Faut-il, oui ou non, adopter en Tunisie une loi sur la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste, au moment où la question ne suscite pas de division au sein de la société tunisienne et que la majorité écrasante des Tunisiens ainsi que les pouvoirs exécutifs et législatifs y sont résolument opposés ? La question ne devrait même pas être posée ou susciter une quelconque polémique.
Pourtant, la question, toujours aussi sensible que par le passé, se pose aujourd’hui avec plus d’acuité. Le génocide perpétré à Gaza par l’armée sioniste sous les yeux du monde entier, incapable de stopper la barbarie israélienne, a choqué l’opinion publique mondiale, déchaîné les passions et poussé des millions de personnes dans les quatre coins du monde à investir les rues pour crier leur indignation et condamner l’inhumanité de l’armée et des dirigeants israéliens. A défaut de pouvoir prendre les décisions qui s’imposent à la place de leurs dirigeants.
En Tunisie, outre la mobilisation de la rue, des médias, des écoles, des universités, des citoyens de tout âge et de toutes les catégories professionnelles et sociales, les élus de la chambre des députés ont décidé de sortir des tiroirs du parlement un projet de loi pour remettre à l’ordre du jour des débats parlementaires la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste. Une entreprise qui devrait aboutir sans ambages du fait qu’elle s’inscrit dans l’esprit et la lettre de la Constitution de 2022. Elle donne écho à la position sans équivoque et inconditionnelle du président Kaïs Saïed en faveur des droits des Palestiniens et de la légitimité de leur cause, particulièrement en réaction aux supplices imposés par l’entité sioniste aux habitants de Gaza depuis le 7 octobre dernier.
Pourtant, ce ne sera pas le cas.
La ferveur des députés va être tempérée par les exigences de « la raison d’Etat » qui nécessitent une profonde et large réflexion et, si besoin, de longues concertations sur les questions qui sont en lien avec l’intérêt supérieur de la nation. Et c’est bien le cas ici. On pourrait choisir d’éviter de s’embourber dans une entreprise aussi sensible et complexe dès lors que la Tunisie n’a, déjà, pas de relations diplomatiques avec l’entité sioniste et qu’elle n’envisage pas d’en avoir. Sauf que la charge émotionnelle traditionnelle vouée à la cause palestinienne et le destin commun avec les Palestiniens à plusieurs dates de l’histoire de la cause palestinienne empêchent les Tunisiens de laisser faire sans réagir avec des actes. C’est une question de timing.
L’adoption d’une loi, portant des sanctions pénales et financières contre toute personne ayant un lien avec l’entité sioniste, est finalement peu de choses face à l’ignominie perpétrée contre des populations civiles désarmées et ciblées par les avions de l’armée israélienne faisant près de 9000 martyrs dont 3400 enfants en trois semaines. Des crimes de guerre qui n’épargnent ni hôpitaux, ni mosquées, ni églises, ni personnel médical ou de secours, ni ambulances. Une sauvagerie en infraction totale et flagrante au droit humanitaire international en privant ces populations d’eau, de nourriture, de médicaments…
Peu de choses, en effet, dans un monde arabe outrageusement passif, qui regarde l’horreur tout en restant silencieux, effacé, en retrait. Un monde arabe qui, pourtant, peut facilement changer la donne et le destin des Palestiniens, il en a les moyens et le pouvoir, si ses dirigeants décidaient de devenir de vrais leaders dans leur région, pour leurs peuples, et de se débarrasser du complexe américain et occidental.
Une loi criminalisant la normalisation avec l’entité sioniste risque de compromettre les relations de la Tunisie avec les pays amis d’Israël. C’en est ainsi. Malheureusement, les Occidentaux ont radicalement changé de paradigme depuis la guerre en Ukraine. « Si on n’est pas avec eux, on est contre eux », c’est ainsi. Un comportement autoritaire d’anciens colons qui tranche avec les valeurs de liberté, de démocratie, de justice, de tolérance, prônées par ce même Occident. On ne reconnaît plus les amis européens, ni l’Europe en proie aux extrémismes, au racisme, à l’intolérance, à la haine, aux suprématismes. La perte de ces repères, ceux du monde des lumières, est annonciatrice d’une période sombre pour tous.
En cherchant à agir concrètement pour faire comprendre aux sionistes qu’elle dénonce ce qu’ils font subir aux Palestiniens, la Tunisie ne souhaite pas, toutefois, altérer ses relations traditionnelles avec ses partenaires occidentaux mais ambitionne de faire pression sur les pays qui peuvent aider les Palestiniens en faisant à leur tour pression sur les sionistes.
La plénière du 30 octobre, qui devait examiner et éventuellement adopter le projet de loi en question, a été reportée au 2 novembre courant pour donner aux institutions de l’Etat concernées par cette affaire le temps d’étudier minutieusement tous ses articles et apporter les rectifications nécessaires. Les institutions sollicitées sont le ministère de la Justice et le Conseil supérieur de la magistrature, les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur. La question étant liée à l’intérêt supérieur de la nation, le chef de l’Etat est appelé à suivre de très près cette affaire et à convoquer une réunion du Conseil supérieur de la sécurité nationale. Il lui reviendra ensuite la responsabilité de décider de la promulgation, ou non, du texte de loi.