Même si, actuellement, des voix commencent à s’élever pour exprimer craintes et appréhensions sur les libertés, en général, et la liberté de la presse en particulier, jamais le champ des libertés n’a été aussi vaste, que depuis les quatre dernières années. En ce laps de temps assez court, le paysage médiatique national a été totalement transfiguré, marquant, à quelques exceptions près, l’émergence d’une presse nationale libre, indépendante qui se positionne, de plus en plus, comme un réel contre-pouvoir et un instrument efficace pour informer l’opinion publique et l’éclairer sur tout ce qui se passe dans le pays. Une presse qui refuse de recevoir les ordres, d’être instrumentalisée et, partant, d’être servile et manipulable à merci.
Ce statut et ce poids pris par les médias en Tunisie ne sont pas venus ex-nihilo. Ils consacrent un engagement de la famille médiatique qui, depuis la Révolution du 14 janvier 2011, a pris le parti de la liberté et de l’indépendance et résisté à toutes les manœuvres, les pressions et même les menaces qui lui étaient constamment proférées, pour s’acquitter comme il se doit de la mission qui lui est dévolue. Dans ce domaine, tous les combats menés et, qui restent à accomplir, ont une seule finalité : préserver cet acquis valeureux et s’affirmer comme un secteur qui tire sa force par la qualité de ses hommes et leur professionnalisme.
Le constat qu’on peut tirer aujourd’hui est, le moins qu’on puisse dire, flatteur. Explosion des titres dans la presse écrite, multiplication des radios et des chaînes de télévision privées, développement extraordinaire de la presse électronique et enrichissement significatif de la population de journalistes. L’autre avancée notoire a été l’entrée en application des décrets 115 et 116 organisant les secteurs de la presse écrite et audiovisuelle, au bout d’une mobilisation longue et éprouvante et la mise en place d’une instance de régulation des médias audiovisuels, la HAICA.
Malgré, l’accélération de son développement et la consécration de son indépendance, de nombreuses sources de pesanteur continuent de plomber ce secteur. S’il est vrai qu’il a gagné en diversité et en influence dans la société, il semble que ce développement a été quelque peu désordonné et anarchique. Ce qui peut paraître inquiétant, c’est la persistance de problèmes structurels qui, s’ils se perpétuent, risquent d’hypothéquer son avenir et de mettre son indépendance et sa liberté à rude épreuve. A l’évidence, tous les acquis engrangés et les avancées accomplies ne sauraient occulter les nombreuses carences qui sont en train d’accompagner cette évolution désordonnée d’un secteur où le professionnalisme fait encore cruellement défaut, l’éthique très peu respectée, la qualité de production approximative et la formation de base assurée décalée, voire improvisée.
Aujourd’hui, la presse écrite connaît un quotidien difficile et que la baisse du lectorat peut se transformer en véritable couperet pour des titres prestigieux dont la survie reste suspendue à une réelle attention de la part des pouvoirs publics. Même si le modèle économique des journaux se pose avec acuité, certains titres, vivant sous perfusion, traversent la pire des difficultés. Pire, aucune réflexion n’est encore engagée sur les voies et moyens pouvant permettre à cette presse, privée abusivement du suc qui assurait sa survie (abonnements et publicités publics), de se restructurer et de se réorganiser.
La presse publique, qui a toujours joué le rôle de locomotive dans ce domaine, tant par l’importance de ses ressources humaines, la mission de service public qu’elle assure et la qualité de sa production éditoriale, n’échappe pas à cette fatalité. Bien plus, elle fait ces derniers temps l’objet d’obscures manœuvres et pressions pour l’instrumentaliser et l’asservir.
La célébration le 3 mai, de la Journée mondiale de la liberté de la presse, qui offre chaque année l’opportunité d’évaluer et de défendre l’indépendance des médias à travers le monde, interpelle et montre que les libertés acquises dans ce domaine restent fragiles et que le chemin à parcourir demeure semé d’embûches. Il revient aux journalistes de s’affirmer par leur professionnalisme et leur indépendance pour faire valoir leur statut dans la société. C’est par là que tout commence.