Le dilemme historique de la participation citoyenne(4)

L’étude des expériences historiques des démocraties directes pour retenir les leçons de leurs succès mais aussi de leurs échecs dépasse largement cet article. Mais, une lecture de cette expérience historique est utile pour saisir les parcours des tentatives de démocratie directe dans l’histoire moderne.    Dans un premier temps, nous allons examiner les échecs et les défaites historiques de certaines de ces expériences. La première de ces défaites concerne l’expérience de la Commune de Paris en 1871 suite à la révolution des habitants de Paris contre le pouvoir en place avec la formation d’un Conseil populaire pour gouverner la ville. Ce conseil a adopté une série de décisions révolutionnaires dont l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, la gratuité de l’enseignement et bien d’autres décisions.
Cette expérience a eu une forte influence dans la réflexion et les débats politiques. K. Marx a longuement évoqué cette expérience dans ses écrits politiques et en a fait un exemple d’organisation démocratique et de participation citoyenne. D’autres villes françaises comme Lyon et Bordeaux ont cherché à reproduire le même exemple d’organisation dans des conseils qui se sont révoltés contre les pouvoirs locaux et ont développé cette nouvelle forme participative.
Mais, cette expérience s’est terminée dans le sang après l’attaque de l’armée pour rétablir l’ordre. Le massacre des dirigeants de la Commune est resté dans la mémoire collective de l’humanité.
La seconde expérience dans ce domaine est celle de la révolution allemande qui a commencé avec les révoltes de la ville de Kiel conduisant à la révolution de novembre 1918. Des commissions ouvrières vont alors se former dans les plus grandes villes allemandes pour exiger l’arrêt de la guerre et la chute du régime. Ces commissions et cette mobilisation ont réussi à imposer la signature de l’accord de paix avec la France et la fin de la guerre. Mais, deux mois après cette révolution et la constitution des conseils ouvriers, l’armée va attaquer les villes et les organisations révolutionnaires avec une violence inouïe et cette expérience d’organisation révolutionnaire va se terminer dans un bain de sang avec l’assassinat de ses principaux dirigeants dont Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
Ces deux expériences et quelques autres ont montré que l’échec et la défaite constituent l’une des évolutions possibles des expériences de démocratie directe. Pour comprendre les raisons de ces échecs, il faut évoquer l’absence des corps intermédiaires et plus particulièrement les partis politiques, les organisations de masse et les institutions de la société civile. L’absence de ces organisations et leur faiblesse constituent une des explications de ces défaites dans la mesure où les dynamiques sociales engrangées par ces révoltes sont restées spontanées et ne disposant pas de cadres et d’organisations capables d’unifier leurs rangs et d’organiser les contre-offensives des pouvoirs en place.
Le second parcours des démocraties directes concerne leur détournement par des partis ou des groupes pour en prendre le contrôle et les mettre au service d’un projet politique qui leur est étranger. Dans ce type de parcours, il est possible d’intégrer l’expérience des soviets dans la révolution bolchévique.
Les soviets sont apparus en Russie et ont cherché à organiser le mouvement ouvrier et les grèves dans les grandes usines en l’absence d’organisations syndicales. Les soviets ont commencé à apparaître lors de la révolution de 1905 dans la ville de Saint-Pétersbourg et d’autres villes. Mais, en dépit de la répression de cette révolte par l’armée tsariste, l’idée des soviets est restée vivace. Ils vont apparaître de nouveau lors de la révolution russe et à partir du mois de février 1917. A ce moment et pour combattre le gouvernement intérimaire conduit par Kerenski, Lénine a lancé son fameux slogan pour donner « tout le pouvoir aux soviets ». Les membres du parti communiste et les militants bolchéviques ont pénétré les soviets et ont pris leur contrôle, éliminant les membres de départ qui ont conduit la révolution.
Même si les institutions de l’Etat se sont considérées comme le prolongement des soviets, il faut mentionner que tous les membres qui ont véritablement porté et conduit la révolution ont été exclus et sont passés sous le contrôle du parti communiste qui mettra fin ainsi à l’une des plus importantes expériences de démocratie directe. Cette prise de contrôle donnera le point de départ à la domination du parti communiste et à l’une des expériences de despotisme politique les plus terribles dans l’histoire contemporaine. Ainsi, le goulag est-il devenu la destination des démocrates, des intellectuels critiques, des artistes et des activistes politiques. Le despotisme est arrivé à un tel point que la révolution a commencé à éliminer ses dirigeants et à dévorer ses enfants comme Léon Trotski, un des chefs de l’armée rouge que les services de sécurité de Staline ont poursuivi jusqu’au Mexique pour l’assassiner.
En définitive, toutes ces expériences montrent la fragilité des expériences des démocraties directes. En effet, en dépit des bonnes intentions et de la volonté d’assurer une plus grande participation citoyenne, l’utopie des démocraties directes s’est heurtée à la complexité de la réalité pour se terminer, dans la majorité des cas, par des défaites et des échecs.

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