sa place l’expérience et la compétence.

Hajer Ajroudi

 

 

Related posts

Après un mois d’arrêt, Ons Jabeur se relance à Madrid

La Tunisie récupère plus de 11 000 pièces archéologiques conservées aux États-Unis depuis 1990

Kaïs Saïed : La Tunisie refuse d’être un point de transit ou d’installation pour la migration irrégulière