C’est la logique qui préside, depuis plus de quatre ans, aux relations, souvent tendues et conflictuelles, entre les partenaires sociaux. Consciente de son poids, de la faiblesse de l’Etat, du profil bas longtemps observé par la centrale patronale, l’UGTT n’a cessé d’étendre ses tentacules partout pour faire la loi, imposer son diktat en usant de toutes les formes de pression et en faisant brandir, chaque fois que le dialogue ne prend pas la direction qu’elle désire, son arme de dissuasion massive, en l’occurrence les grèves et les mouvements de revendication paralysants.
Ce qui est paradoxal, c’est que critiquer l’UGTT aujourd’hui, relève du tabou, de l’interdit. Les médias ne daignent pas pointer du doigt ses excès ou ses erreurs, se contentant de répercuter, à tout bout de champ, les déclarations des syndicalistes omettant de susciter un débat pluriel et tout esprit de contradiction.
La majorité des partis politiques portant l’étiquette de social-démocratie ou de gauche, s’abstiennent, par calcul politique ou opportunisme, de porter des jugements critiques à tout ce que la centrale syndicale décide ou entreprenne.
La dernière crise, qui a éclaté entre les deux organisations nationales, le jour même de la signature de l’accord de l’augmentation des salaires dans le secteur public entre le gouvernement et l’UGTT en est symptomatique.
Au moment où le pays croule sous le poids des difficultés économiques et des tensions sociales et se trouve contraint d’emprunter sur le marché international pour renflouer ses caisses, désespérément vides, pour servir des augmentations de salaire, l’UGTT reste inflexible, insensible et toujours menaçante. Même si le discours, comme « la grève est un droit constitutionnel », « nous poursuivrons notre guerre pour glaner de nouveaux acquis aux travailleurs tunisiens » ou « l’UGTT n’a jamais perdu une bataille qu’elle a engagée », qu’on répète à satiété est devenu galvaudé, il n’en demeure pas moins qu’il est nocif, contreproductif.
Dès lors, il n’est pas étonnant de voir le gouvernement se résigner, à l’évidence, cédant, encore une fois, à la pression pour acheter une hypothétique paix sociale.
Preuve en a été donnée la semaine dernière par la crise qui a éclaté au grand jour entre l’UGTT et l’UTICA, en apparence suite à la fin de non aboutir des négociations sur la revalorisation des salaires dans le secteur privé. Une crise qui a laissé apparaitre une atmosphère délétère, un échange d’accusations et d’invectives entre deux prestigieuses organisations nationales qui ont polarisé l’espace public, non pas par leur force de proposition, mais plutôt par leur propension à faire un étalage de leur force.
Au lieu d’œuvrer pour détendre une atmosphère déjà lourde, un membre du bureau exécutif de l’UGTT n’a pas daigné monter au créneau pour régler ses comptes, d’une manière inconséquente, avec l’UTICA, menaçant, si la centrale patronale ne se plie pas aux ordres, de déclencher une grève générale historique dans le secteur privé.Comble de l’irresponsabilité qui n’a soulevé aucune réaction de réprobation de la part du bureau exécutif de la centrale syndicale, de la société civile ou des partis politiques, que la question du sauvetage de l’économie et de l’instauration de la paix sociale ne semble pas interpeller, outre mesure ?
Au moment où l’investissement stagne, le moral des opérateurs est au plus bas et l’attentisme bat son plein, la menace brandie de grève générale dans le secteur privé a été un message lourd de conséquences.
Au moment où tous les efforts devraient s’orienter vers des objectifs mobilisateurs à l’effet de créer les conditions d’une paix sociale qui fera sortir le pays des incertitudes et du gouffre, certains préfèrent mettre le feu aux poudres, pour approfondir les dissensions, l’incompréhension et l’instabilité sociale.
Ce qui s’est passé la semaine dernière est pour le moins déplorable, puisqu’on a vécu au rythme des polémiques stériles et des surenchères improductives, confirmant l’idée que « la calomnie irrite les hommes et ne les corrige pas ».
Dans cette étape cruciale que vit le pays, on a l’impression que soudain, les partenaires sociaux qui ont pourtant joué un rôle de premier ordre dans le processus de transition politique de la Tunisie, ont oublié les vertus et les règles du dialogue, le sens de l’intérêt général et la portée de la paix sociale.
Il semble, surtout, qu’on est gagné par une certaine myopie en ne daignant pas retenir les leçons des drames vécus par certains pays comme la Grèce, où la notion d’acquis social a tout simplement disparu du lexique politique et syndical.